sam 07 juin 2025 - 10:06

La musique chez les Francs-maçons

Une exploration initiatique de Mozart à nos jours – Une analyse approfondie de l’ouvrage d’Yves Vaillancourt et Anatoly Orlovsky

Dans leur ouvrage La Musique des Francs-Maçons, de Mozart à Nos Jours, publié en 2025 par La Roseraie des Philosophes, Yves Vaillancourt et Anatoly Orlovsky nous invitent à un voyage fascinant à travers l’histoire de la musique maçonnique, depuis ses figures emblématiques du XVIIIe siècle jusqu’aux expressions contemporaines du XXIe siècle. Ce livre, fruit d’une collaboration entre deux auteurs aux profils complémentaires – Vaillancourt, un essayiste et philosophe québécois, et Orlovsky, un compositeur et poète d’origine russo-ukrainienne établi à Montréal – explore le rôle de la musique dans les rituels maçonniques, tout en interrogeant sa dimension spirituelle et initiatique.

À travers une structure chronologique qui s’étend de Mozart à Orlovsky lui-même, en passant par des figures comme Haydn, Beethoven, Liszt, Wagner, Sibelius, Strauss, Scelsi, Pijper et Souffriau, cet essai propose une réflexion profonde sur la manière dont la musique peut transcender les dualités profane/sacré et ouvrir des portes vers l’intériorité et l’universel.

Auteurs : Une rencontre de l’éssai et de la création

Yves Vaillancourt (Crédit photo : Franco Huard)

Yves Vaillancourt, co-auteur de cet ouvrage, est un essayiste québécois reconnu pour ses travaux philosophiques et littéraires. Titulaire de plusieurs distinctions, dont le prix Esdras-Minville de la Société St-Jean Baptiste (1994), une mention d’honneur de l’Association Pédagogique Collégiale du Québec (2023) et le prix de la Société de Philosophie du Québec (2021), Vaillancourt a publié une quinzaine d’ouvrages, allant de l’essai philosophique (Le Principe responsabilité d’Hans Jonas, 2006) à la fiction (La Source opale, 2005). Dans le domaine maçonnique, il s’est déjà illustré avec des titres comme Souviens-toi que tu es vivant (2022), où il explore les dimensions spirituelles de l’initiation. Sa plume, à la fois érudite et poétique, apporte à cet ouvrage une profondeur analytique et une sensibilité qui enrichissent l’examen des compositeurs et de leurs œuvres.

Anatoly Orlovsky

Anatoly Orlovsky, quant à lui, est un artiste multidisciplinaire dont les talents s’étendent de la composition musicale à la poésie et à la traduction. Né en Russie et établi à Montréal, Orlovsky est l’auteur de plusieurs recueils de poésie, dont Symbiose-séparation (2024) et Passacaille – Actus Tragicus (2020), ainsi que de compositions musicales comme Soleils, éclater dans le ciel (2014) pour clavecin et narration. Il est également traducteur, ayant rendu accessibles en français des poètes russes et ukrainiens tels que Marina Maslovskaïa et Liuba Iakimtchouk. Sa contribution à l’ouvrage inclut un chapitre sur sa propre musique maçonnique, notamment une pièce pour violon solo composée pour l’allumage des feux de la loge Les Amis Réunis à Montréal en 6012 (2012 selon le calendrier maçonnique). Orlovsky apporte une perspective unique, celle d’un créateur contemporain qui vit et incarne les idéaux maçonniques à travers son art.

Introduction philosophique : La musique comme substitut de la vision suprasensible

Musique des Francs-maçons de Mozart à nos jours

L’introduction de l’ouvrage, signée par Vaillancourt, pose les bases d’une réflexion audacieuse sur le rôle de la musique dans la Franc-maçonnerie. Partant de la symbolique maçonnique de la lumière – incarnée par les trois lumières de la loge (le Soleil, la Lune et le maître de la loge) – l’auteur explore comment la modernité, marquée par le « désenchantement du monde » (Max Weber) et la fin des « grands récits », a affaibli la vision suprasensible des anciens. Selon Vaillancourt, qui s’appuie sur le philosophe Ernst Bloch, l’essor de la musique européenne à la fin du Moyen Âge serait lié à cette disparition progressive des visions archaïques. La musique, dans les rituels maçonniques, viendrait alors suppléer à cette perte, agissant comme un « adjuvant ou substitut » à une visualisation affaiblie du Temple idéal.

