ven 02 mai 2025 - 23:05

Les origines de la Franc-maçonnerie

La Maçonnerie médiévale

La Franc-maçonnerie à laquelle nous appartenons est née en 1717 à Londres. C’était à la fois une résurrection, une transformation radicale de quelque chose qui venait du fond des âges: l’art de la construction des édifices sacrés. Les maçons modernes avaient bien conservé le nom des anciens bâtisseurs mais ils ne bâtissaient plus. Comme nous le disons, d’opératifs ils étaient devenus spéculatifs, ce qui veut dire qu’ils se livraient désormais à une reconstruction de leur être, à une transformation de leur existence au moyen de matériaux symboliques et rituels.

De la Maçonnerie ancienne, on n’avait ressuscité que la pensée, l’esprit, la quête de la Connaissance et de la Sagesse par un travail sur son propre esprit, la pierre intérieure. Je traiterai dans une seconde partie de l’esprit de cette maçonnerie moderne, héritière et synthèse de plusieurs traditions initiatiques et surtout des principes qui animent la Grande Loge. Mais auparavant je souhaiterais vous présenter quelques aperçus sommaires sur les origines véritables de la Franc-maçonnerie, de sa symbolique, de son idéologie et de son éthique.

En Egypte au temps des Pharaons, en Israël aux temps bibliques, dans la Grèce antique ont existé des collèges de professionnels de la construction des temples: architectes, tailleurs de pierres, sculpteurs, spécialistes du bois et du traitement des métaux, géomètres et calculateurs, etc

Tous devaient être profondément instruits de la connaissance de leur art et de sa pratique et possédaient des secrets de fabrication, de technique qu’ils se transmettaient de génération en génération. Tous devaient être certainement initiés aux mystères des religions pour lesquelles on leur demandait d’édifier des lieux de culte. Les architectes maîtres d’œuvre des édifices étaient aussi prêtres dans la tradition égyptienne.

Dans toutes les rel lui igions il est évident que le lieu de culte doit obéir à une symbolique conforme aux enseignements et révélations d’une religion, avec une orientation particulière et surtout une disposition de l’espace sacré qui se retrouve dans de nombreuses cultures: un lieu de passage du profane au sacré, encore extérieur au temple, le parvis, le lieu où vont s’assembler les fidèles pour célébrer le culte, et un autre situé à l’endroit le plus profond de l’édifice, le Saint des Saints du temple d’Egypte ou du temple de Jérusalem, où est censée se tenir l’image de la divinité, ou son symbole ou encore sa présence réelle. Nous retrouvons œ type de disposition dans les églises chrétiennes comme dans le temple maçonnique.

Enfin les constructeurs d’édifices sacrés des temps antiques devaient probablement recevoir outre la formation technique, pratique et religieuse, une initiation du 3è’“° type concernant la symbolique générale de certains éléments des édifices faisant référence à des choses cachées que les religions incorporent aux lieux de culte mais qu’eIles ne dévoilent pas. Par exemple le rapport entre l’édifice religieux et le cosmos ou le corps humain, la signification secrète des figures rectangulaires, carrées, des cercles, des nefs, des dômes, des colonnes, des rosaces, etc.

Ou encore des mesures utilisées pour obtenir les proportions harmonieuses de l’édifice qui renvoient à des nombres sacrés (3, 5) et aux éléments constitutifs de la divinité et de l’univers.

Si on ne prend en considération que sa fonction opérative ancienne (l ‘édification des temples) les métiers d’architecte, de constructeurs que commémorent son symbolisme et ses rites, on peut dire que les origines de la Maçonnerie se perdent dans la nuit des temps puisqu’ils se sont eux – mêmes identifiés aux bâtisseurs de temples égyptiens, hébreux ou grecs.

Mais je pense qu’iI faut surtout chercher dans l’antiquité romaine le modèle d’association corporative de constructeurs dont les Maçons du Moyen – Age se sont, à travers plusieurs médiations, inspirés.

Les collèges romains étaient des corporations fortement organisées, hiérarchisées, possédant des écoles, des maisons communes, où se célèbrent des rites et des sacrifices aux dieux. Les collèges de bâtisseurs sont profondément liés à la religion. Chaque collégia avait ses dieux comme ses signes de reconnaissance. Les dieux jouaient toujours un rôle protecteur et inspirateur dans la pratique de chacun des métiers liés à la construction.

