lun 12 mai 2025 - 09:05

Entre courage et lâcheté des Francs-maçons : Une analyse historique et psychologique

La Franc-maçonnerie, née au tournant du XVIIe et XVIIIe siècle, a souvent été perçue comme une force d’émancipation, un espace de réflexion et d’engagement humaniste, mais aussi comme une organisation secrète suscitant suspicions et controverses. À travers l’histoire, les francs-maçons se sont retrouvés dans des positions de courage héroïque ou de lâcheté notoire, reflétant les complexités de la nature humaine face à des contextes de crise. En France, lors de la Révolution française, de la Commune de Paris ou de la Seconde Guerre mondiale, et ailleurs, comme au Chili sous Salvador Allende et Augusto Pinochet, les Francs-maçons ont incarné des postures contradictoires.

Ces divergences soulèvent une question essentielle : les Francs-maçons sont-ils des héros ou des lâches ? En s’appuyant sur des exemples historiques et sur l’analyse des mécanismes psychologiques, notamment à travers l’émission « Dans la tête de… » de la RTS, cet article explore les dynamiques du courage et de la lâcheté au sein de la Franc-maçonnerie.

Les Francs-Maçons dans l’Histoire : Entre Héroïsme et Compromission

Ne manquez pas ci-dessous le reportage enquête de la RTS

La Révolution Française (1789-1799) : Une Franc-maçonnerie Divisée

Marquis de La Fayette

La Révolution française constitue un moment clé pour observer les tensions internes au sein de la Franc-maçonnerie. À cette époque, les loges maçonniques françaises, influencées par les idéaux des Lumières, comptaient de nombreux membres favorables à la République. Des figures comme le marquis de La Fayette, Franc-maçon et héros de la guerre d’indépendance américaine, ont soutenu activement les idéaux révolutionnaires de liberté, d’égalité et de fraternité, des valeurs qui résonnent avec les principes maçonniques. Les loges, comme celles affiliées au Grand Orient de France, ont souvent été des foyers de réflexion républicaine, où des idées progressistes étaient débattues.

Cependant, tous les Francs-maçons n’étaient pas républicains. Certains, issus de l’aristocratie ou proches de la monarchie, comme le comte de Provence (futur Louis XVIII), également Franc-maçon, ont défendu la cause royaliste. Cette division reflète la diversité des loges maçonniques, qui accueillaient des membres de toutes origines sociales et politiques. Si des maçons républicains ont fait preuve de courage en s’opposant à l’Ancien Régime, d’autres, par attachement à leurs privilèges ou par peur des représailles, ont adopté une posture plus prudente, voire lâche, en évitant de s’engager pleinement dans la tourmente révolutionnaire. Cette période illustre une première fracture : face à un contexte de crise, les Francs-maçons, malgré leurs idéaux communs, n’ont pas toujours su transcender leurs intérêts personnels ou leurs craintes.

La Commune de Paris (1871) : Engagement et retrait

Portrait de Jules Vallès (1832-1885)

Lors de la Commune de Paris, insurrection révolutionnaire de 1871, les Francs-maçons se sont à nouveau trouvés dans des camps opposés. La Commune, marquée par une tentative de révolution sociale et démocratique, a attiré des maçons progressistes, comme Jules Vallès, écrivain et communard, qui ont vu dans cet élan une occasion de mettre en pratique les idéaux maçonniques de justice sociale et de fraternité. Certaines loges, comme celles affiliées au Grand Orient, ont publiquement soutenu les communards, organisant des manifestations symboliques, telles que des défilés avec des bannières maçonniques devant les barricades.

Portrait d’Adolphe Thiers (1797-1877)

Mais d’autres Francs-maçons, notamment ceux issus de la bourgeoisie ou proches du pouvoir versaillais, ont adopté une position de retrait, voire de collaboration avec le gouvernement d’Adolphe Thiers, qui a réprimé la Commune dans un bain de sang. Cette répression, qui a fait entre 10 000 et 20 000 morts, a été vue par certains comme une trahison des idéaux maçonniques. Un commentateur contemporain aurait pu dire, comme le souligne un article d’AgoraVox, que Thiers a préféré la victoire de l’ordre établi à une révolution sociale, une attitude que certains maçons ont partagée par peur du chaos ou par opportunisme. Ici encore, le courage de certains maçons communards contraste avec la lâcheté de ceux qui, par calcul ou par peur, ont choisi de soutenir un régime autoritaire.

La Seconde Guerre Mondiale (1939-1945) : Résistance et collaboration

Pierre Brossolette

La Seconde Guerre mondiale est une période particulièrement révélatrice des comportements contradictoires des Francs-maçons. En France, sous le régime de Vichy, la Franc-maçonnerie a été officiellement interdite et persécutée. Le régime de Vichy, influencé par une idéologie antisémite et antim maçonnique, voyait dans les loges un complot judéo-maçonnique menaçant la pureté de la nation française. Des lois, comme celle du 11 août 1941, ont interdit les sociétés secrètes, et des milliers de maçons ont été fichés, déportés ou exécutés. Dans ce contexte, certains Francs-maçons ont fait preuve d’un courage exceptionnel en rejoignant la Résistance.

