dim 29 juin 2025 - 04:06

Philippe de Villiers : le retour du vieux spectre de l’obscurantisme

En prenant pour cible la Grande Loge de France et, plus largement, la Franc-Maçonnerie, Philippe de Villiers ressuscite avec emphase une rhétorique d’un autre âge. Derrière un discours qui se veut érudit, baroque et empreint de fulgurances historiques, c’est en réalité le vieux fonds de l’antimaçonnisme français qui réapparaît, celui qui confond secret et conspiration, symbolisme et subversion, spiritualité et manipulation.

Tout commence par un amalgame confus, presque onirique, entre toupie kaléidoscopique, triangle maçonnique et tunique christique. Cette approche analogique, propre à la rhétorique villiériste, vise à décrédibiliser la cohérence du discours présidentiel en le renvoyant à une forme de double jeu, voire de duplicité mentale. Mais l’amalgame entre la Trinité chrétienne et le « triangle » maçonnique révèle surtout une incompréhension des registres : le symbole maçonnique du Delta lumineux n’est en rien un contre-symbole chrétien, mais une figure d’élévation intellectuelle et spirituelle – l’Œil qui voit en pleine lumière, non pour surveiller, mais pour éveiller.

Lorsque de Villiers évoque ensuite les Loges comme des lieux où « tous les tabliers sont réunis » pour célébrer une loi sur la fin de vie, il projette sur les Francs-Maçons un fantasme d’influence occulte. Rien ne permet d’affirmer que la Franc-Maçonnerie, dans sa diversité obédientielle, agit comme un pouvoir politique caché. Elle est un espace de débat, non un lobby dogmatique. La Grande Loge de France, fidèle au Rite Écossais Ancien et Accepté, invite ses membres à réfléchir librement sur les grandes questions humaines, dans le respect de la conscience de chacun.

Quant à l’accusation d’obscurantisme, elle est renversante. Car ce sont précisément les Lumières maçonniques qui, historiquement, ont combattu les obscurantismes de leur temps : ceux de l’intolérance, de la censure, de l’inquisition morale ou politique. L’obscurité ne se trouve pas là où l’on étudie, médite, transmet, mais bien dans les dogmatismes qui prétendent enfermer la vérité dans une unique lecture du monde.

Affiches propagande antimaçonnique
Affiches propagande antimaçonnique

Sur la laïcité enfin, Philippe de Villiers commet une faute intellectuelle grave. Dire que la loi de 1905 fut une entreprise d’éradication du christianisme, c’est méconnaître à la fois le texte et l’esprit de la loi. Cette loi ne nie pas le fait religieux ; elle le protège. Elle n’exclut pas les croyants ; elle les libère. Elle ne dépossède pas l’Église ; elle garantit à toutes les confessions une égale dignité. C’est pourquoi, depuis plus d’un siècle, des croyants de toutes confessions s’en réclament. La Franc-Maçonnerie elle-même ne promeut pas l’athéisme militant : elle appelle à la liberté absolue de conscience, ce qui inclut le droit de croire, comme celui de ne pas croire.

Dans un style empreint de lyrisme crépusculaire, Philippe de Villiers convoque enfin la cathédrale comme métonymie du peuple français. Mais qu’est-ce qu’une cathédrale, sinon un chef-d’œuvre collectif, œuvre de compagnons, d’architectes, d’ouvriers du trait et du geste ? Là encore, les Francs-Maçons reconnaîtront dans cette allégorie un symbole profond : le Temple intérieur se bâtit avec patience, fraternité et rigueur, loin des anathèmes et des jugements hâtifs.

Affiche de propagande nazie de lexposition antimaçonnique de Belgrade 1941-1942

La Franc-Maçonnerie, loin d’être un « goût de l’obscurité », est une voie vers la Lumière. Son travail est silencieux mais fécond, souterrain mais jamais soustractif. Ce n’est pas elle qui menace la République : c’est l’amnésie, l’amalgame et l’intolérance. L’initiation maçonnique, au contraire, appelle à la vigilance éclairée, au discernement constant, à la construction lente d’un homme libre et d’un citoyen éclairé.

Il ne s’agit pas de faire taire les critiques, mais de répondre par l’intelligence du symbole, par la rigueur de l’histoire et par l’engagement éthique. Comme le rappelait le président Macron dans un passage que de Villiers élude, la République laïque n’est pas l’ennemie des religions : elle est leur gardienne en ce qu’elle les libère de toute instrumentalisation.

