mar 20 mai 2025 - 08:05

La croix, espace et mouvement

La croix est la forme pour marquer l’intercession de l’horizontalité et de la verticalité. Bien avant de devenir l’emblème du christianisme, la croix fut en de nombreuses régions du monde, l’image du cosmos.
Les figures fermées, cercle triangle, carré, doivent représenter quelque chose de circonscrit, de délimité ou tout au moins de déterminé, en d’autres termes, des désignations objectives ou des substances. La Croix, au contraire, n’est l’indice que d’un simple changement d’état ; elle marque une modification accomplie ou destinée à s’accomplir au sein de ce qui possède l’existence objective.

C’est par la monade hiéroglyphique que John Dee en a fait la représentation dans son ouvrage Monas Hieroglyphica (1564).
Elle représente l’unité fondamentale de l’univers, reliant le divin, le cosmique et le terrestre. Ce symbole, composé de figures géométriques (point, cercle, croix, etc.), incarne les principes de création et les lois universelles. Dee soutient que la monade est une clé pour comprendre les mystères de la nature et de Dieu, en intégrant des concepts kabbalistiques, astrologiques et alchimiques.
Chaque élément du symbole a une signification : Le point central représente l’unité divine. Le cercle symbolise le cosmos ou le soleil. La croix relie les éléments (terre, air, eau, feu) et les nombres.
La croix possède une relation particulière avec les formes géométriques de bases comme le cercle, le carré ou le triangle. En effet, elle ordonne, découpe et permet de recentrer les formes géométriques dans un point central. C’est le centre de cette croix, qui est l’immuable principe de toute mobilité, c’est elle qui tourne pour répandre les étincelles du feu de la vie, c’est sur ses bras que montent et descendent les esprits et qui les répandent par extension dans le grand vaisseau universel.

La ligne droite rayonnant du Centre constitue l’expansion de l’énergie condensée dans le Point. Dès l’apparition du point sensible, apparaissent aussi ses conditions de manifestation, l’Espace et le Temps. Car le point en mouvement, soit par dilatation soit par déplacement, ne peut bouger que dans l’espace. D’autre part, les différentes positions occupées successivement dans l’espace par le point en mouvement, impliquent l’existence du temps. Le rayon, la ligne droite horizontale, est le symbole de l’Espace et les lignes perpendiculaires à la ligne droite marquent les positions successives occupées par le point en sa course à travers l’espace et symbolisent le Temps. L’Espace et le Temps étant les conditions mêmes de la manifestation du point sensible ou matériel, la Croix symbolise l’état d’Être Espace-Temps-Matière. C’est tout cela qu’exprime le christ chronocrator (celui qui domine le temps) pour lequel la chrétienté a choisi la croix en remplacement du poisson.

Parce que formée par l’intersection de deux perpendiculaires, la croix découpe l’espace en quatre. Or, quatre correspond aux saisons (printemps, été, automne, hiver), aux éléments (terre, eau, air, feu), aux points cardinaux (orient, midi, occident, septentrion), aux phases de la Lune (nouvelle, croissante, pleine, décroissante), à l’année (deux équinoxes et deux solstices), aux âges de la vie (enfance, jeunesse, maturité, vieillesse) et aux moments du jour (aube, midi, crépuscule, nuit).

Croix du christ
Croix du Christ dans la Lumière

La croix est un des plus anciens symboles qui existent. Elles sont présentes depuis le début de l’Antiquité dans un grand nombre de cultures aussi diverses que variées ; dans la multiplicité de leurs formes, elles ont eu des significations différentes. La majorité des croix sont héraldiques, c’est-à-dire qu’elles sont composées à partir d’un dessin armorial ou décoratif. Le symbolisme de la croix est lié à des idées telles que les quatre points cardinaux, les notions d’espace et de mouvement, l’unité des opposés ou le salut de l’âme.  

