De notre confrère espagnol elcierredigital.com

En Espagne, la Semaine sainte est un moment clé du calendrier, marqué par des processions vibrantes, des rituels catholiques et une ferveur populaire. Pourtant, au sein de la franc-maçonnerie, cette période ne donne lieu à aucune célébration spécifique. Pourquoi ? La réponse réside dans la nature même de cette institution : une fraternité philosophique et pluraliste, qui privilégie l’unité de ses membres au-delà des différences religieuses. El Cierre Digital a interrogé un maçon de la Grande Loge d’Espagne pour explorer les pratiques maçonniques durant cette période et comprendre comment la franc-maçonnerie concilie sa diversité spirituelle avec ses idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité.
Une institution sans lien avec une religion spécifique

La franc-maçonnerie, née en 1717 à Londres avec la fondation de la Grande Loge d’Angleterre, se définit comme une institution philosophique, philanthropique et progressiste. En Espagne, la Grande Loge d’Espagne (GLE), principale obédience maçonnique régulière, incarne cette tradition issue de la branche britannique. Pour devenir membre, il faut être un homme, âgé de plus de 21 ans, sans distinction de nationalité, de groupe social ou de religion, posséder une capacité à comprendre les concepts philosophiques de l’ordre et disposer d’une profession ou de revenus stables. Cette ouverture, inscrite dans les statuts de la GLE, reflète la volonté de la franc-maçonnerie de transcender les barrières confessionnelles.

Contrairement à une idée répandue, les maçons ne sont pas liés à une religion particulière, mais à un concept universel : le Grand Architecte de l’Univers. Ce terme, volontairement vague, permet à chaque membre d’interpréter la divinité selon ses croyances personnelles – qu’il soit chrétien, juif, musulman ou autre. « Les maçons ne sont pas tenus d’adhérer à une religion spécifique », explique un membre de la GLE à El Cierre Digital. « Chacun pratique les rituels religieux correspondant à sa foi, indépendamment de la loge. Les maçons arabes peuvent observer le Ramadan, les chrétiens participer à des processions, et ainsi de suite. » Cette flexibilité garantit une coexistence harmonieuse au sein des loges, où la seule obligation est de reconnaître une forme de divinité, symbolisée dans les rituels par des objets sacrés, comme un livre saint (Bible, Coran, Torah, etc.).
Une pluralité religieuse assumée

La franc-maçonnerie espagnole reflète la diversité religieuse du pays. Si certaines loges, dites « régulières » comme la GLE, exigent une croyance en une divinité, d’autres, issues de la tradition française (comme le Grand Orient de France ou la Grande Loge Mixte), accueillent des athées et des agnostiques. La Grande Loge Féminine d’Espagne, par exemple, revendique une présence depuis les débuts de la franc-maçonnerie et incarne cette ouverture, permettant aux femmes de participer pleinement aux travaux maçonniques. Cette pluralité se manifeste dans les rites : certaines loges s’inspirent de traditions chrétiennes, d’autres de références judaïques ou philosophiques, selon les sensibilités des membres.

Les grades fondamentaux de la franc-maçonnerie – apprenti, compagnon, maître – constituent le socle commun. Une fois le grade de maître atteint (associé au nombre trois, symbole de complétude), les maçons peuvent explorer des degrés supérieurs ou collatéraux, comme le Rite Écossais Ancien et Accepté, l’un des plus pratiqués en Espagne. Ce rite, structuré en 33 degrés, propose des cérémonies riches en symbolisme, certaines influencées par des thèmes chrétiens, d’autres par des philosophies plus universelles. « Il existe des branches plus chrétiennes, d’autres plus judaïques, et d’autres encore purement philosophiques », précise le maçon interrogé. Cette diversité permet à chaque maçon de trouver un chemin spirituel compatible avec ses convictions.
La Semaine sainte : une période sans rituel commun

Durant la Semaine sainte, période centrale pour les chrétiens, la franc-maçonnerie ne célèbre aucun rituel collectif spécifique, par respect pour la diversité de ses membres. « Nous évitons de nous associer à une religion particulière pour ne pas créer de tensions entre frères », explique la source. Cette neutralité est essentielle : honorer Jésus comme le Fils de Dieu, comme le font les chrétiens, pourrait heurter les maçons juifs, pour qui il est un prophète, ou les musulmans, qui le considèrent comme un messager divin mais non divin. De même, la franc-maçonnerie ne célèbre pas Noël, car cela risquerait d’exclure les frères bouddhistes, musulmans ou d’autres confessions. « Théoriquement, nous ne fêtons pas Noël, car cela nous opposerait religieusement », confie le maçon.

Cependant, la Semaine sainte n’est pas dénuée de signification pour les maçons. Dans le cadre du Rite Écossais Ancien et Accepté, une cérémonie spécifique, appelée la Cérémonie des Lumières, est organisée autour de ces dates, mais elle est réservée aux maçons ayant atteint au moins le 18e degré (Chevalier Rose-Croix). Ce rituel, loin d’être une célébration chrétienne, honore Jésus comme une figure historique exemplaire, incarnant les trois piliers maçonniques : liberté, égalité, fraternité. « Nous commémorons Jésus comme une personne qui a vécu et est morte, un modèle des valeurs que nous défendons », explique le maçon. Cette approche historique, dénuée de connotation divine, permet de rassembler les maçons sans froisser les sensibilités religieuses.
Des fêtes universelles : les solstices

Si la franc-maçonnerie évite les fêtes religieuses spécifiques, elle célèbre des moments universels, comme les solstices d’été et d’hiver. Ces événements, ancrés dans des traditions préchrétiennes, sont communs à de nombreuses cultures. Le solstice d’hiver, autour du 23 décembre, est marqué par des rituels festifs rappelant les Saturnales romaines, où l’on échangeait des cadeaux et célébrait la lumière renaissante. « Nous faisons la fête lors des solstices, comme les Romains lors des Saturnales », note le maçon. Ces célébrations, symbolisant le renouveau et l’équilibre cosmique, unissent les maçons sans référence à une religion particulière, renforçant leur fraternité.
Dans certaines loges, ces solstices sont l’occasion de tenues blanches, des réunions ouvertes au public où des thèmes philosophiques, éthiques ou culturels sont débattus. Ces événements, comme le souligne un maître maçon argentin, ne visent pas à recruter, mais à partager les valeurs maçonniques avec la société, favorisant le dialogue et la réflexion.
Une franc-maçonnerie plurielle et fraternelle

La franc-maçonnerie espagnole, qu’elle soit issue de la branche britannique (GLE) ou française (loges mixtes ou libérales), incarne une pluralité religieuse et philosophique. En évitant les célébrations comme la Semaine sainte ou Noël, elle préserve l’harmonie entre ses membres, qu’ils soient chrétiens, juifs, musulmans, athées ou d’autres confessions. Cette neutralité, loin d’être un rejet de la spiritualité, reflète un engagement envers l’universalisme et la fraternité.
Pour les maçons, la Semaine sainte est une période de liberté : chacun peut pratiquer sa foi ou s’abstenir, sans contrainte. « Un maçon, pendant la Semaine sainte, prend des vacances, et ensuite, chacun agit selon sa religion », résume la source. Cette approche, pragmatique et respectueuse, permet à la franc-maçonnerie de rester fidèle à son lema : liberté, égalité, fraternité. En Espagne, où la Semaine sainte est un pilier culturel, la discrétion des maçons durant cette période illustre leur volonté de construire un espace où toutes les croyances coexistent, uni par la quête commune de perfection morale et intellectuelle.