Et si nous devions, nous aussi, citer l’Évangile, ce serait pour rappeler ces mots :

« La Vérité vous rendra libres. »

(Évangile selon saint Jean, chapitre 8, verset 32)

Encore faut-il l’approcher sans crainte, sans masque et sans haine.

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9 Commentaires

  1. C’est toujours le même problème, parler de ce que l’on ne connaît pas .
    Faut inviter de Villiers à une TBO , bien lui expliquer que nous sommes des gens  » bien  » qui essayons de s’améliorer et mieux comprendre le monde et, surtout pas dans une stupide utopie .

  2. Un point de détail qui a son importance: la loi de 1905 n’est pas la loi traitant de la séparation de l’Eglise et de l’Etat mais de la séparation des Eglises et de l’Etat.

  3. Je partage le commentaire réservé sur la loi de 1905.
    Plus généralement, nos FF me semblent aujourd’hui plus devoir craindre d’une Société qui tend à discréditer la spiritualité, plutôt que de l Eglise.

  4. On peut regretter le propos de Philippe de Villiers sur la franc-maçonnerie qui montre sa méconnaissance de ce qu’elle est.
    Par contre il faut arrêter de faire du révisionnisme sur la loi de 1905.
    Certes c’est une loi de séparation de l’église et de l’état, mis dire qu’elle n’était pas anticléricale et dirigée à l’époque contre le catholicisme , c’est simplement faux.

    • Cher Merlin75,
      Votre commentaire met en avant le caractère anticlérical et dirigé contre le catholicisme de la loi de 1905, bien qu’elle soit officiellement une loi de séparation des Églises et de l’État. En tant qu’historien des religions, je pense qu’il est essentiel de replacer cette question dans son contexte historique pour en saisir toutes les nuances.
      La loi du 9 décembre 1905 marque la fin du régime concordataire et établit la laïcité en France, garantissant la liberté de conscience et l’égalité de traitement entre tous les cultes. Elle met fin au financement public des religions et impose à l’État une stricte neutralité religieuse.
      Cependant, il est indéniable que cette loi s’inscrit dans un contexte de fortes tensions entre la République et l’Église catholique, après plusieurs décennies d’anticléricalisme, notamment autour de l’enseignement et de l’influence politique de l’Église. Les lois précédentes (associations de 1901, dissolution de congrégations, laïcisation de l’enseignement) visaient déjà principalement à limiter le pouvoir du catholicisme, perçu comme un obstacle à la République.
      L’Église catholique, de loin la plus puissante et visible à l’époque, a donc été la principale concernée par la loi, contrairement aux autres cultes, moins nombreux et moins impliqués dans les conflits avec l’État. Aristide Briand (1862-1932), rapporteur de la loi et figure majeure de la politique française – célèbre aussi pour son engagement en faveur de la paix internationale ; lauréat du prix Nobel de la paix en 1926 et onze fois président du Conseil et plusieurs fois ministre –, a présenté ce texte comme une loi de neutralité, cherchant à apaiser les tensions. Mais cette présentation a aussi été vue comme une stratégie pour faire accepter une loi fondamentalement anticléricale à une population majoritairement catholique. Les débats parlementaires et la presse catholique dénonçaient d’ailleurs une loi « oppressive », perçue comme la suite logique des mesures antérieures contre l’Église.
      Le texte final de la loi est le fruit d’un compromis entre partisans d’une séparation radicale et ceux souhaitant maintenir un certain contrôle sur l’Église. Si beaucoup de catholiques l’ont ressentie comme une attaque, la loi a aussi permis de poser les bases d’un nouveau rapport, plus apaisé, entre l’État et les religions.
      Il est effectivement réducteur de nier le contexte anticlérical et la visée principalement catholique de la loi de 1905. Mais il ne faut pas non plus oublier qu’elle a ouvert la voie à une laïcité fondée sur la neutralité et la liberté religieuse, marquant le début d’une nouvelle ère de coexistence entre l’État et les religions en France. Comprendre cette loi, c’est accepter sa complexité et son héritage ambivalent.

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Charles-Albert Delatour
Charles-Albert Delatour
Ancien consultant dans le domaine de la santé, Charles-Albert Delatour, reconnu pour sa bienveillance et son dévouement envers les autres, exerce aujourd’hui en tant que cadre de santé au sein d'un grand hôpital régional. Passionné par l'histoire des organisations secrètes, il est juriste de formation et titulaire d’un Master en droit de l'Université de Bordeaux. Il a été initié dans une grande obédience il y a plus de trente ans et maçonne aujourd'hui au Rite Français philosophique, dernier Rite Français né au Grand Orient de France.

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