dim 25 mai 2025 - 17:05

Les magiciennes du Grand Œuvre : « Quand les femmes font parler l’Or »

En ce dimanche 25 mai, nous adressons une pensée fraternelle et lumineuse à toutes les mères – celles qui donnent la vie, celles qui veillent dans l’ombre, celles dont l’amour nourrit le monde. Et c’est en pensant à elles, aux forces féminines de transmission, de sagesse et de transmutation, que nous consacrons notre note de lecture du jour à des femmes d’exception. Mais pas n’importe lesquelles : des femmes alchimistes. Des femmes remarquables.

Dans cet ouvrage qui prend la forme d’une traversée des siècles, Grégoire Brissé accomplit une œuvre réparatrice. Non pas tant dans une volonté de réhabilitation – ce mot, trop connoté, suppose encore une hiérarchie à renverser – que dans une opération de révélation : faire apparaître, par le Verbe et l’image, ces femmes qui furent non seulement des praticiennes du Grand Œuvre, mais surtout des incarnations vivantes de la transmutation. En cela, Les Femmes alchimistes est un livre de feu, un livre de chair, un livre d’âme.

Le cœur battant de l’ouvrage est un cortège de douze figures féminines, chacune portant en elle la flamme de l’alchimie, tour à tour initiée, magicienne, princesse, mécène ou chimiste, parfois les cinq à la fois. Le cahier central d’illustrations, précieusement inséré au milieu de l’ouvrage, n’est pas anecdotique. Il vient incarner cette parole retrouvée, donner un visage à l’ombre, rendre au lecteur cette présence charnelle et magnétique que l’écriture seule ne suffit pas à fixer. Voir le regard profond de Marie la Juive, deviner la noblesse tragique de Catherine Sforza, la détermination intériorisée d’Anne-Marie-Louise de Médicis, c’est faire l’expérience d’une reconnaissance silencieuse. Comme si ces femmes, longtemps effacées du livre de l’Histoire, reprenaient enfin leur place dans notre imaginaire symbolique.

La figure de Marie la Juive ouvre le bal comme une première lueur dans les ténèbres d’Alexandrie. Citée par Zosime au IIIe siècle, elle est décrite comme ayant été « initiée par Dieu » – formule saisissante, qui rappelle l’origine divine et directe de certaines vocations alchimiques. Marie n’est pas seulement celle qui invente le bain-marie ou le kerotakis, mais celle qui pense le laboratoire comme un Temple, et l’opération comme une prière. Elle est matrice à la fois d’une science et d’un style, figure primordiale où se confondent sagesse, technique et mystique.

Plus loin, Catherine Sforza, noble italienne du XVe siècle, rayonne de cette énergie dionysiaque qui anime les femmes de pouvoir fascinées par la connaissance interdite. Emprisonnée, accusée de sorcellerie, elle n’en continue pas moins de travailler à l’élixir de vie dans l’intimité de ses geôles. Le laboratoire devient alors cellule, et la cellule devient creuset. Il y a chez elle quelque chose de l’alchimiste martyre, figure christique du féminin sacrifié à la peur des hommes. Grégoire Brissé ne se contente pas d’en faire une héroïne romantique : il en fait une sœur de Loge invisible, travaillant à l’élévation de l’esprit malgré les chaînes du monde profane.

L’ouvrage s’attarde également sur Martine de Bertereau, la baronne minéralogiste du XVIIe siècle, dont les Véritables déclarations envoyées au roi Louis XIII constituent un témoignage bouleversant. Femme savante, géologue, mais aussi initiée aux sciences subtiles, elle combine exploration de la Terre et alchimie intérieure. Emprisonnée pour ses écrits et ses pratiques, elle meurt en détention. Une vie de combat, de lumière et de silence, où la quête de l’or s’élève bien au-delà de l’ambition matérielle pour devenir une offrande spirituelle.

Et puis, il y a l’étrange et fascinante Mary Anne Atwood, dont le nom résonne comme un écho lointain à travers les méandres de l’ésotérisme anglais du XIXe siècle. Formée par son père, elle rédige A Suggestive Inquiry into the Hermetic Mystery, texte majeur qu’elle fait détruire à sa parution… par fidélité au secret initiatique. Cet acte de retrait n’est pas un renoncement, mais un serment. Une fidélité farouche à l’esprit de la Tradition, qui fait d’elle l’une des dernières grandes figures de l’hermétisme féminin. Elle est la dépositaire d’un savoir qui ne cherche ni disciples ni reconnaissance, mais qui poursuit sa course dans l’invisible.

Dans ce chœur de femmes se glisse aussi Christine de Suède, « cas à part », comme l’indique l’auteur. Reine, philosophe, passionnée par l’hermétisme chrétien, elle abdique pour suivre sa quête intérieure. Étrange trajectoire que la sienne, faite d’éclats, de ruptures, de fulgurances. Elle est l’archétype de la transmutation royale, celle qui quitte la couronne temporelle pour l’anneau d’or spirituel.

Mais ce que Grégoire Brissé parvient surtout à faire, c’est de tisser un fil rouge entre ces femmes. Par-delà les siècles, les pays, les langues, elles partagent un même élan : celui de l’union des contraires, du dépassement des genres, de l’ascension par la matière transfigurée. Loin de se poser en concurrentes des hommes, elles en prolongent le geste, elles en éclairent l’ombre. La tradition alchimique est ici pensée comme une spirale ascendante, une échelle de Jacob où chaque échelon féminin vient compléter l’ouvrage du Temple intérieur.

Ainsi l’ouvrage devient miroir. Nous y lisons le reflet de nos propres quêtes, de nos doutes, de nos feux secrets. Nous y percevons l’appel à la réconciliation, à la complétude, à cette union mystique entre le roi et la reine, entre le sel et le soufre, entre l’intellect et l’amour. Il y a dans ces pages un souffle maçonnique discret, mais tenace : celui qui murmure que le Temple n’est pas complet tant que la part féminine de la lumière n’y a pas été reconnue.

Et si ce livre trouvait sa place sur la table d’un Atelier ? Non comme un objet d’étude, mais comme une clef. Car Les Femmes alchimistes de Grégoire Brissé n’est pas un ouvrage à consulter. C’est une porte à franchir.

Les Femmes alchimistes

Grégoire BrisséÉditions Dervy, 2025, 176 pages, 18 € – Format Kindle 12,99 €

1 COMMENTAIRE

  1. Un hommage à toutes les femmes, mères, sœurs, alchimistes de l’âme…
    En ce dimanche de Fête des Mères, souvenons-nous qu’à l’origine de ce jour il y a un combat. Un combat d’amour, de mémoire, de dignité. Celui d’Anna Jarvis, qui voulut honorer la figure maternelle par une journée de reconnaissance et non de consommation. Ruinée, seule, internée, elle fut broyée par les marchands du Temple qu’elle dénonçait.
    Notre note de lecture sur « Les Femmes alchimistes » est aussi un cadeau symbolique, une offrande d’encre et de lumière à toutes celles qui transmutent le réel, dans l’ombre ou la clarté. À celles qui enfantent des idées, soignent les âmes, veillent aux équilibres invisibles du monde.
    Que cette publication soit un clin d’œil à l’esprit de notre sœur en humanité Anna Jarvis.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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