Par exemple, Pierre Brossolette, Franc-maçon et membre du réseau du Conseil National de la Résistance (CNR), a joué un rôle clé dans l’organisation de la lutte contre l’occupation nazie. Arrêté en 1944, il s’est suicidé pour éviter de parler sous la torture, un acte de bravoure qui incarne les idéaux maçonniques de sacrifice pour la liberté. De nombreuses loges, bien que dissoutes, ont continué à opérer clandestinement, servant de réseaux de résistance, comme le montre une étude du Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS). Des maçons ont également caché des Juifs ou des résistants, risquant leur vie pour défendre leurs valeurs.

Marcel Déat

Mais tous les Francs-maçons n’ont pas résisté. Certains, par opportunisme ou par peur, ont collaboré avec le régime de Vichy. Des figures comme Marcel Déat, ancien Franc-maçon et ministre sous Vichy, ont soutenu la collaboration avec l’Allemagne nazie. D’autres, moins visibles, ont choisi de se taire, évitant de s’opposer ouvertement au régime pour protéger leur famille ou leur position sociale. Cette ambivalence est d’autant plus frappante que la Franc-maçonnerie, par ses principes, aurait dû être un bastion de résistance. Comme le note un mémoire du CHS, le Front National (extrême droite) de l’époque a souvent associé les maçons à des ennemis de la nation, une rhétorique qui a pu pousser certains à adopter une posture de lâcheté pour éviter les persécutions.

Le Chili (1970-1973) : Allende et Pinochet, Frères énnemis

Salvador Allende

L’histoire du Chili sous Salvador Allende et Augusto Pinochet offre un exemple tragique des contradictions au sein de la Franc-maçonnerie. Salvador Allende, président socialiste élu en 1970, était Franc-maçon, initié dans la loge Progreso n°4 de Valparaíso. Il incarnait une vision humaniste et progressiste, cherchant à instaurer une « voie chilienne vers le socialisme » dans le cadre d’une démocratie libérale. Son engagement pour les réformes sociales – nationalisations, réforme agraire – reflétait les idéaux maçonniques de justice et de fraternité. Allende, jusqu’à sa mort le 11 septembre 1973, a fait preuve d’un courage remarquable, refusant de fuir face au coup d’État militaire et se suicidant dans le palais de La Moneda pour éviter la capture.

Augusto Pinochet

Ironiquement, Augusto Pinochet, l’homme qui a orchestré ce coup d’État, était également Franc-maçon, initié dans la même loge qu’Allende, dont il était le filleul maçonnique. Pinochet, cependant, a trahi non seulement Allende, mais aussi les principes maçonniques. Devenu dictateur, il a instauré un régime de terreur, responsable de plus de 3 200 morts et disparus, 38 000 cas de torture et des centaines de milliers d’exilés, selon des rapports officiels. Pinochet a rallié les putschistes au dernier moment, montrant une duplicité et une lâcheté morale face à ses engagements maçonniques. Comme le souligne Euronews, Allende voyait en Pinochet un homme loyal, une confiance qui lui a été fatale.

Ce cas met en lumière une fracture profonde : alors qu’Allende incarnait le courage d’un maçon fidèle à ses idéaux, Pinochet représente une lâcheté abyssale, utilisant son pouvoir pour écraser les valeurs mêmes qu’il avait juré de défendre. Cette dualité illustre comment, même au sein d’une fraternité unie par des serments, les choix individuels face à la crise peuvent diverger radicalement.

Mécanismes psychologiques : pourquoi certains agissent et d’autres pas ?

L’émission Dans la tête de… de la RTS, qui analyse les comportements humains à travers des expériences de psychologie sociale, des témoignages et des images de vidéosurveillance, offre des clés pour comprendre les mécanismes derrière le courage et la lâcheté. La question centrale posée par l’émission est :

« Quels sont les mécanismes qui nous poussent à ne pas intervenir devant une situation d’urgence ? »

Cette interrogation est cruciale pour analyser les comportements des Francs-maçons dans des contextes historiques tendus.

L’effet du spectateur et l’apathie collective

Conseil National de la Résistance.
Conseil National de la Résistance.

Un mécanisme clé mis en évidence est l’effet du spectateur, un phénomène de psychologie sociale où la présence d’autres personnes réduit la probabilité qu’un individu intervienne dans une situation d’urgence. Dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, par exemple, certains Francs-maçons ont pu se sentir déresponsabilisés face à la répression de Vichy, pensant que d’autres agiraient à leur place. Cet effet, combiné à la peur des représailles – arrestations, déportations, exécutions – a pu conduire à une forme d’apathie collective, où la lâcheté devient une réponse passive à la pression sociale.