Le travail est doublement sacré, d’abord parce qu’il est consacré à un édifice du culte, ensuite parce que le travail humain est à l’image de l’œuvre du Créateur donnant naissance à la nature.

On sait que depuis l’écroulement de l’empire romain d’Occident, les collèges de bâtisseurs formés de spécialistes gallo- romains se sont maintenus dans les régions fortement romanisées comme la Provence, la vallée du Rhône,~l’Auvergne, la -Narbonnaise et l’Occitanie, -malgré la domination wisigothique

C’est grâce à eux que les évêques de ces temps troublés ont pu édifier les premières églises en pierre d’une grande valeur architecturale. En tant qu’entités juridiques, les collèges gallo- romains ont dû disparaître du fait de l’évolution de la société. A partir du 6eme siècle, c’est autour de l’ Eglise et surtout des Ordres monastiques que vont se constituer les nouveaux groupements de constructeurs.

Certes ces constructeurs venus des collèges changent de statut puisqu’ils sont au service des évêques et des monastères, mais ils vont hériter des collèges la science de la construction, l’initiation symbolique et les formes d’organisation..

Sous l’impulsion de I’ Ordre des Bénédictins (Cluny, Cîteaux, Clervaux) la France va se couvrir d’ abbayes qui vont constituer pendant des siècles la structure de base de l’économie, de la société et de l’ordre politique. Tous les métiers vont travailler sous la protection et au service des abbayes, d’abord bénédictines et plus tard templières et principalement les associations monastiques de constructeurs

A partir du siècle et d’abord au sud de la Loire, ils vont répandre les innombrables chef- d’œuvres de l’art roman — qualifié d’abord de “gothique ancien”, parce qu’il avait été créé dans un pays dominé par les Goths c’est à dire les peuples germaniques.

Je dois souligner que depuis les origines romaines, les sociétés de constructeurs jouissent en raison de la nature de leurs fonctions de privilèges et liberté multiples naturellement exceptionnelles: d’abord celle de circuler d’une ville à l’autre, ensuite elles bénéficient d’exemptions d’impôts, de redevances, de corvées, de services obligatoires, tant à l’égard des seigneurs que des municipalités ou du monarque C’est ce qui sera exprimé par l’adjectif “franc” qui signifie libre et peut s’appliquer à d’autres professions (ex. francs – charpentiers ou francs- archers) mais aussi aux villes (cf. les innombrables Villefranche). Ces libertés sont une constante pour toutes les sociétés et corporations de constructeurs, sans doute parce que même quand ils sont laïques, ils participent activement à la production du sacré et à la propagation de la foi. Et puis il faut tenir compte du fait qu’ils possèdent de hautes qualifications techniques et scientifiques, rares à l’époque, ce qui est le cas des architectes, mais aussi des tailleurs de pierres, sans parler du talent artistique des sculpteurs chargés d’orner les monuments et d’inscrire dans la pierre les grands récits de l’Histoire sainte et des Evangiles.

Nous venons d’évoquer des institutions anciennes qui sont des préfigurations de la Franc-maçonnerie qui va se constituer en Angleterre et en France sur les chantiers des cathédrales. Elle a avec ces corporations anciennes beaucoup de points communs et en dépit des changements historiques, elle en est à bien des égards l’héritière.

Même si la Franc -maçonnerie ne trouve sa véritable identité qu’à travers l’aventure de l’Ordre du Temple en Terre sainte, on peut dire qu’elle doit beaucoup à cette tradition antique des bâtisseurs de Temples. L’expédition des Croisades qui a duré deux siècles, de 1096 à1291, ainsi que la conquête de la Palestine et de la Syrie par la féodalité catholique ont donné à l’ordre du Temple l’occasion de jouer un rôle historique considérable au sein de la chrétienté occidentale et surtout d’être un vecteur capital de bien des aspects de la culture orientale, byzantine et arabe.

A leur arrivée en Palestine les Templiers seront chargés par les Croisés de construire les ouvrages militaires nécessaires au contrôle du pays. Ils vont emprunter leurs méthodes aux chrétiens de Byzance, capitale de l’Empire romain d’orient qui a survécu mille ans jusqu’en 1453 à l’Empire d’Occident. Les collèges romains de bâtisseurs y sont restés intacts et ils transmettent leur savoir aux Templiers. Ainsi ils construisent les fameuses forteresses de Palestine, de Syrie, de Jordanie: les Kraks qu’on peut encore admirer aujourd’hui. Ceci nous indique que les Templiers ne sont pas seulement des guerriers. Pendant toute la durée du royaume franc, ils vont faire fonction de bâtisseurs d’édifices militaires mais aussi religieux.

