De notre confrère elnacional.com

« Le mal de notre temps est la perte de conscience du mal », observait le penseur indien Jiddu Krishnamurti, une réflexion qui résonne profondément dans notre société contemporaine, marquée par une quête effrénée de matérialisme et d’individualisme. En franc-maçonnerie, cette idée nous interpelle directement, car notre démarche initiatique vise précisément à élever la conscience pour atteindre ce que nous appelons le Troisième Œil – non pas une entité mystique, mais un symbole de l’éveil spirituel, de la vision intérieure qui transcende les illusions du monde profane. Pourtant, ce chemin vers la lumière est semé d’embûches, et parmi elles, le « mal » occupe une place centrale.

Si les religions traditionnelles associent le mal au péché, le présentant comme une voie vers l’enfer – un sujet que nous explorerons dans un prochain article –, la franc-maçonnerie propose une approche plus nuancée. Pour un maçon, le mal n’est pas une force surnaturelle ou démoniaque, mais un ensemble de défauts humains, ces « ennemis intérieurs » qui nous éloignent de l’harmonie et de la lumière : l’ego, le pouvoir, le fanatisme, le dogmatisme, l’ambition excessive et l’hypocrisie. Pour avancer sur le chemin initiatique, il est essentiel de comprendre ces obstacles, de les analyser et d’apprendre à les maîtriser.
Les Ennemis Intérieurs : Une Menace pour l’Initiation Maçonnique

Examinons ces ennemis un par un, en les replaçant dans le contexte maçonnique pour mieux saisir leur impact sur notre quête de lumière. L’ego, tel que défini par Sigmund Freud comme la conscience de sa propre identité, est un moteur ambigu. Dans sa forme positive, il nous pousse à chercher la vérité, à nous interroger sur nous-mêmes et à progresser dans notre travail maçonnique. Mais lorsqu’il se transforme en égoïsme, il devient destructeur. Un maçon dominé par son ego pourrait, par exemple, monopoliser la parole lors d’une tenue pour se mettre en avant, cherchant l’admiration de ses frères au lieu de contribuer à l’édifice collectif. Ce besoin constant de reconnaissance est l’antithèse de l’humilité maçonnique, qui nous enseigne que la véritable grandeur réside dans le service et l’écoute.

Le pouvoir, selon le sociologue Max Weber, est la capacité d’imposer sa volonté, même contre toute résistance. En franc-maçonnerie, le pouvoir peut être un outil au service de l’harmonie lorsqu’il est exercé avec sagesse, comme dans le rôle du Vénérable Maître, qui guide la loge avec bienveillance. Mais il devient un ennemi lorsqu’il est mal utilisé : un officier de loge qui privilégie son autorité personnelle sur le bien-être de ses frères trahit les idéaux maçonniques. Le dogmatisme, quant à lui, se caractérise par une rigidité intellectuelle, une croyance en des vérités absolues qui refusent toute critique. Ce défaut, fréquent dans les institutions religieuses ou idéologiques, peut aussi s’infiltrer dans la franc-maçonnerie lorsqu’un frère s’accroche à une interprétation figée des rituels – par exemple, en refusant d’admettre qu’un symbole comme le compas peut avoir des significations multiples selon les perspectives.

L’ambition débridée est un autre ennemi redoutable. En franc-maçonnerie, l’ambition peut être louable lorsqu’elle se traduit par un désir sincère de progresser sur le chemin initiatique, de passer de l’apprentissage à la maîtrise. Mais lorsqu’elle devient un désir insatiable de grades, de titres ou de reconnaissance, elle corrompt l’esprit maçonnique. Un maçon qui recherche le grade de Maître non pour approfondir sa quête intérieure, mais pour le prestige qu’il confère, s’éloigne de la lumière. Enfin, l’hypocrisie, que Ralph Waldo Emerson décrivait comme un manque de cohérence entre nos paroles et nos actes, est un poison subtil. Combien de maçons prêchent la tolérance en loge, mais agissent avec intolérance dans le monde profane ? Cette duplicité, souvent inconsciente, nous empêche de polir véritablement notre pierre brute et de nous rapprocher de l’idéal maçonnique.
Le Mal comme Absence de Lumière : Une Perspective Philosophique et Maçonnique

Dans une perspective maçonnique, le mal n’est pas une entité métaphysique, mais une absence – absence de bonté, absence de lumière, absence de conscience. Saint Augustin d’Hippone, dont les écrits ont influencé de nombreux penseurs maçonniques, affirmait que « le mal est l’absence du bien », une idée qui résonne avec la vision maçonnique de la quête de lumière. Socrate, dans son intellectualisme moral, allait plus loin en identifiant le mal à l’ignorance : pour lui, nul ne fait le mal volontairement, mais par manque de connaissance du bien. Cette perspective est particulièrement pertinente en franc-maçonnerie, où la quête de connaissance – symbolisée par le travail sur la pierre brute – est au cœur de l’initiation. L’ignorance, en nous éloignant de la vérité, nous maintient dans l’obscurité, loin de la lumière du Grand Architecte de l’Univers.

