lun 30 juin 2025 - 12:06

Match entre deux ouvrages : le Mainguy ou le Sudarskis

Deux lectures symbolistes des chemins maçonniques

Dans le vaste temple de la littérature maçonnique, deux ouvrages se distinguent par leur ambition de décrypter le symbolisme initiatique : La Symbolique Maçonnique du Troisième Millénaire d’Irène Mainguy (2001, éditions Dervy[1]) et le Dictionnaire vagabond en Franc-maçonnerie de Solange Sudarskis (2ème édition augmentée et illustrée, 2024, éditions Le compas dans l’œil[2]).

Ces deux œuvres, bien que partageant un objectif commun – éclairer les symboles maçonniques – adoptent des approches radicalement différentes, révélant des visions distinctes de ce que signifie “faire parler les signes muets” dans une démarche initiatique. Sous un œil symboliste, et non maçonnologique, comparons ces deux voyages au cœur de la franc-maçonnerie, en explorant leur capacité à guider l’initié vers la lumière intérieure.

L’Approche des Auteures : Dictionnaire ou Vagabondage ?

Irène Mainguy

Irène Mainguy, bibliothécaire au Grand Orient de France et érudite rigoureuse, propose avec La Symbolique Maçonnique du Troisième Millénaire une approche encyclopédique, héritière modernisée de Jules Boucher. Son ouvrage se veut un répertoire structuré, offrant une revue exhaustive des symboles maçonniques – outils, nombres, figures géométriques – avec une rigueur académique fondée sur des sources historiques comme les catéchismes du XVIIIe siècle. Mainguy corrige les interprétations erronées et livre un panorama clair, enrichi d’illustrations inédites, qui s’adresse principalement aux débutants ou à ceux cherchant un manuel de référence.

Solange Sudarskis

Solange Sudarskis, universitaire,  adopte une démarche radicalement différente dans son Dictionnaire vagabond en Franc-maçonnerie (Prix littéraire de l’Institut maçonnique de France pour la première édition). Loin de se limiter à une compilation, elle revendique un “vagabondage” intellectuel et spirituel. Avec plus de 1000 entrées, 800 illustrations, 1300 références (sources historiques, littéraires, vidéos, rituels), 4200 renvois internes, son dictionnaire est un réseau vivant de significations, mêlant symbolisme, rituels, mythes et philosophies. Préfacé par Christian Roblin, qui le décrit comme un “poumon qui fournit de l’oxygène”, l’ouvrage de Sudarskis transcende le format classique pour devenir une invitation à explorer la pensée maçonnique dans toute sa richesse et sa complexité.

Le Symbolisme Maçonnique : Clarté Analytique ou Profondeur Poétique ?

Sous l’œil symboliste, le traitement des symboles – cœur de la franc-maçonnerie – révèle une opposition fondamentale entre les deux œuvres. Le Mainguy adopte une approche analytique et descriptive, détaillant les significations des symboles comme l’équerre (rectitude) ou le compas (harmonie) avec précision. Cependant, cette méthode reste en surface de l’expérience initiatique. Comme le souligne une critique pertinente, “on ne devient pas poète en apprenant le dictionnaire” : Irène Mainguy donne les définitions, mais ne parvient pas à transmettre la dimension poétique et transformative du symbolisme. Expliquer un symbole ne remplace pas le fait de le ressentir lors d’un rituel ou d’une planche personnelle. Son ouvrage, bien qu’utile pour comprendre, manque d’une profondeur méditative qui guiderait l’initié dans une appropriation intérieure, essentielle pour progresser dans les grades symboliques (Apprenti, Compagnon, Maître).

