sam 24 mai 2025 - 05:05

Les nouveaux gourous existentiels : une menace contemporaine ou une réponse à la quête de sens ?

Inspiré (entre autre) de l’enquête du Point

Dans une société en perpétuelle quête de repères, marquée par des bouleversements technologiques, sociaux et environnementaux, une nouvelle figure émerge : le « gourou existentiel ». Ce terme, popularisé récemment dans un article du Point publié le 20 mai 2025, désigne des leaders charismatiques qui exploitent les failles psychologiques et les aspirations spirituelles des individus en quête de sens. Ces nouveaux gourous, loin des stéréotypes des chefs sectaires traditionnels, s’adaptent aux attentes contemporaines en proposant des discours centrés sur l’humain, la santé, l’écologie ou encore la spiritualité.

Mais qui sont-ils vraiment, et comment s’inscrivent-ils dans notre époque ? Cet article explore en profondeur ce phénomène, ses origines, ses mécanismes, ses dangers et les réponses possibles pour y faire face.

Un contexte propice à l’émergence des gourous existentiels

Infirmière totalement gantée et protégée en laboratoire
Infirmière totalement gantée et protégée en laboratoire

Le concept de « gourou existentiel » trouve ses racines dans un monde en pleine mutation. Comme le souligne l’article du Point, la pandémie de Covid-19, les avancées rapides de l’intelligence artificielle et les crises écologiques ont profondément ébranlé les repères traditionnels. Ces bouleversements ont amplifié les questionnements existentiels : peur de la mort, quête de liberté, besoin de responsabilité individuelle et recherche d’un sens à la vie. Dans ce vide spirituel et social, les gourous existentiels prospèrent en proposant des réponses apparemment simples à des problématiques complexes.

Sai Bhargavi Vedula

Sai Bhargavi Vedula, chercheuse indienne citée dans l’article, propose un cadre théorique autour du « leadership existentiel ». Selon elle, ce type de leadership, initialement pensé pour le monde du travail, peut être détourné pour répondre aux aspirations des adeptes de mouvements sectaires. En mettant l’accent sur des thèmes universels comme la finitude humaine, la liberté de choix ou la créativité, ces leaders captent l’attention de populations désorientées. Contrairement aux gourous des années passées, souvent associés à des doctrines religieuses rigides, les gourous existentiels adoptent une approche plus fluide, utilisant une « novlangue » accessible et des promesses de « réincarnation intérieure » ou de « guérison spirituelle ».

Les quatre piliers du gourou existentiel

D’après les travaux de Sai Bhargavi Vedula, les gourous existentiels s’appuient sur quatre axes majeurs pour asseoir leur influence :

  1. La confrontation à la finitude : La mort, qu’elle soit biologique ou symbolique (comme la fin d’une carrière), est un thème central. Ces leaders incitent leurs adeptes à accepter l’anxiété liée à la finitude pour en faire un moteur de transformation personnelle. Par exemple, ils peuvent présenter la peur de la mort comme une opportunité pour « libérer son potentiel créatif ».
  2. La liberté et la responsabilité : Les gourous existentiels insistent sur l’idée que chaque individu est libre de ses choix et responsable de donner un sens à sa vie. Ce discours, séduisant dans une société individualiste, peut toutefois glisser vers une manipulation, où l’adepte se sent coupable de ne pas atteindre les idéaux proposés.
  3. La quête de sens : Dans un monde où les institutions traditionnelles (religions, politiques) peinent à répondre aux aspirations modernes, ces gourous offrent des récits simplifiés qui promettent un avenir meilleur, souvent teinté d’écologie ou de bien-être.
  4. La connexion humaine : En s’appuyant sur des discours centrés sur l’humain, ils créent un sentiment d’appartenance, exploitant le besoin fondamental de lien social.

Ces quatre piliers, bien que fondés sur des vérités psychologiques universelles, deviennent des outils de manipulation lorsqu’ils sont utilisés pour instaurer une emprise mentale. Comme le note l’article, ces gourous savent « reconnaître et exploiter les failles » des individus, en particulier dans un contexte où l’esprit critique est parfois affaibli par le flux constant d’informations numériques.