De l’histoire des Croisades nous avons surtout retenu l’image~d’un affrontement sanglant, implacable, entre les Croisés et le monde arabe islamique. La vérité fut beaucoup plus complexe et contrastée comme dans toutes les conquêtes coloniales, les conquérants profitèrent des divisions de leurs adversaires. Des souverains arabes demandèrent aux Templiers de les appuyer contre leurs ennemis. Les Templiers aidèrent le souverain d’Egypte à vaincre les Turcs qui le menaçaient.

A d’autres moments, ils s’allièrent avec les Turcs contre certains chefs arabes. Il y eut donc beaucoup d’alliances et de pactes entre les Templiers et des chefs islamiques, ce qui leur permit d’avoir des périodes de paix propices aux constructions.

Autre élément important : les Templiers sont respectueux des règles de la chevalerie chrétienne, ils tiennent leurs engagements, ils ne méprisent pas, leurs adversaires.

Et ils ont souvent en face d’eux, des guerriers qui respectent les mêmes valeurs, c’est pourquoi les Templiers sont dans l’ensemble respectés par les Arabes — ce qui n’est pas le cas des autres Croisés dont les comportements sont souvent détestables. Les Templiers ne considèrent pas les Arabes comme inférieurs parce qu’ils ont une religion et une culture différentes;

Enfin et surtout ils observent avec sympathie la tolérance dont jouissent dans les pays islamiques, des chrétiens appartenant à des églises très différentes parmi lesquelles eux – mêmes ont beaucoup de mal à se repérer. Dans la relation des Templiers avec le monde musulman, le fait le plus important est qu’ils sont entrés en communication suivie avec de multiples sectes islamiques à caractère initiatique.

Les ismaéliens qui sont une branche chiite de l’islam, et ont généré des sous- groupes du même type: les Karmates et les Assecines. La première secte donne naissance à un ample mouvement de réforme religieux et social qui ébranla du 9°” au 12°” siècle le monde musulman surtout l’Egypte.

Ils organisent les travailleurs en corporations liées à des confréries religieuses — ce que les Templiers vont réaliser plus tard en Occident. Les degrés hiérarchiques — apprentis, ouvrier, Maître– étaient de règle, de même que les obligations d’entraide et les serments initiatiques. Les secrets du métier étaient communiqués à chaque grade selon un coutumier transmis oralement.

Pratiques qui ressemblent d’une manière étonnante à celles de la Maçonnerie.

Le groupe des Assecines du mot “assas” (qui veut dire gardien) est un groupe mystique qui se considère comme gardien de la Terre- Sainte, perçue comme l’axe du monde spirituel. Son chef se nomme le “Vieux de la Montagne”, le mot vieux devant être pris au sens de “maître”.

Les adeptes de la confrérie possèdent un centre où ils pratiquent la philosophie — ce qui va à l’encontre de la tradition islamique — et ils ont une bibliothèque immense et un observatoire astronomique!

Ce sont les mouvements initiatiques de l’islam qui semblent avoir marqué fortement les Templiers.

Cette influence n’a pas dû s’exercer dans le domaine des hautes spéculations métaphysiques car les Templiers étaient surtout des hommes de terrain, guerriers et constructeurs. De leurs rapports prolongés avec les sectes ismaéliennes et les corporations arabes, les Templiers connurent et adoptèrent largement les formes d’organisation, les rites et les symboles, les pratiques et les secrets de métier. Beaucoup de frères servants spécialisés dans la construction avaient déjà été initiés, dans leur vie Laïque à des rites opératifs analogues. Ils étaient particulièrement aptes à recevoir cet apport nouveau et à le transplanter en Occident.

Dépassant le simple enseignement architectural, l’influence des lsméliens et des Assécines marqua aussi le cérémonial des Templiers comme maintes de leurs coutumes, notamment en ce qui concerne la hiérarchie, l’obéissance au Grand- Maître et aux commandeurs sur lequel l’Ordre a établi fortement sa discipline. Cette hiérarchie reproduisait en fait celle des Pythagoriciens de la Grèce du 6ème siècle av. J.C. ou des mystères d’ Egypte. ll faut en dire autant d’autres coutumes et de symboles communs aux uns et aux autres (ex. le manteau blanc). Templiers et initiés musulmans arrivaient à se rapprocher *dans le partage d’un même-idéal de tolérance, de fraternité, de spiritualité capable de transcender les différences religieuses et culturelles. Les Templiers rejoignirent les Fatimites du Caire dans leur volonté d’établir des relations de coopération entre orientaux et occidentaux en vue d’une paix universelle.