Solange Sudarskis, en revanche, fait du symbole un langage vivant, un fil d’Ariane dans un voyage initiatique. Elle insiste sur la polyvalence des symboles, qui ne se réduisent jamais à une interprétation unique. Par exemple, son entrée sur « l’équerre » explore à la fois sa fonction opérative (outil du bâtisseur), les dangers de sa manipulation, et ses significations spirituelles (l’équité, la justice, la fidélité et l’irréprochabilité dans ses mœurs), tout en la reliant à des notions connexes comme le compas, le niveau, la pierre cubique,  la fonction du Vénérable, la géométrie, la gestuelle,… grâce à un réseau de renvois en petites majuscules. Cette approche dialectique, inspirée de Socrate, invite le lecteur à “passer d’un sens à un autre” par des ricochets de l’imaginaire. Sudarskis ne se contente pas de définir : elle fait dialoguer les symboles, les rituels et les mythes, offrant une expérience méditative qui résonne avec la quête maçonnique. Ses 800 illustrations – gravures, dessins, photographies – renforcent cette immersion, transformant le symbole en une porte ouverte sur l’âme.

Rituels et Initiation : Explication ou Incarnation ?

La franc-maçonnerie est une voie initiatique, et les rituels sont le creuset où les symboles prennent vie. Le Mainguy aborde les rituels de manière didactique, décrivant les grades fondamentaux et leurs éléments symboliques (voyages, épreuves). Mais son approche reste théorique : son auteure explique sans incarner. Par exemple, la légende d’Hiram, centrale au grade de Maître, est traitée comme un fait historique ou mythique, sans exploration de sa portée émotionnelle ou transformative. Irène Mainguy donne les clés pour comprendre, mais pas pour ressentir ou transcender, ce qui limite son ouvrage dans une perspective symboliste.

Sudarskis, au contraire, place les rituels au cœur de l’expérience maçonnique. Elle détaille les cérémonies des trois grades, en analysant leur dimension psychodramatique et leurs variances selon différents rites. La légende d’Hiram devient une mise en scène de la mort et de la renaissance, un miroir de la transformation intérieure, qu’elle relie à des mythes universels (Osiris, Adonis). Les serments, repris dans leur diversité rituelle, et les descriptions des gestes (batterie, signe d’ordre) ou des décors (pavé mosaïque, colonnes Jakin et Boaz) ne sont pas de simples descriptions : ils sont des invitations à revivre l’initiation. Le Sudarskis, par son style “passionnant et vertigineux”, fait du rituel un espace où le symbole s’incarne, où l’initié peut “faire parler les signes muets”, selon l’expression d’Oswald Wirth.

Philosophie et Universalité : Fermeture ou Ouverture ?

Sous l’angle philosophique, les deux auteures divergent également. Irène Mainguy, malgré son ambition de moderniser l’œuvre de Boucher, reste ancrée dans une vision eurocentrée et traditionnelle du symbolisme maçonnique. Elle n’aborde pas les défis contemporains – intégration de nouvelles cultures, impact de la sécularisation – et son “fil d’Ariane” dans le “dédale labyrinthique” des symboles s’arrête à une synthèse intellectuelle, sans ouvrir de nouvelles perspectives spirituelles. Son ouvrage, bien que rigoureux, manque de chaleur et de vibration, comme si les symboles, sous sa plume, restaient des objets d’étude plutôt que des miroirs de l’âme.

Solange Sudarskis, elle, ouvre grand les portes de l’universalité. Son Dictionnaire vagabond établit des ponts entre la franc-maçonnerie et d’autres systèmes de pensée – platonisme, gnose, kabbale, alchimie, bouddhisme – montrant que la quête maçonnique s’inscrit dans une recherche plus large du mystère de l’Être. L’initiation, définie comme un “éveil de conscience”, et la fraternité, vue comme une transcendance des différences, deviennent des concepts universels. Cette ouverture interdisciplinaire, soutenue par 1300 références et un index analytique thématique, ancre l’ouvrage dans le XXIe siècle, tout en préservant la profondeur spirituelle. Le Sudarskis ne se contente pas d’expliquer : il invite à penser par soi-même, à construire son propre chemin initiatique.

Public et Utilité : Pour Qui et Pourquoi ?

Irène Mainguy s’adresse principalement aux débutants ou aux chercheurs. Son ouvrage est un manuel précieux pour un Apprenti cherchant à décrypter les bases du symbolisme, mais il déçoit les initiés plus avancés (Compagnon, Maître) qui aspirent à une compréhension vécue. Comme un dictionnaire, il donne les définitions, mais ne permet pas de composer la “poésie de l’âme maçonnique”. Il doit être complété par le travail en loge et une méditation personnelle pour devenir un outil de progression.