En psychologie moderne, le mal se manifeste à travers ce qu’on appelle le « facteur obscur de la personnalité », un ensemble de traits destructeurs qui reflètent un manque de bonté et de compassion. Parmi ces traits, on trouve l’égoïsme, qui sacrifie autrui pour son propre bénéfice ; le machiavélisme, qui manipule sans scrupules ; le narcissisme, qui exalte un sentiment de supériorité ; le sadisme, qui prend plaisir à humilier ; ou encore l’envie, qui convoite ce que les autres possèdent. Ces « agrégats psychologiques », comme les nommait le maître gnostique Samaël Aun Weor, sont des chaînes qui nous attachent à la colonne Boaz, nous empêchant d’atteindre l’équilibre de la colonne centrale. En franc-maçonnerie, ces défauts sont perçus comme des obstacles à l’éveil de la conscience, des ombres qui obscurcissent notre Troisième Œil.
Un maçon confronté à ces traits pourrait, par exemple, ressentir de l’envie face à un frère qui progresse plus rapidement dans son parcours initiatique, ou de l’arrogance en pensant que son interprétation d’un symbole est la seule valable. Ces émotions, si elles ne sont pas maîtrisées, créent des tensions en loge et freinent la croissance collective. La franc-maçonnerie nous enseigne que le mal, au fond, est un éloignement de notre essence spirituelle, une rupture entre notre corps physique et notre esprit. Un homme dominé par ces défauts vit dans un état de conscience inférieur, déconnecté de la Grande Énergie Universelle – cette force que les maçons nomment parfois le Grand Architecte de l’Univers, source de tout bien et de toute lumière.
La Réponse Maçonnique : Contrôler et Équilibrer pour Vivre au Centre

Face à ces ennemis intérieurs, la franc-maçonnerie propose une approche pragmatique, profondément enracinée dans sa symbolique et ses rituels. Contrairement à certaines traditions spirituelles qui prônent l’éradication totale des défauts – une quête illusoire, car la perfection humaine est hors de portée –, les maçons cherchent à les contrôler pour vivre « au centre ». Ce concept, central dans les rituels maçonniques, est symbolisé par la colonne centrale, l’axe d’équilibre entre Jakin et Boaz, entre la force et la sagesse, entre l’action et la contemplation. Vivre au centre, c’est reconnaître ses défauts sans se laisser dominer par eux, les maîtriser par un travail constant d’introspection et de réflexion.

Prenons l’exemple d’un maçon confronté à son ambition débridée : au lieu de nier ce défaut, il peut le transformer en une ambition positive, celle de progresser dans sa quête intérieure et de contribuer au bien-être de sa loge. Un apprenti qui ressent de l’envie face à un frère plus avancé peut transformer ce sentiment en une émulation fraternelle, en se demandant : « Comment puis-je, moi aussi, approfondir ma compréhension des symboles ? » De même, l’ego, lorsqu’il est canalisé, devient un outil pour avancer sur le chemin initiatique, en nous poussant à nous dépasser, à poser des questions et à chercher des réponses. Mais cela exige un travail patient : la méditation, la tenue régulière en loge, l’écoute des planches des frères, et même des pratiques comme le yoga ou la contemplation silencieuse sont autant de moyens de polir notre pierre brute.
La franc-maçonnerie, dans des rites comme le Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA), met l’accent sur cet équilibre. Lors de l’initiation au premier degré, le passage dans le cabinet de réflexion est un moment clé : seul face à lui-même, le profane est invité à se confronter à ses défauts, à ses peurs, à son ego, pour mieux les comprendre et les maîtriser. Ce travail ne s’arrête jamais : même un Maître Maçon, après des années de pratique, doit continuer à se remettre en question, car l’initiation est un chemin sans fin, un voyage vers la lumière qui demande humilité et persévérance.
Le Troisième Œil comme Voie de Sagesse

Le Troisième Œil, dans la tradition maçonnique, est l’éveil de la conscience, une vision intérieure qui transcende les illusions du mal et de l’ego. Pour l’atteindre, nous devons d’abord identifier les défauts qui nous en éloignent : l’ego, le pouvoir, le dogmatisme, l’ambition débridée et l’hypocrisie. En les contrôlant, nous pouvons vivre au centre, dans cet équilibre qui est le cœur de la démarche maçonnique. Comme le disait Baruch Spinoza, « la connaissance du mal est une connaissance inadéquate » : seule une quête sincère de lumière, guidée par l’humilité, la fraternité et l’amour, peut nous mener à la véritable sagesse. Les ouvriers d’Hiram Abiff, en travaillant à leur propre perfectionnement, contribuent à bâtir le temple universel de la conscience éveillée, un temple où le mal n’a plus de prise, car il est remplacé par la lumière de la vérité et de l’unité.
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