Si on fait abstraction de ces liens profonds de l’ordre du Temple et les sociétés initiatiques islamiques, elles- mêmes influencées par les philosophies grecques transmises par Byzance et diverses traditions ésotériques, originaires du Moyen- Orient, on ne peut pas expliquer la présence évidente de toutes ces traditions amalgamées dans le R.E.A.A. qui est celui de la Grande Loge.

Car les Templiers ont véhiculé certainement œs traditions initiatiques vers |’Occident quand ils sont rentrés de Palestine. De plus on connaît I’immense réseau de commanderies installées sur toute l’étendue de l’Europe occidentale et notamment sur les routes des Croisades et des pèlerinages vers la Terre sainte.

Comme ils l’ont fait dans le royaume franc, les Templiers ont partout utilisé les services de confréries laïques de constructeurs pour l’édification de châteaux forts, de sanctuaires et d’abbayes. Plus que les Bénédictins, ils sont les commanditaires d’innombrables monuments et sont de ce fait en constantes relations avec des confréries organisées sur le modèle des anciens collèges et surtout des confréries monastiques composées de moines et de laïques qui en furent les héritières.

Sur le territoire du Temple, tous les métiers organisés en corporations, étaient des “francs métiers”, c’est à dire qu’ils étaient affranchis de tout impôt, de toute redevance seigneuriale ou municipale, des corvées, des services du guet, etc. C’est dans œ contexte et au moment où les grandes villes entrent en compétition pour la construction des églises et des cathédrales qu’on voit apparaître le nom de Franc-maçons en France, puis en Angleterre. L’étymologie du mot est française et il semble qu’il ait été utilisé dans la première moitié du 13ème siècle, même s’il figure pour la première fois en 1376 dans la patente de franchise de la compagnie des “Masons” de Londres pour désigner ses membres.

En raison de cet ensemble de faits historiquement établis, on peut en conclure que les rites des Templiers issus de traditions initiatiques islamiques ou chrétiennes importées du Moyen – Orient ont pénétré dans les confréries maçonniques du Moyen- Age et se sont ajoutés aux traditions de métier et aux rites en usage depuis l’Antiquité dans les sociétés de constructeurs.

Ajoutons qu’il est également établi qu’après la destruction de l’Ordre du Temple par le pape Clément V sous la pression du roi de France Philippe le Bel, de nombreux Templiers persécutés se sont cachés, déguisés en travailleurs manuels, à l’intérieur des confréries maçonniques. Il est établi également que beaucoup de Templiers persécutés se réfugièrent en Ecosse où régnait un roi favorable aux chevaliers du Temple. ll avait attiré des artisans flamands, en particulier des maçons et des charpentiers auxquels il avait accordé de multiples faveurs et privilèges.

On a recueilli plusieurs histoires de hauts dignitaires du Temple qui se seraient enfui en Ecosse, tout ceci pour expliquer cette particularité du rite écossais ancien qui a si fortement marqué la tradition maçonnique. Mais les historiens considèrent cette thèse comme pure hypothèse.

Disons simplement qu’il a existé peut- être en Ecosse des conditions plus favorables qu’ailleurs à la conservation d’une tradition où se mêlaient l’initiation des bâtisseurs et des conceptions ésotériques venues de l’Orient par l’entremise de la chevalerie templière.

Déclin et renaissance de la Maçonnerie

Les 13è et 14è siècle furent certainement l’âge d’or de la Franc-maçonnerie. Elle déclina progressivement au 15ème et au 16è siècle avec la fin du grand élan de foi populaire qui présida à l’édification des cathédrales, la crise du catholicisme liée à la Renaissance, à la remise en honneur de l’art et de la pensée de la Grèce et de Rome, à |’émergence de la Réforme, bref aux premiers soubresauts de la modernité. La pratique des métiers de la construction disparut peu à peu.