Solange Sudarskis, en revanche, parle à un public plus large et diversifié. Les apprenants y trouvent un guide pour décoder les rituels et les symboles, les érudits apprécient les connexions interdisciplinaires, et les profanes curieux découvrent une introduction érudite à la franc-maçonnerie. Conçu comme une “main tendue”, l’ouvrage accompagne les initiés dans leur progression, tout en encourageant une réflexion personnelle. Malgré une prose parfois dense, qui peut rebuter les novices, il brille par sa capacité à inspirer et à faire voyager, tel un “vagabond” spirituel.

Qui Éclaire le Temple ?

Sous l’œil symboliste, qui privilégie l’expérience initiatique à l’analyse maçonnologique, le Dictionnaire vagabond de Solange Sudarskis s’impose largement. Irène Mainguy offre un outil de savoir, utile mais statique, qui s’apparente à une bibliothèque bien rangée : on y trouve des réponses, mais pas d’élan vers la lumière. Solange Sudarskis, elle, transforme le temple maçonnique en un espace vivant, où les symboles dansent, où les rituels vibrent, où l’initié devient un “voyageur aux mains libres”. Son ouvrage, qualifié par Jacques Carletto de « pure merveille » et par Christian Roblin de “répertoire enchanté”, sème des points d’interrogation, invitant chacun à construire sa propre quête.

Le Mainguy donne les clés pour comprendre ; le Sudarskis ouvre les portes pour ressentir. Dans la confrontation entre ces deux œuvres, le Sudarskis rayonne davantage en offrant une voie symboliste authentique, où le symbole n’est pas une définition, mais une étoile qui guide vers l’infini.

Pour l’initié en quête de transformation, La Symbolique Maçonnique du Troisième Millénaire, est un simple manuel de voyage, le Dictionnaire vagabond en Franc-maçonnerie est un compagnon de route.


[1] Broché ‏ : ‎ 640 pages, Poids de l’article ‏1,02 Kg, Dimensions‎ 16.3 x 3.5 x 24.1 cm

[2] Broché ‏ : ‎850 pages, Poids de l’article ‏1,99 Kg, Dimensions ‏ 20.2 x 4.1 x 29.8 cm

5 Commentaires

  1. est-ce que Irène explique le symbole et que Solange le fait vivre?
    loin de les opposer ne doit on pas voir une nouvelle expression du pavé mosaïque?

  2. Solange Sudarskis est la « Chèvre de Mr Seguin » de la littérature maçonnique.
    La chèvre de Monsieur Seguin incarne le désir d’évasion et d’indépendance, quitte à affronter le danger, plutôt que de rester enfermée dans un cadre sécurisant mais contraignant. Cette comparaison osée, entre Solange Sudarskis et cette chèvre rebelle fait écho à son approche du symbolisme maçonnique : un parcours libre, non figé dans une méthodologie stricte, mais plutôt nourri d’intuition et de vagabondage intellectuel, voire de poésie.
    Tout comme la chèvre de Daudet refuse la captivité pour goûter la grandeur de la montagne, Solange Sudarskis offre une lecture des symboles qui laisse place à l’inspiration, à l’intuition et à la diversité des interprétations, loin des définitions rigides. Son « Dictionnaire vagabond » est une errance maîtrisée, une invitation à la découverte, là où Irène Mainguy propose un cadre plus structuré, un enclos méthodique pour l’esprit.
    Mais alors, cette liberté a-t-elle un prix ? Dans le conte de Daudet, la chèvre paie de sa vie son désir d’indépendance, victime du loup au lever du jour. Faut-il en conclure que l’approche de Solange Sudarskis, bien que foisonnante et vibrante, risque parfois de perdre le fil d’un savoir plus rigoureux ? Ou, au contraire, qu’elle incarne une philosophie du chemin initiatique, où l’essentiel n’est pas tant de posséder la connaissance que de la vivre pleinement, quitte à s’égarer en chemin pour mieux se retrouver ?
    Cette dualité entre méthode et intuition traverse l’histoire de la pensée, de la littérature :
    – René Descartes / Blaise Pascal –avec son Discours de la méthode, Descartes incarne la rigueur rationnelle et analytique, tandis que dans ses Pensées, Pascal valorise l’intuition et le cœur comme sources de vérité.
    – Immanuel Kant / Friedrich Nietzsche – Kant structure la connaissance à travers des catégories rationnelles (Critique de la raison pure), alors que Nietzsche privilégie l’instinct, l’intuition et la force vitale (Ainsi parlait Zarathoustra).
    – Jules Verne / Arthur Rimbaud – Verne, méthodique, scientifique dans ses récits d’exploration, contraste avec Rimbaud, poète de l’illumination et du vagabondage intérieur.
    – Paul Valéry / Marcel Proust – Paul Valéry prône une écriture maîtrisée et méthodique (Monsieur Teste), alors que Proust explore la mémoire involontaire et l’intuition du passé (À la recherche du temps perdu).
    – Sigmund Freud / Carl Gustav Jung – Freud analyse l’inconscient avec une approche méthodique et clinique, alors que Jung privilégie les archétypes et l’intuition dans la quête du soi.