Une stratégie adaptée à l’ère numérique

Hommes du Ku,Klux,Klan en réunion
Hommes du Ku,Klux,Klan en réunion

L’évolution des gourous existentiels est indissociable de l’essor des technologies numériques. Contrairement aux « gourous d’il y a vingt ans » qui s’appuyaient sur des livres ou des cassettes, comme le souligne une spécialiste du monde des sectes, les nouveaux gourous maîtrisent les réseaux sociaux. Ils utilisent des plateformes comme Instagram, TikTok ou YouTube pour diffuser leurs messages, souvent sous la forme de contenus inspirants ou de coaching personnel. Cette « ubérisation » des dérives sectaires, évoquée dans un article du Point datant de 2021, rend leur influence plus insidieuse et difficile à détecter.

Les étapes de l’emprise restent toutefois similaires : une phase d’approche (souvent via des vidéos motivantes ou des webinaires gratuits), une phase de séduction (promesses de transformation personnelle) et une phase de soumission (adhésion à une doctrine ou à un individu). La différence réside dans la rapidité et l’échelle de cette influence :

un simple post sur les réseaux sociaux peut atteindre des milliers de personnes en quelques heures, amplifiant le pouvoir de ces figures.

Des promesses séduisantes, mais dangereuses

Siège de la Scientologie à Los Angeles
Siège de la Scientologie à Los Angeles

Les gourous existentiels se distinguent par leur capacité à s’adapter aux préoccupations contemporaines. Ils ne se contentent plus de proposer des dogmes religieux, mais surfent sur des thématiques en vogue : santé naturelle, écologie, développement personnel ou encore spiritualité laïque. Par exemple, certains prônent des pratiques comme le jeûne prolongé ou le crudivorisme, présentées comme des solutions miracles pour purifier le corps et l’esprit. Ces pratiques, bien qu’apparemment inoffensives, peuvent conduire à des dérives graves, comme des troubles alimentaires ou des risques pour la santé.

Un article du Point de 2021 mettait déjà en garde contre les « gourous 2.0 » qui échappent à la justice en raison de la difficulté à qualifier l’emprise mentale, surtout lorsqu’elle s’exerce à distance via des écrans. Les victimes, souvent isolées derrière leur ordinateur ou leur smartphone, peinent à reconnaître la manipulation. De plus, la légitimité accordée à certaines pratiques alternatives par des figures publiques ou des politiques, comme le souligne un autre article du Point, complique la lutte contre ces dérives.

La Franc-maçonnerie pourrait-elle être une secte ?

La question de savoir si la Franc-maçonnerie pourrait être assimilée à une secte, ou à un mouvement similaire aux gourous existentiels, revient fréquemment dans les débats sur les organisations ésotériques ou initiatiques. La Franc-maçonnerie, avec ses rituels, son organisation hiérarchique et son caractère discret, suscite parfois des suspicions de dérives sectaires.

Cependant, plusieurs éléments permettent de nuancer cette idée.

Delta lumineux sur PC portable
Delta lumineux sur PC portable

D’une part, la Franc-maçonnerie, fondée sur des principes de réflexion philosophique, de fraternité et d’amélioration personnelle, ne correspond pas strictement à la définition d’une secte. Une secte se caractérise par une emprise mentale, une rupture avec l’environnement social de l’adepte et une soumission à un leader charismatique. La Franc-maçonnerie, bien que dotée de structures organisées et de rituels symboliques, met généralement l’accent sur la liberté de pensée et n’impose pas de doctrine unique. Ses membres sont encouragés à réfléchir par eux-mêmes, ce qui contraste avec les mécanismes d’emprise des gourous existentiels.

D’autre part, certaines critiques pointent le secret entourant les activités maçonniques, qui peut alimenter des soupçons de manipulation ou d’influence occulte. Dans un article du Point datant de 2018, des témoignages faisaient état de pressions au sein de certaines loges, où des membres auraient été poussés à adopter des comportements conformes aux attentes du groupe.

Cependant, ces cas sont totalement marginaux et ne reflètent absolument pas l’ensemble des obédiences maçonniques, qui varient considérablement dans leurs pratiques.

En comparaison avec les gourous existentiels, la Franc-maçonnerie ne repose pas sur un individu charismatique unique, mais sur une structure collective. Elle ne promet pas de « solutions miracles » ni de transformations immédiates, mais propose un cheminement progressif à travers des rituels et des débats. Toutefois, dans un contexte de méfiance croissante envers les institutions, certains pourraient percevoir des similitudes avec les mouvements sectaires, notamment en raison de l’opacité perçue.