On fit entrer dans les Loges, à côté des Maçons opératifs, des gens qui s’intéressaient à l’initiation maçonnique, à son symbolisme, à ses rites, à sa philosophie et surtout peut-être à ses principes de tolérance, et d’humanité: on appela “spéculatifs” ces hommes qui ne travaillaient pas de leurs mains, qui ne connaissaient pas les problèmes d’architecture, mais qui voulaient s’initier au symbolisme, à la recherche spirituelle des Maçons et trouver un lieu de fraternité authentique. _

Cette mutation de la Maçonnerie s’est opérée progressivement au cours des 16e  et 17è siècle, et il est légitime de penser qu’ils ont continué de travailler sur la matière symbolique et rituelle léguée par une vieille tradition. Ces Loges se nommaient “loges de réception” parce qu’elles initiaient aux secrets et devoirs du métier ses nouveaux membres, professionnels ou non.

De là vient sans doute qu’en Angleterre les frères étrangers au bâtiment prirent le nom de ” Maçons acceptés” et qu’à l’époque d’Anderson, le pasteur protestant rédacteur des premières constitutions modernes, la pratique des Maçons acceptés londoniens était un amalgame de traditions très anciennes des loges anglaises (les Devoirs), de certains usages des confréries de bâtisseurs du Moyen- Age, mais surtout des rites initiatiques venus d’Ecosse.

Dès sa naissance, la Freemasonry non opérative mettait en pratique une vertu alors méconnue en Europe: la tolérance entre hommes divisés par leurs convictions religieuses et politiques

On peut y voir la principale raison de son succès, et de la foudroyante expansion qu’elle devait connaître au siècle des Lumières. Les premiers Maçons acceptés furent des hommes résolus à fraterniser en dépit de tout ce qui pouvait les diviser.

L’intolérance régnante les vouait à la clandestinité. L’ancienne confrérie, avec ses mots de passe et ses secrets religieusement conservés, leur offrit une structure d’accueil toute trouvée.

En retour, le secret dont ils s’entouraient attira vers leurs loges des hommes versés dans l’Alchimie, l’Hermétisme et la Kabbale, qui espérait y recueillir l’héritage des druides ou celui des anciens mystères. En fait, c’est eux qui enrichirent la maçonnerie de rites et de symboles empruntés aux traditions qui leur étaient chères.

A la Saint- Jean d’été 1717, les membres de quatre Loges londoniennes de maçons acceptés prirent une initiative dont ils ne soupçonnaient guère la portée. Réunis dans une taverne à l’enseigne de L’ oie et le Gril “ils avaient élu un Grand Maître et convenu de s’assembler chaque trimestre.

La première Grande Loge était née.

En France, la première loge des “frimaçons” dûment attestée fut établie en juin 1726 par des frères britanniques. Elle fut ” constituée” par la Grande Loge de Londres en 1732. Et dès avant 1735 les quelques Loges du royaume érigeaient librement à Paris la première Grande Loge de France régie par les Constitutions d’Anderson.

L’esprit de la Maçonnerie de Rite écossais ancien et accepté

Qu’est ce que la Franc-maçonnerie telle qu’elle nous a été léguée par des siècles d’histoire et par la Tradition ? D’abord une communauté fraternelle qui unit des hommes de bonne volonté, désireux de se connaître, de se perfectionner, de donner sens à leur vie grâce à cette connaissance des mystères de la création, de l’homme et de l’existence que nous nommons “initiation” et de parvenir par une meilleure compréhension des choses à une certaine sagesse, une façon de mieux assumer sa vie, sa destinée et sa relation avec les autres.

De cette alliance des Franc-maçons, sans distinction d’obédience, nous disons qu’elle est universelle, ce qui signifie qu’elle transcende toutes les différences ethniques, religieuses, nationales, sociales et politiques, que la Franc-maçonnerie reçoit des hommes de toute origine, de toute opinion, le cadre et le sans- grade, l’opératif et l’intellectuel, bref la Franc-maçonnerie ne prend en compte aucune de ces distinctions qui séparent les hommes dans l’ordre profane et parfois les dresse les uns contre les autres ;

La Franc-maçonnerie ne connaît que des êtres humains, des individus– pas n’importe quels individus, seulement des hommes qui veulent sortir des faux clivages, des ambitions factices, des illusions du monde profane, qui ne se contentent pas de ce qu’il leur propose comme idéal suprême: la réussite sociale, le pouvoir et la puissance, le bonheur attaché à la jouissance de biens matériels ou à des satisfactions d’amour – propre.