La croix fait office de symbole reliant les quatre éléments de base (terre, eau, air, feu) en son centre pour en formé le cinquième (éther) ; l’homme étant le centre qui se dirige selon les bras de la croix vers l’échelle planétaire.

La croix symbolise aussi la projection de l’homme dans l’espace : un homme debout bras écartés devant le soleil, projette son ombre au sol en forme une croix. Les extrémités de la Croix peuvent être comprises comme des récepteurs, qui accueillent les forces universelles pour les conduire au centre, ou au contraire comme des émetteurs diffusant la force intérieure dans le monde.

En Chine, la croix est la représentation du chiffre « cinq » car elle  est le centre et la synthèse du quatre.

Avant d’être le symbole de la passion, la croix était celui du salut. Les évangiles font dire à Jésus : «si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce à lui-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix et qu’il me suive.»

Les croix qui rappellent le supplice du Christ sont riches de symboles : selon J. Chevalier (Dictionnaire des symboles), «le pied de la croix enfoncé dans la terre signifie la foi assise sur de profondes fondations ; la branche supérieure de la croix indique l’espérance montant vers le ciel ; la largeur de la croix, c’est la charité qui s’étend jusqu’aux ennemis ; la hauteur de la croix, c’est l’espérance jusqu’à la fin.» Le crucifix n’apparaît dans le culte privé que vers la fin du VIe siècle et dans le culte public qu’après le Concile de Constantinople.

Les premières croix au bord de nos chemins furent sans doute érigées, dès les premiers siècles de notre ère, dans un but de protection divine. Elles pouvaient servir de bornage entre deux paroisses, commémorer une mission ou une fête votive, un jubilé ou encore un événement d’ordre privé. Elles étaient généralement toutes englobées dans les itinéraires suivis par les nombreuses processions des siècles passés, notamment au moment des rogations (bénédiction des récoltes). Beaucoup disparurent au fil du temps, souvent par vandalisme. Au moment de la Révolution, en particulier, il fut ordonné de détruire tous les signes extérieurs des cultes et beaucoup de croix firent les frais de cette politique.

Equerre Compas et Croix de Saint André
Equerre Compas et Croix de Saint André

La croix de saint André (utilisée dans l‘alphabet maçonnique) figure le passage maçonnique de l’Ancien au Nouveau testament, confirmé par l’Apôtre Saint André qui, d’abord disciple de Saint Jean Baptiste, né et prêchant sous l’Ancienne Loi, pour préparer les cœurs à la Nouvelle, abandonna son premier maître pour suivre sans partage Jésus-Christ, et scella ensuite de son sang son amour et sa foi pour son vrai maître.

Il y a environ 385 types de croix connus. Les croix portent un nom selon leur forme :

La croix simple ou latine décrit les états supérieurs d’ordre spirituel ou céleste au sein de la totalité des états d’être.

La croix double, dite de Lorraine, bien que d’origine grecque, associe les états spirituels (ou célestes) et humains (ou intermédiaires). Elle décrit l’être qui a réalisé l’union du divin et de l’humain symbolisée par la verticale.

La croix triple ou papale dépeint l’union des trois ordres (spirituel ou céleste; psychique ou intermédiaire; physique ou terrestre) représentée par la verticale. Elle est associée au Pontife, c’est-à-dire à celui qui est et qui fait le pont entre les trois mondes. Sous sa forme à branches multiples, la croix évoque également “l’Arbre du Milieu” qui s’élève au “Centre du Monde”. Dans la tradition biblique, “l’Arbre du Milieu” s’apparente à “l’Arbre de Vie” situé au milieu du “Paradis terrestre”.

La croix ansée, en usage en Égypte et chez les chrétiens des premiers siècles, symbolise l’accès aux états spirituels par la Voie directe, la boucle d’Horus, la porte étroite, le trou de l’aiguille, lieu de passage vers l’immortalité véritable. Placée sur le front, entre les deux yeux, elle représente le troisième Œil qui voit tout dans la parfaite simultanéité de l’éternel présent, c’est-à-dire au-delà des sens humains.

