De notre confrère Irlandais belfasttelegraph.co.uk
Le 24 avril 2025, une controverse a éclaté en Irlande suite à la sortie d’un clip vidéo du rappeur irlandais Eskimo Supreme, de son vrai nom Alex Sheeran, pour son nouveau single intitulé Spit in it !. Ce clip, tourné à l’intérieur du Freemasons’ Hall de Molesworth Street à Dublin, siège historique des francs-maçons irlandais, a suscité une vague d’indignation. La vidéo met en scène des républicains dissidents crachant sur une image de la reine, un acte perçu comme profondément offensant par de nombreux observateurs. Cet article explore les détails de l’affaire, les réactions qu’elle a provoquées, le contexte historique et culturel, ainsi que les implications plus larges pour les relations communautaires en Irlande.
Le contexte de la vidéo et son contenu

Eskimo Supreme, signé chez Greenback Records, une maison de disques fondée par Conor McGregor, a choisi un lieu emblématique pour filmer son clip : le Freemasons’ Hall, siège de la Grande Loge d’Irlande depuis 1869. Ce bâtiment, connu pour son architecture néoclassique et son rôle dans l’histoire maçonnique, est un lieu symbolique pour les francs-maçons, une organisation souvent entourée de mystère et de controverses dans l’imaginaire collectif. La vidéo s’ouvre sur des plans intérieurs de ce lieu, mettant en avant ses décors ornés, avant de montrer des scènes choquantes où des républicains dissidents – certains identifiés comme des détenus – crachent sur une image de la reine Elizabeth II, figure historique de la monarchie britannique.
Le titre du morceau, Spit in it !, semble refléter directement cet acte provocateur. Les républicains dissidents représentés dans la vidéo appartiennent probablement à des factions comme l’Óglaigh na hÉireann (ONH), un groupe connu pour son opposition à l’influence britannique en Irlande du Nord. Ces dissidents, souvent impliqués dans des activités criminelles et des violences sectaires, ont une longue histoire de conflit avec les symboles de la Couronne britannique, comme en témoignent des incidents récents rapportés par le Belfast Telegraph, tels que des fusillades à Belfast impliquant des membres de l’ONH.
Une réaction immédiate et un tollé général
La sortie de la vidéo, le 24 avril 2025, a immédiatement suscité une vague de condamnations. Un membre de la Grande Loge d’Irlande, s’exprimant dans le Belfast Telegraph, a qualifié le clip de « moralement répugnant ». Il a dénoncé l’utilisation du Freemasons’ Hall pour un contenu jugé offensant, déclarant : « C’est une insulte non seulement à notre organisation, mais aussi à des valeurs fondamentales de respect et de dignité. » La Grande Loge d’Irlande a publié un communiqué officiel, précisant qu’elle n’avait pas autorisé le tournage et qu’elle enquêtait sur la manière dont l’équipe de production avait obtenu l’accès au bâtiment.

Sur les réseaux sociaux, notamment sur X, les réactions ont été vives. Des utilisateurs ont exprimé leur indignation face à ce qu’ils perçoivent comme une provocation gratuite, tandis que d’autres ont critiqué la franc-maçonnerie elle-même, accusant l’organisation de manque de transparence. Un post sur X, daté du 21 avril 2025, avait anticipé la polémique, un utilisateur se demandant si les francs-maçons d’Irlande considéraient comme une « erreur » d’avoir permis à Eskimo Supreme de tourner dans leur siège. Cette question a pris une résonance particulière après la sortie officielle du clip.
Le contexte historique : une blessure encore vive
Pour comprendre l’ampleur de la controverse, il est essentiel de replacer cette affaire dans son contexte historique et politique. L’Irlande a une histoire complexe marquée par des siècles de domination britannique, culminant dans la guerre d’indépendance (1919-1921) et la partition de l’île en 1921, qui a créé l’Irlande du Nord, restée sous la couronne britannique, et la République d’Irlande, indépendante. Les tensions entre républicains, qui militent pour une Irlande unie, et loyalistes, fidèles à la Couronne, ont engendré des décennies de violence, notamment pendant les Troubles (1968-1998), un conflit qui a fait plus de 3 500 morts.
La reine Elizabeth II, bien qu’elle ait été un symbole de réconciliation lors de sa visite historique en Irlande en 2011 – la première d’un monarque britannique depuis l’indépendance –, reste une figure controversée pour les républicains dissidents. Ces derniers, souvent issus de factions comme l’IRA ou l’ONH, rejettent l’Accord du Vendredi saint de 1998 et continuent de s’opposer à toute présence britannique. Les actes symboliques, comme cracher sur une image de la reine, sont des provocations délibérées visant à raviver ces tensions historiques.