Elle assure la promotion d’individus qui cherchent d’autres raisons d’être, d’autres voies de dépassement, le moyen d’accroître leur richesse intérieure, leurs capacités de compréhension, par une réflexion sur soi et sur l’existence à travers une réflexion sur l’univers des symboles, des mythes et des rites. Les Maçons sont des hommes qui aspirent à devenir plus humains.

Dans le langage des Maçons; cela se résume en deux mots: ” Qu’avons- nous demandé lors de notre entrée dans le Temple? — La Lumière.

— Que cette Lumière nous éclaire!” C’est ce que dit le rituel. Dans le Temple, nous sommes quêteurs de Lumière, de clarté spirituelle, nous sommes à la recherche d’un autre sens de la vie et d’un ordre de perfection accordé à la connaissance d’un ordre sacré différent de celui des grandes religions et susceptibles de les englober toutes.

Les initiés sont des hommes partis à l’instar des Rois mages à l’appel d’une étoile inconnue dont ils ignorent la nature et le nom véritable. Parce qu’un jour l’esprit, las de ses servitudes, angoissé par l’absurdité et la violence de la vie a rompu ses amarres, invinciblement attiré par l’horizon d’une mer sans rivages. C’est déjà être sorti de l’ombre de la caverne que de soupçonner l’existence de cette lumière illimitée, d’en éprouver le besoin, de ne plus supporter de rester englué dans les ténèbres de la matérialité et l’enfermement des désirs.

Voilà ce qui nous a rassemblés, voilà l’espérance, la volonté qui nous fait vivre et qui fait de la Franc-maçonnerie une communauté sans équivalent dans le monde profane: une société initiatique où les seules distinctions sont celles qui résultent du degré d’avancement vers la Lumière du degré de purification et de maîtrise des métaux passionnels.

La Franc-maçonnerie  ne connaît que les individus et pourtant elle enseigne aux individus à dépasser leur individualité, à se détacher de leur ego pour découvrir ce qu’ils portent en eux d’universel, d’éternel et d’absolu. Elle les invite à découvrir ce qui les fait être et ce qui est infiniment plus grand que soi et toutes les déterminations, tous les désirs qui composent notre individualité.

C’est ce qu’on appelle l’Art royal qui était traditionnellement celui de l’Architecture. Mais pour nous Maçons spéculatifs, il s’agit d’un autre genre de construction, ce que nous nommons le Temple intérieur et exige constamment le travail de soi sur soi qui nous conduit, à l’aide de nos outils symboliques, à transformer la pierre brute, le matériau naturel fait d’instinct et de passion en une pierre polie, symbole de Maîtrise et d’Harmonie, capable de s’ajuster à d’autres pierres polies pour devenir les pierres vivantes de la grande cathédrale humaine.

Nous sommes unis en loge pour travailler à la reconstruction de l’être individuel et collectif et nous ne cessons d’honorer et glorifier ce travail si différent du travail ordinaire. Les symboles majeurs de la Maçonnerie sont des outils de recherche, de mesure et de travail, notre langage y fait sans cesse allusion. Car l’initiation est un effort permanent pour dépouiller l’homme profane et assurer la maîtrise de l’ego, s’ouvrir aux autres et au monde, s’enrichir non seulement de savoir mais aussi et surtout de sagesse, de respect d’autrui, de fraternité, d’équité, réaliser l’idéal suprême de l‘harmonie intérieure, cet accord profond avec les lois de l’univers et de l’existence, qui nous aide à harmoniser nos rapports avec nos semblables.

Nous nous donnons comme finalité de reconstruire un être nouveau selon une architecture calquée sur l’ordre cosmique dont les plans viennent d’ailleurs, de ce grand Etre indéfinissable que nous nommons “Grand Architecte de l’Univers”. Ces plans secrets du grand Etre résident dans les sciences sacrées, les grands mythes de l’humanité, les rites et les traditions initiatiques.

Il faut beaucoup de temps et de peine pour faire tomber à l’aide du ciseau, du maillet, de la perpendiculaire et du niveau toutes les aspérités, les irrégularités de la pierre brute. Comme il faut beaucoup de temps et de peine pour faire grandir en nous cette lumière intérieure que nous sommes venus chercher dans le Temple et qui pourtant habite déjà en nous, sans que nous en reconnaissions la nature, les pouvoirs et les limites. C’est pourquoi il nous est difficile de dire que nous sommes initiés et même que nous sommes véritablement des Franc-maçons : tout ce que nous pouvons dire, c’est que nous avons la volonté de le devenir. Nous avons adopté comme principe de vie le perfectionnement mais nous savons que resterons toujours plus ou moins loin de la perfection, comme de la plénitude de la Lumière absolue qui pourtant nous éclaire et nous guide comme un soleil inaccessible.