La croix Tau inversée met précisément en exergue les états spirituels ou supra-humains et dépeint le Ciel (vertical) au-dessus de la Terre (horizontale). Elle symbolise le monde céleste martelé par le tonnerre des dieux, tels Zeus dans la tradition grecque ou Thor dans la tradition scandinave

La croix aux branches d’égale longueur peut être orientée selon les quatre points cardinaux ou leurs points intermédiaires. Elle est dénommée grecque dans le premier cas et de Saint-André dans le second. Si l’on considère un mouvement ascendant, le triangle inférieur représente les progrès dans la Connaissance (du général au particulier). Le point d’intersection représente l’initié. Le triangle supérieur figure son enseignement, ouvert sur le monde, touchant de plus en plus d’adeptes. Si l’on considère un mouvement descendant, le triangle supérieur est le message divin venant du ciel. Le point de concours est la saisie par l’élu, le triangle du bas symbolisant la propagation de la Parole. Par sa forme en X, la croix de Saint-André évoque le nombre dix, cher aux platoniciens, somme des quatre premiers nombres et la Tetraktys (Jean Ferré, Dictionnaire des symboles maçonniques, p.103, éd. du Rocher, 1997).

L’orientation selon les points cardinaux illustre le déploiement d’un état d’être à partir de son centre. L’unité d’un état d’être, définie par le centre, se manifeste sous l’apparence de couples d’opposés symbolisés par la croix tréflée ou trilobée. Ces lobes sont étroitement associés car l’Unité renferme en elle-même toutes les oppositions apparentes qui ne se résolvent qu’en Elle ou dans le retour au centre. Un sens analogue se retrouve dans la croix pattée aux branches évasées à la base. Les deux pointes distinctes de l’extrémité de chaque branche convergent vers l’Unité au fur et à mesure que l’on approche du centre.

La croix aux branches égales s’inscrit aussi dans le cercle. Elle prend cette apparence chez certains peuples d’Amérique centrale et celtiques. La croix constitue alors un symbole du centre se déployant jusqu’à la périphérie et représente le Monde dans son Unité (centre) et sa manifestation (roue cosmique). Cette roue est surtout répandue sous la forme de 6 ou 8 rayons, notamment dans les traditions celtique et hindoue

De cette représentation découle directement celle du chrisme, inscrit ou non dans un cercle. Sous sa forme simple, les premiers chrétiens ont vu en lui les deux initiales grecques I et X de “Iêsous Christos”. Quant à sa forme constantinienne, elle résulte de l’union des deux premières lettres grecques X et P de «Christos». La boucle qui transforme l’I du Chrisme simple en P du Chrisme constantinien rappelle la boucle supérieure de la croix ansée et fait écho au trou de l’aiguille, à la voie directe ou verticale d’accès aux Cieux.

La croix de Jérusalem rappelle qu’aux quatre coins du Monde, symbolisés chacun par une croix en miniature, tout dérive de l’Unité et tout y retourne. Tel est le message donné par la représentation où les quatre Évangélistes ou Évangiles occupent la place des quatre croix. Lorsque les quatre petites croix occupent les extrémités des branches au lieu des quatre coins, la croix est dite recroisetée. Elle suggère que même éloignés du centre, nous pouvons toujours le retrouver à tout moment. Quand les quatre croix ne sont plus séparées, mais reliées par un cercle centré à l’intersection des branches, nous retrouvons un sens similaire avec la croix dite celtique.