La peur et l’instinct de survie

Maréchal Philippe Pétain

La peur est un autre facteur déterminant. Dans la tête de… montre, à travers des expériences avec des sujets volontaires, que la peur d’un danger immédiat – comme la torture ou la mort sous Vichy ou Pinochet – peut paralyser l’action, même chez des individus partageant des idéaux élevés. Lors de la Révolution française ou de la Commune, des maçons ont pu choisir de ne pas s’exposer, privilégiant leur survie ou celle de leur famille. Ce mécanisme, bien que compréhensible, est souvent perçu comme de la lâcheté, surtout rétrospectivement, lorsque l’on compare ces choix à ceux qui ont risqué leur vie pour leurs convictions.

La Diffusion de la Responsabilité et les Normes Sociales

Liberté Egalite Fraternité
devise France : Liberté Egalite Fraternité

Un autre mécanisme est la diffusion de la responsabilité, où les individus se reposent sur les normes sociales pour guider leur comportement. Pendant la dictature de Pinochet, par exemple, certains maçons chiliens ont pu se conformer à la répression par peur d’être ostracisés ou pour préserver leur statut social. À l’inverse, ceux qui ont résisté, comme Allende ou les maçons français dans la Résistance, ont souvent agi en s’appuyant sur un fort sentiment d’identité morale, où leurs valeurs maçonniques – liberté, égalité, fraternité – primaient sur les pressions extérieures.

Sommes-nous tous égaux devant le courage ?

Héros maîtrisant un lion, souvent présenté comme étant Gilgamesh, mais cela reste incertain20. Bas-relief de la façade N du palais de Khorsabad, fin du viiie siècle av. J.-C. Musée du Louvre.

L’émission pose une question cruciale : « Sommes-nous tous égaux devant le courage ? » La réponse est non. Les témoignages et les expériences montrent que le courage dépend de nombreux facteurs : la personnalité, l’éducation, le contexte social, et même des éléments situationnels, comme la présence de soutien ou la gravité perçue du danger. Chez les Francs-maçons, ceux qui ont agi héroïquement, comme Brossolette ou Allende, étaient souvent portés par une foi profonde en leurs idéaux et un sentiment de devoir envers leurs frères et l’humanité. À l’inverse, ceux qui ont cédé à la lâcheté, comme certains collaborateurs sous Vichy ou Pinochet, ont été influencés par des motivations plus égoïstes : ambition, peur, ou conformisme.

Une analyse critique : les Francs-maçons, héros ou lâches ?

À la lumière de l’histoire, il est impossible de qualifier les Francs-maçons de manière univoque comme des héros ou des lâches. Leur comportement reflète la complexité de la nature humaine, où les idéaux élevés coexistent avec les faiblesses personnelles. La Franc-maçonnerie, par ses principes, encourage le courage moral – la défense de la liberté, de la justice et de la fraternité – mais elle n’immunise pas ses membres contre les pressions sociales, la peur ou les intérêts personnels. Les cas d’Allende et de Pinochet montrent que deux maçons, liés par le même serment, peuvent emprunter des chemins radicalement opposés face à une crise.

L’analyse psychologique, telle que proposée par « Dans la tête de… », révèle que le courage et la lâcheté ne sont pas des traits fixes, mais des réponses contextuelles. Les Francs-maçons héroïques ont souvent agi en s’appuyant sur une identité collective forte – la fraternité maçonnique – et sur une conviction morale qui transcendait leur peur. Ceux qui ont failli, en revanche, ont été victimes de mécanismes universels : l’effet du spectateur, la diffusion de la responsabilité, ou simplement la peur de perdre ce qu’ils avaient.

Vers une Compréhension Plus Nuancée

Les Francs-maçons, comme tout groupe humain, ne sont ni des héros ni des lâches par essence. Leur histoire, de la Révolution française à la dictature de Pinochet, montre une diversité de comportements dictée par les contextes, les personnalités et les pressions sociales. L’émission Dans la tête de… nous rappelle que le courage et la lâcheté sont des réponses humaines universelles, influencées par des mécanismes psychologiques complexes. Plutôt que de juger, il s’agit de comprendre : comprendre pourquoi certains maçons, comme Allende ou Brossolette, ont incarné les idéaux les plus nobles, tandis que d’autres, comme Pinochet ou les collaborateurs de Vichy, ont trahi ces mêmes idéaux.

Cette réflexion, à la croisée de l’histoire et de la psychologie, nous invite à interroger nos propres choix face à l’adversité, et à chercher, comme les maçons aspirent à le faire, la lumière au-delà des ténèbres.

1 COMMENTAIRE

  1. Notre jeune F. dit n’importe quoi en qualifiant le Front National d’extrême droite car il a été créé par des communistes pendant la guerre, auquel se sont joints ensuite des résistants de tous bords (Georges Bidault par ex.).
    Il a tellement entendu dire que le Front National était d »‘extrême droite » qu’il l’affirme par réflexe quasi pavlovien. Mitterand aurait pu lui dire : « jeune homme, vous n’avez pas connu ce dont vous parlez… »

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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