Les francs-maçons au cœur de la polémique
La franc-maçonnerie, bien que distincte des conflits politiques irlandais, n’échappe pas aux critiques dans cette affaire. En Irlande, les francs-maçons ont souvent été perçus avec suspicion, en particulier par les républicains, qui les associent à l’élite protestante et à l’influence britannique. Cette perception, bien que largement infondée, trouve ses racines dans l’histoire : au XVIIIe et XIXe siècles, de nombreux francs-maçons irlandais étaient des membres de l’aristocratie anglo-irlandaise, et certains ont soutenu l’Union avec la Grande-Bretagne en 1801. Cependant, la Grande Loge d’Irlande a toujours affirmé son apolitisme et son ouverture à toutes les confessions, comptant aujourd’hui des membres catholiques, protestants et d’autres origines.
Le choix du Freemasons’ Hall comme lieu de tournage n’est donc pas anodin. Pour Eskimo Supreme et son équipe, il pourrait s’agir d’une provocation supplémentaire, associant un symbole perçu comme « britannique » (les francs-maçons) à l’acte de cracher sur la reine. Cependant, cela soulève des questions sur la sécurité et la gestion des lieux par la Grande Loge d’Irlande. Comment une équipe de production a-t-elle pu accéder à un bâtiment aussi symbolique sans autorisation apparente ? Cette faille a alimenté les spéculations sur X, certains utilisateurs accusant les francs-maçons de négligence, voire de complicité.
Eskimo Supreme et Greenback Records : une stratégie de provocation ?
Eskimo Supreme, de son vrai nom Alex Sheeran, est un rappeur connu pour sessheeran ses paroles crues et ses prises de position controversées. Signé chez Greenback Records, une maison de disques fondée par Conor McGregor, ancien champion de l’UFC et figure controversée en Irlande, Eskimo Supreme s’inscrit dans une mouvance artistique qui mise sur la provocation pour attirer l’attention. McGregor lui-même est connu pour ses déclarations incendiaires et son soutien à des causes nationalistes irlandaises, ce qui pourrait avoir influencé la direction artistique de la vidéo.
Le clip de Spit in it ! semble conçu pour choquer, un choix qui reflète une stratégie marketing courante dans l’industrie musicale contemporaine. En provoquant un scandale, Eskimo Supreme s’assure une visibilité immédiate, comme en témoignent les nombreuses réactions dans les médias et sur les réseaux sociaux. Cependant, cette stratégie n’est pas sans risques : en Irlande, où les sensibilités historiques restent vives, un tel contenu pourrait exacerber les tensions communautaires, voire inciter à des actes de violence.
Implications et perspectives
Cette affaire soulève des questions plus larges sur la liberté d’expression, les limites de la provocation artistique et les responsabilités des institutions comme la Grande Loge d’Irlande. D’un côté, Eskimo Supreme et Greenback Records pourraient arguer qu’il s’agit d’une œuvre d’art protégée par la liberté d’expression, visant à dénoncer l’histoire coloniale britannique. De l’autre, les critiques estiment que le clip franchit une ligne en insultant un symbole respecté par une partie de la population, notamment les unionistes d’Irlande du Nord, pour qui la reine Elizabeth II représentait un lien avec la Couronne.
L’incident pourrait également avoir des répercussions sur les relations entre communautés en Irlande. Les récents événements rapportés par le Belfast Telegraph, comme l’érection de bannières sectaires à Belfast-Est en octobre 2024 ou les fusillades impliquant des dissidents républicains en février 2025, montrent que les tensions entre républicains et loyalistes restent vives. Dans ce contexte, un clip comme celui d’Eskimo Supreme risque d’attiser les divisions, surtout à l’approche de dates sensibles comme le 12 juillet, jour de célébration loyaliste.
Pour les francs-maçons, cette affaire est un rappel des défis auxquels ils font face dans la gestion de leur image publique. La Grande Loge d’Irlande pourrait être amenée à renforcer ses mesures de sécurité et à clarifier sa position sur l’utilisation de ses locaux, afin de restaurer la confiance de ses membres et du public. Par ailleurs, une action en justice contre Eskimo Supreme et Greenback Records pour utilisation non autorisée du Freemasons’ Hall n’est pas à exclure, bien que cela risque d’amplifier encore la visibilité du clip.
Conclusion
L’affaire du clip Spit in it ! d’Eskimo Supreme illustre les défis d’une société irlandaise encore marquée par son passé conflictuel. Entre liberté artistique et respect des sensibilités historiques, entre provocation marketing et responsabilité sociale, les débats suscités par cette vidéo reflètent les tensions persistantes autour de l’identité, de la mémoire et de la coexistence en Irlande. Alors que les réactions continuent d’affluer, une chose est certaine : ce clip, par son caractère provocateur, a réussi à faire parler de lui, mais à quel prix pour la paix sociale ?