Heureusement, pour accomplir œ Grand Œuvre nous ne sommes pas seuls. Nous travaillons ensemble dans la société de l’Atelier, lieu d’échange, de réflexion commune mais aussi de correction mutuelle où chacun progresse en s’enrichissant de toutes les différences, de la diversité des comportements, de l’expérience et du savoir de tous. La Loge crée un égrégore dynamique où chaque Maçon trouve sa source d’énergie et son aliment spirituel. Elle est une Indispensable école initiatique, comme elle est le lieu où doivent s’exercer et s’épanouir en priorité toutes les vertus conformes à l’idéal maçonnique.

Voilà le sens premier que nous donnons ici dans cette Loge à la formule “travailler au perfectionnement intellectuel et moral de l’humanité” qui figure dans nos Constitutions. Pour nous l’humanité, c’est d’abord la pierre brute individuelle sur laquelle l’initié effectue le travail de polissage de la pierre qui conduit à l’illumination intérieure et spirituelle de chaque initié.

Mais l’initiation nous crée un devoir précisément parce qu’elle renforce en nous le sentiment de la fraternité, l’idée que tous les êtres humains portent en eux des potentialités universelles, une même essence spirituelle. Ces frères humains du monde profane, allons- nous les abandonner _ dans les ténèbres de la Caverne, alors que nous avons réussi à trouver l’issue vers la Lumière et que nous cheminons vers elle à travers le Labyrinthe de I’ initiation.

Toutes les traditions initiatiques nous enseignent ainsi que la philosophie de Platon, ce devoir de retour à la cité terrestre, l’obligation de pratiquer et de faire rayonner la sagesse au sein de la communauté des hommes.

Réaliser dans la mesure de nos faibles moyens, le partage de la Lumière, “achever au dehors l’œuvre commencée dans le Temple” selon les termes du rituel. Tâche difficile car le savoir initiatique n’est pas de même nature que ces idéologies religieuses et politiques que les hommes de la cité profane considèrent et propagent comme des vérités absolues, allant même parfois jusqu’à les imposer par la violence et la terreur.

Ici nous n’avons pas de dogme à enseigner, pas de doctrine à transmettre, mais nous avons en commun certaines valeurs dont la première est la reconnaissance de la dignité de tout être humain et le respect de cette dignité ce qui fonde les idées de fraternité, de tolérance et de justice.

Voilà notre pain de vie, et ce pain là il est toujours possible de le partager avec beaucoup de nos semblables. Les valeurs d’humanité et de sagesse peuvent être reçues partout parce qu’elles sont universelles, qu’elles sont à la base de la morale commune. Il n’en va pas de même du langage symbolique et du message initiatique qui restent obscurs à qui n’en ressent pas le besoin, à qui est incapable d’en voir la beauté et n’est pas habité par l’exigence de Lumière.

Alors ce que nous nous contentons d’apporter à la cité profane, c’est notre sens de l’humain et du sacré, valeurs que nous lions ensemble et qui se raréfient dangereusement dans notre monde, et que nous nous efforçons d’incarner dans notre environnement social et dans la vie de tous les jours. A l’intérieur de notre ordre comme dans nos vies publiques, nous nous réclamons des mêmes valeurs que la République dont nous avons toujours été dans l’histoire les ardents et fidèles promoteurs. Des valeurs qui viennent de loin, qui ont révolutionné le monde il y a deux siècles, façonné le visage de la civilisation occidentale et qui n’en finissent pas de produire leurs effets bénéfiques et transformateurs d’un bout à l’autre de la planète.

ll y a des gens qui nous haïssent précisément parce que nous portons en nous ces idéaux libérateurs qui finissent, comme l’atteste l’histoire du dernier siècle, par désintégrer les pires tyrannies. La loi d’humanité et d’égalité chère aux Franc-maçons est toujours comme la démocratie un idéal d’avenir.

J’ose ajouter aujourd’hui au vu des bouleversements de l’Europe et des verdicts de I’ histoire, que c’est le seul qui en ait un.

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Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

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