  3. Le souffle plutôt que le système : pourquoi choisir Sudarskis, notre très chère sœur Solange…
    À qui s’interroge sur l’outil le plus fécond pour accompagner son cheminement maçonnique, la confrontation entre les ouvrages d’Irène Mainguy et de Solange Sudarskis n’est pas qu’une affaire de style ou de format. Elle révèle deux postures fondamentales face au symbole : l’une encyclopédique, l’autre inspirée ; l’une méthodique, l’autre poétique. Et, en définitive, deux conceptions du savoir initiatique.
    L’ouvrage d’Irène Mainguy, incontestablement précieux, se présente comme un manuel de repères. Il offre une cartographie ordonnée, claire, mais aussi figée. Cette entreprise de rationalisation du symbolisme, bien qu’utile, risque de dessécher ce qu’elle cherche à éclairer.
    Car, en matière initiatique, le sens ne se donne pas à lire : il s’éprouve. Le symbole n’est pas un signe figé dans un catéchisme : il est vibration, mouvement, passage.
    C’est là que le « Dictionnaire vagabond » de Solange Sudarskis prend tout son relief. Il est, au sens plein du terme, un compagnon de route. L’initié s’y sent reconnu non comme élève, mais comme voyageur libre, invité à penser, ressentir, associer. Loin des définitions univoques, chaque entrée est un miroir à facettes, où le symbole renvoie à l’imaginaire, au rituel, à l’universel. Sudarskis ne décrypte pas : elle éveille.
    Son œuvre incarne ainsi une épistémologie du cœur, où la vérité n’est pas stockée, mais révélée, par la méditation, par l’intuition, par l’écho intérieur. Ce dictionnaire est une loge intérieure à lui seul : il fait travailler, il fait douter, il relie.
    L’approche vagabonde, loin d’être un défaut, est précisément ce qui honore la nature du chemin maçonnique, fait de détours, de reprises, de ricochets symboliques. C’est en cela que le Sudarskis dépasse le Mainguy : non en érudition, mais en profondeur d’inspiration.
    Alors que l’un éclaire la façade, l’autre ravive le feu central.
    Dans le Temple, mieux vaut un flambeau qu’un plan.

    • L’analogie du « flambeau plutôt qu’un plan » est particulièrement puissante. Elle suggère que, pour véritablement progresser sur la voie maçonnique, il ne suffit pas d’avoir un manuel méthodique—il faut une source d’inspiration qui éclaire de l’intérieur.

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Alice Dubois
Alice Dubois
Alice Dubois pratique depuis plus de 20 ans l’art royal en mixité. Elle est très engagée dans des œuvres philanthropiques et éducatives, promouvant les valeurs de fraternité, de charité et de recherche de la vérité. Elle participe activement aux activités de sa loge et contribue au dialogue et à l’échange d’idées sur des sujets philosophiques, éthiques et spirituels. En tant que membre d’une fraternité qui transcende les frontières culturelles et nationales, elle œuvre pour le progrès de l’humanité tout en poursuivant son propre développement personnel et spirituel.

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