Cette hypothèse, bien que provocante, est nuancée par une interrogation sur les traditions musicales des peuples anciens – Hébreux, Chaldéens, Égyptiens – qui, selon Vaillancourt, n’auraient pas développé un art musical comparable à la musique classique occidentale, leurs images de l’au-delà leur suffisant. La musique maçonnique, dès lors, devient une réponse à la modernité, un moyen de recréer une expérience intérieure et initiatique là où les images mythiques ont perdu leur force numineuse. Cette idée trouve un écho dans les mots du poète Boris Niçaise, cités en épigraphe :

« Peut-être la partition de Mozart et les mots du président de loge ne sont-ils que des formes élevées de silence ? »

Mozart : Le cœur symbolique de la musique maçonnique

W.A. Mozart

Le chapitre consacré à Mozart, rédigé par Vaillancourt, constitue le pivot de l’ouvrage. Wolfgang Amadeus Mozart, initié en 1784 dans la loge viennoise Zur Wohltätigkeit (La Bienfaisance), est présenté comme le plus emblématique des compositeurs francs-maçons. Contrairement à Haydn, dont l’assiduité en loge fut limitée, Mozart fréquenta activement les tenues maçonniques jusqu’à sa mort en 1791, composant des œuvres explicitement destinées aux rituels, comme des hymnes à la fraternité et la célèbre Flûte enchantée (1791).

Vaillancourt explore les multiples interprétations de l’œuvre maçonnique de Mozart, en s’appuyant sur des musicologues comme Gérard Gefen, Philippe Autexier et Jacques Henry. Gefen, dans Les Musiciens et la Franc-Maçonnerie (1993), conteste l’idée d’un symbolisme caché dans la musique de Mozart, arguant que les tonalités dites « maçonniques » (comme le mi bémol majeur avec ses trois bémols) sont présentes dans son œuvre avant et après son initiation, sans variation significative (19 % avant 1784, 18,7 % après). Pour Gefen, l’essentiel de la musique maçonnique de Mozart réside dans les chants de loge, qui exaltent des vertus comme la fraternité et la bienfaisance, souvent à travers les paroles des livrets.

À l’opposé, Autexier et Henry défendent une lecture symboliste. Autexier, membre du Grand Orient de France, propose que Mozart aurait développé un système symbolique basé sur le nombre d’accidents à la clef : un bémol ou dièse pour le grade d’Apprenti (cercle), deux pour le Compagnon (demi-cercle), trois pour le Maître (triangle). Henry, plus ésotérique, insiste sur l’élément ternaire – notamment les trois bémols – comme une transcription musicale des symboles maçonniques, citant des œuvres comme l’Ode funèbre maçonnique K 477, en ut mineur, qui passe en mi bémol majeur. Vaillancourt, tout en reconnaissant la richesse de ces exégèses, adopte une position équilibrée, soulignant que l’universalité de Mozart transcende ces débats techniques.

Un passage particulièrement poignant est l’analyse de La Flûte enchantée, où Vaillancourt met en lumière un thème central : la lutte contre la vengeance, incarnée par la Reine de la Nuit, comme obstacle à la lumière initiatique. Sarastro, modèle de sagesse, refuse de se venger, illustrant une vertu maçonnique essentielle : l’abandon des passions destructrices avant de recevoir la lumière. Cette interprétation, qui s’éloigne des lectures purement ésotériques, ancre l’opéra dans les idéaux des Lumières et de la Révolution française, dont Mozart fut contemporain.

Haydn, Beethoven et les figures classiques : entre maçonnerie et inspiration

Joseph Haydn

Le livre poursuit son exploration avec Joseph Haydn et Ludwig van Beethoven, deux compositeurs dont les liens avec la Franc-maçonnerie sont moins évidents que ceux de Mozart. Haydn, initié en 1785, est présenté comme un maçon peu actif, mais sa musique, notamment La Création (1798), est analysée pour ses résonances initiatiques, comme le passage du chaos à la lumière (Fiat Lux), qui évoque l’ouverture des travaux en loge.

Beethoven, quant à lui, n’a probablement jamais été maçon, malgré certaines spéculations. Vaillancourt examine la thèse d’un « Beethoven sans tablier », s’appuyant sur des œuvres comme la Symphonie n° 3 (« Héroïque ») et la Symphonie n° 9, dont l’Ode à la Joie célèbre une fraternité universelle proche des idéaux maçonniques. L’auteur cite le musicologue Maynard Salomon, qui voit dans l’Héroïque une célébration de la liberté et de l’égalité, valeurs chères à la Franc-maçonnerie des Lumières.

Liszt, Wagner et Sibelius : Les romantiques et la quête spirituelle

Franz Liszt, maçon fervent, est abordé pour sa musique empreinte de mysticisme, comme ses Harmonies poétiques et religieuses. Vaillancourt note que Liszt, qui rejoignit la loge Zur Einigkeit à Francfort en 1841, intégra des éléments maçonniques dans ses compositions, notamment à travers des tonalités et des structures ternaires.

Richard Wagner

Richard Wagner, bien que non maçon, est inclus pour son opéra Parsifal (1882), que l’auteur qualifie d’initiatique. S’appuyant sur les travaux de Jacques Chailley (Parsifal, un opéra initiatique, 1979), Vaillancourt voit dans le voyage de Parsifal une quête de rédemption et de lumière qui résonne avec les idéaux maçonniques, malgré les controverses autour de l’antisémitisme de Wagner.