La croix potencée est formée de quatre croix Tau orientées selon les points cardinaux. L’extrémité de chacune des branches marque l’achèvement de l’expansion de l’état considéré à partir du centre. Elle symbolise dans la Tradition polaire l’axe du monde et sa giration autour de l’étoile polaire. Inversement, la réalisation de la plénitude des possibilités liées à un état spécifique préfigure le retour vers l’état centré. La croix potencée est, en conséquence, un symbole d’expansion et de contraction, d’expiration et d’inspiration à l’image de la vie, de pulsation à l’image du cœur.
Le décalage à gauche ou à droite des extrémités des branches de la croix potencée conduit aux swastikas dextrogyres et sénestrogyres. Cette opération ajoute un mouvement de rotation au mouvement pulsatif, engendrant une spirale.
«Dans l’antiquité, nous trouvons ce signe, en particulier, chez les Celtes et dans la Grèce préhellénique, et, en Occident encore, il fut anciennement un des emblèmes du Christ, et il demeura même en usage comme tel jusque vers la fin du Moyen âge. Comme le point au centre du cercle et comme la roue, ce signe remonte incontestablement aux époques préhistoriques ; et, pour notre part, nous y voyons encore, sans aucune hésitation, un des vestiges de la Tradition primordiale» (René Guénon, L’Idée du Centre dans les Traditions antiques  de la Revue Regnabit de mai 1936)
Pour comprendre le glissement symbolique de cette croix ; on consultera le chapitre II du livre d’Alveilla De la migration des symboles, De la croix gammée au tétrascèle, à partir de la p.41.

La croix templière. On appelle Croix Templière la Croix que les Chevaliers de l’Ordre du Temple portaient sur leurs manteaux, leurs habits et leurs bannières. Le plus souvent on qualifie de Templière une Croix pattée et alésée de gueule, c’est-à-dire une croix au bras qui vont en s’élargissant pour finir de manière plate ou arrondie (pattée), qui ne touche pas les bords de l’écu (alésée) et de couleur rouge (gueule). Mais en fait les Templiers ont utilisé au cours de leur histoire différentes formes de croix, en particulier sur leurs sceaux, documents et bâtiments : on retrouve ainsi des Croix Templières sous forme de croix grecques, fleuronnées, fichées, potencées etc. Il semble cependant que les Templiers n’en aient guère utilisé que deux sur leurs vêtements : la croix pattée et la croix grecque, c’est-à-dire une simple croix droite aux branches égales (comme le drapeau suisse ou celui de la Croix-Rouge, par exemple). 

Dans l’article Signification et origine de la Croix Templière il est précisé : « La Croix de Malte apparaît bien sûr aussi en Franc-maçonnerie. Tout d’abord chez les Knights of Malta, grade qui précède celui de Knight Templar dans le Rite d’York. Mais on la retrouve également au Rite Écossais Ancien Accepté. Elle est curieusement décrite comme une Croix Teutonique par les anciens tuileurs, mais il s’agit souvent d’une Croix de Malte. Au 27e degré (Commandeur du Temple), la Croix dite Teutonique est généralement une croix pattée noire, ou une croix potencée noire chargée d’une croix dorée plus petite, avec un écusson portant l’Aigle Impérial, et qui était la croix des Grands Maîtres Teutoniques. Dans les deux cas, pour ce grade, il s’agit bien d’une Croix Teutonique.
Mais sur les cordons et sautoirs du 30e grade (Chevalier Kadosh), degré d’inspiration templière, c’est bien une Croix de Malte rouge qui est représentée, malgré la description des tuileurs. Au 31e degré, c’est le plus souvent une Croix Pattée à bras épais, et au 32edegré, on trouve des Croix Pattées à bras épais, des Croix de Malte et des Croix potencées.
» 

Je ruisselle du supplice de ne pas être ce que je voudrais être ; de n’être que croix. Je crois en croissant (de lune), je croise les mondes, croisée pour délivrer tous les tombeaux d’illusions, à la croisée des chemins et de fenêtres où je croise l’autre dans le regard de l’aigle de St Jean de cette croix-là. Il faut que je te croie avant même de laisser surgir la foi et je deviens moi non plus.

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    Solange Sudarskis
    Solange Sudarskis
    Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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