En réalité, la Franc-maçonnerie, bien qu’imparfaite, s’inscrit davantage dans une tradition de réflexion philosophique que dans une logique de manipulation.

Un défi pour les institutions et la société

Marionnette et main de marionnettiste
Marionnette et main de marionnettiste

Face à l’émergence de ces nouveaux gourous, les institutions peinent à réagir. En France, l’Assemblée nationale s’est saisie de la question, comme le rapporte une émission d’ARTE datée de février 2024, qui évoquait les « gourous 2.0 » capables de « contrôler les esprits » en exploitant les peurs et la recherche de solutions simples. Pourtant, la qualification juridique de l’emprise mentale reste complexe, et les réseaux sociaux offrent un terrain fertile pour ces manipulateurs.

Pour contrer ce phénomène, plusieurs pistes sont envisagées :

  • Renforcer l’éducation à l’esprit critique : Dans un monde saturé d’informations, apprendre à questionner les sources et les discours est essentiel. Les écoles et les médias ont un rôle à jouer pour promouvoir une pensée analytique.
  • Surveiller les plateformes numériques : Les réseaux sociaux doivent renforcer leurs mécanismes de détection des contenus manipulateurs, bien que cela soulève des questions sur la liberté d’expression.
  • Soutenir les victimes : Des associations comme l’Unadfi jouent un rôle crucial en accompagnant les personnes sous emprise, mais elles manquent souvent de moyens.
  • Légiférer : Une clarification juridique de l’emprise mentale pourrait faciliter les poursuites contre ces nouveaux gourous, tout en évitant les dérives autoritaires.

Une réflexion sociétale nécessaire

L’émergence des gourous existentiels reflète une crise plus large : celle d’une société en quête de sens dans un monde incertain. Comme le souligne l’article du Point, ces figures exploitent les failles d’une population parfois désabusée, en manque de repères. Mais elles posent aussi une question fondamentale : pourquoi tant de personnes se tournent-elles vers ces leaders autoproclamés ?

La réponse réside peut-être dans le déclin des institutions traditionnelles et dans l’individualisme croissant, qui laissent un vide que ces gourous comblent avec des promesses séduisantes.

Cependant, il serait réducteur de ne voir dans ce phénomène qu’une menace. Certains « gourous existentiels » peuvent, dans une certaine mesure, répondre à un besoin authentique de connexion et de sens. Le défi est de distinguer les démarches sincères des manipulations dangereuses. Cela nécessite une vigilance collective, mais aussi une réflexion sur la manière dont nos sociétés peuvent offrir des alternatives positives à ceux qui cherchent un but à leur vie.

Que faut-il en conclure ?

Les gourous existentiels, avec leur discours humaniste et leur maîtrise des outils numériques, incarnent une nouvelle forme de manipulation adaptée à notre époque. En exploitant les angoisses existentielles et les aspirations au bien-être, ils captent l’attention d’une population en quête de réponses. Si leur influence peut être séduisante, elle n’en reste pas moins potentiellement destructrice, tant pour les individus que pour la société. Face à ce défi, il est urgent de renforcer l’esprit critique, de soutenir les victimes et de repenser les cadres juridiques et sociaux pour empêcher ces nouveaux manipulateurs de prospérer dans l’ombre des réseaux sociaux.

Comme l’écrivait Charlie Hebdo en 2020, il s’agit de dire « merde » aux nouvelles formes de censure et de dictature, qu’elles viennent de gourous ou d’influenceurs autoproclamés.

Sources :

  • Le Point, « Franc-maçonnerie : entre mythes et réalités », 15 mars 2018.
  • Le Point, « Sectes : la nouvelle tendance des « gourous existentiels » », 20 mai 2025.
  • Le Point, « Les gourous 2.0 échappent-ils à la justice ? », 5 avril 2021.
  • ARTE, « Faut-il employer la manière forte contre les nouveaux gourous ? », 14 février 2024.
  • Le Point, « Cinq ans après l’attentat, Charlie Hebdo tacle les gourous de la pensée formatée », 7 janvier 2020.

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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