Jean Sibelius, initié en 1922 dans la loge Suomi n° 1 à Helsinki, est une figure clé du livre. Sa Musique rituelle maçonnique (1927), composée pour les rituels finlandais, est analysée pour sa simplicité et sa profondeur spirituelle. Vaillancourt et Orlovsky explorent comment Sibelius, inspiré par le folklore finlandais et des compositeurs comme Beethoven, a créé une musique qui incarne l’esprit de fraternité et de transcendance.

Les modernes : Strauss, Scelsi, Pijper et Souffriau

Richard Strauss et Giacinto Scelsi, bien que non maçons, sont inclus pour leur dimension spirituelle. Strauss, avec des œuvres comme Also sprach Zarathustra (1896), est vu comme un compositeur qui explore les grandes questions métaphysiques, tandis que Scelsi, avec sa musique méditative comme Quattro Pezzi su una nota sola (1959), évoque une quête intérieure proche des idéaux initiatiques.

Willem Pijper, maçon néerlandais, est célébré pour ses compositions des années 1920-1940, comme ses Adagios d’initiation pour loges bleues (1940), qui capturent l’essence des rituels maçonniques. Arsène Souffriau, compositeur belge du XXe siècle, est mis en lumière par Orlovsky pour sa musique des hauts grades du Rite Écossais Ancien et Accepté, notamment au neuvième grade, où il dépeint musicalement l’obsession de la vengeance et sa transcendance.

Orlovsky : contribution contemporaine

Le chapitre consacré à Anatoly Orlovsky, écrit par lui-même, est un moment fort de l’ouvrage. Il y décrit sa pièce Installation, composée pour violon solo lors de l’allumage des feux de la loge Les Amis Réunis à Montréal en 2012. Cette œuvre, interprétée par Carole Meneghel, est décrite comme un « entrelacs de fils mouvants » qui tisse une lumière intérieure. Orlovsky y privilégie un mélodisme radieux, mêlant des influences comme Elgar, Mahler et des compositeurs contemporains tels que Lera Auerbach et Peteris Vasks. Sa musique, disponible via un code QR, illustre une approche moderne de la musique maçonnique, où l’harmonie alter-tonale et les transmutations alchimiques traduisent le travail initiatique.

Vers une colonne d’éco-harmonie : vision pour le XXIe siècle

Dans la postface, intitulée « Vers une colonne d’éco-harmonie au temps de l’Anthropocène », Orlovsky propose une vision audacieuse pour l’avenir de la musique maçonnique. S’inspirant de compositeurs comme Einojuhani Rautavaara (Cantus Arcticus, 1972) et Sofia Gubaïdulina, il appelle à une musique qui intègre le vivant – oiseaux, glaciers, forêts – dans une chaîne d’union élargie. Cette « transmusique » pourrait, grâce aux technologies comme la spatialisation du son, devenir une expérience multisensorielle, où l’auditeur se connecte au tout-vivant. Orlovsky cite des figures comme John Luther Adams et Anna Thorvaldsdottir, qui explorent des formes organiques et naturomorphes, pour illustrer cette nouvelle direction.

Symbolique du vivant : repenser le sacré et le profane

Vaillancourt conclut l’ouvrage avec une réflexion sur la nécessité de dépasser le dualisme sacré/profane. S’appuyant sur l’écologie scientifique, qui rejette l’idée de sanctuaires naturels isolés au profit d’une protection globale de la Terre, il invite la Franc-maçonnerie à revoir ses schèmes fondateurs. La musique, qu’elle soit maçonnique ou non, est vue comme un vecteur d’unité spirituelle, capable de transcender les catégories traditionnelles et de s’irriguer des forces du vivant.

Ouvrage essentiel pour les amateurs de musique et d’initiation

La Musique des Francs-Maçons, de Mozart à Nos Jours est un ouvrage d’une richesse exceptionnelle, qui allie érudition, sensibilité et vision prospective. Yves Vaillancourt et Anatoly Orlovsky, par leurs regards complémentaires – l’un analytique et philosophique, l’autre créatif et poétique – offrent une exploration captivante de la musique maçonnique. De Mozart à Orlovsky, en passant par des figures majeures comme Beethoven, Sibelius et Souffriau, cet essai montre comment la musique peut être un outil d’initiation, un pont vers l’intériorité et une réponse aux défis de notre époque. En plaidant pour une colonne d’éco-harmonie et une symbolique du vivant, les auteurs ouvrent des perspectives nouvelles pour la Franc-maçonnerie et pour l’art, dans un monde en quête de sens et de connexion. Un livre incontournable pour les mélomanes, les initiés et tous ceux qui croient au pouvoir transformateur de la musique.

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Alice Dubois
Alice Dubois
Alice Dubois pratique depuis plus de 20 ans l’art royal en mixité. Elle est très engagée dans des œuvres philanthropiques et éducatives, promouvant les valeurs de fraternité, de charité et de recherche de la vérité. Elle participe activement aux activités de sa loge et contribue au dialogue et à l’échange d’idées sur des sujets philosophiques, éthiques et spirituels. En tant que membre d’une fraternité qui transcende les frontières culturelles et nationales, elle œuvre pour le progrès de l’humanité tout en poursuivant son propre développement personnel et spirituel.

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