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L’histoire secrète de l’Ordre du Temple
Les « S » barrés et le « Grand Archet ».
A la page 12 du livre de Jacques Breyer, « Le Grand Archet et le Serpent de Feu », Albert Champeau indique que lors d’un entretien avec Daniel Réju, journaliste et historien, Jacques Breyer confiera que « […] les barons Jacques et Luc de Camus (Charles Joseph Luc de Camus), tous deux seigneurs initiés de la Renaissance et formés à l’ésotérisme Templier, et par conséquent Tenants de la Force, seraient les principaux auteurs des graffitis alchimiques retrouvés à l’intérieur des salles du château d’Arginy et sur le blason de la porte d’entrée ». C’est certes une information très digne d’intérêt, mais nous aimerions savoir comment elle est parvenue aux « oreilles » de Jacques Breyer, qui va plus loin encore puisque « […] les armes héraldiques qui apparaissent sur les murs du château représentent donc des « Armes d’Achille » d’Initiés, la preuve de leurs « Ebats » (séances de Haute-Magie ?) avec l’Occulte et laissées comme Identification du lieu, mais aussi comme transmission de leurs secrets par héritage, entre Initiés ». Jacques Breyer était en effet convaincu, qu’à la Renaissance, Arginy était un Haut-Lieu habité par des « initiés » héritiers des Templiers qui pratiquaient des rituels de Haute-Magie.
Un examen général des armoiries sculptées du château d’Arginy, bien que fort dégradées à certains endroits, permet d’en identifier les principaux éléments. Au-dessus de l’écu central (Cimier) nous pouvons distinguer les restes très abîmés de ce qui devait être un heaume surmonté d’une étoile à cinq branches dont trois des branches sont encore visibles. De part et d’autre de ce heaume, les lambrequins sont parfaitement conservés et forment quatre boucles liées deux à deux. Partant des lambrequins et entourant l’écu, on distingue les restes sauvagement martelés d’une reproduction du collier de l’ordre de Saint Michel dont on devine deux coquilles. Le collier originel (du poids de deux cents écus d’or) est composé de Coquilles enlacées l’une avec l’autre d’un double lacs, assises sur chaînettes ou mailles d’or, au milieu duquel pendant sur la poitrine, l’Image de Saint Michel. Rappelons brièvement que l’ordre de Saint-Michel est un ordre de chevalerie fondé à Amboise par Louis XI (1423-1483) le 1er août 1469. Le siège de l’ordre était établi dans la grande salle de l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Sa devise est « Immensi tremor oceani » (« la crainte de l’immense océan »), ce qui fait référence à l’image de Saint-Michel regardant la mer depuis le sommet de son île. Dirigé par le roi de France, les chevaliers de l’ordre était au nombre de 36. Ils prenaient l’habitude d’entourer leurs armoiries du collier de l’ordre, et c’est la raison pour laquelle on trouve de nombreuses représentations de ce collier dans des manuscrits et des monuments datant du XVIIe siècle. De tout ce qui précède, nous pouvons tirer la conclusion que la porte d’entrée du château et les armoiries datent au moins de la fin du XVe siècle et plus probablement du début du XVIe siècle, ou encore du début du siècle suivant (« 1626 » exactement selon des études archéologiques récentes). Mais les éléments les plus intrigants de ces armoiries se trouvent sous l’écu et sont sculptés de part et d’autre de ce qui devaient être une représentation de Saint-Michel terrassant le dragon.




Un agrandissement de la photo des armoiries prise en février 2024 à Arginy, me permit de voir ce qui est généralement désigné comme étant des « S » barrés. En ce qui me concerne je ne vois que 7 « S » barrés alors que Jacques Breyer en voyait 8, ce qui me semble plus proche de la vérité : 4 « S » répartis de part et d’autre de Saint-Michel terrassant le dragon. Etrange figure en effet qui pose une double question : quelle est la signification de ce symbole, et pourquoi figure-t-il dans les armories du château d’Arginy ? La réponse n’est pas aisée.
Puisqu’il est dit, depuis l’époque de Jacques Breyer, que les armoiries figurées au-dessus de la porte du château d’Arginy contiennent des symboles alchimiques, j’ai cherché les équivalents alchimiques du « S » barré. J’ai trouvé deux symboles alchimiques qui correspondent à cette forme :
.1) Le Sang-Dragon (Sang du Dragon). Le Sang-Dragon (sanguis draconis) est une substance résineuse rougeâtre produite par diverses espèces végétales, utilisée depuis l’Antiquité gréco-romaine comme matière médicale et comme substance colorante. Le sang, de couleur rouge, a toujours été associé au feu. C’est un feu liquide.
.2) Le Sel des Pèlerins.
Si le « Sel des Pèlerins » ne semble par occuper une place importante dans la réalisation du Grand Œuvre alchimique, en revanche, le « Sang-Dragon » et son symbolisme, mérite toute notre attention. Dans le contexte des armoiries du château d’Arginy, le « Sang-Dragon » nous interpelle puisque les « S » barrés se trouvent justement situés de part et d’autre de la figure de Saint-Michel terrassant…, le dragon (!). A partir de ce constat, osons une interprétation : le « S » pourrait donc signifier la forme du dragon faite de deux courbes, et la « barre » (verticale ou oblique) serait la lance de Saint-Michel le terrassant. C’est une interprétation qui me semble relativement satisfaisante mais qui n’est sans doute pas la seule.
Rappelons à ce propos que l’Archange Saint-Michel, célébré le 29 Septembre, soit quelques jours à peine après l’équinoxe d’Automne, dans le signe zodiacal de la Balance, est le saint Patron de la Chevalerie ayant pour attributs l’épée et la Balance de Justice servant à la « pesée des âmes ». Saint-Michel est qualifié de « Maître de la Foudre », « Maître de la Rosée » (de rosis : force et vigueur), ce qui signifie qu’il est Maître de l’Alchimie et de la Pierre Philosophale. Ainsi, Saint-Michel nous invite à emprunter la Voie de régénération – Alchimique et spirituelle – par la maîtrise du Dragon et la délivrance de l’embryon d’immortalité (Luz) qui est en nous et qui est emprisonné dans la matière. Notons aussi que le Dragon a de tous temps été associé aux « trésors », et il en est d’ailleurs le gardien (le « Gardien du seuil »). Hors nous savons qu’Arginy a toujours été considéré comme le lieu où serait caché le trésor matériel (et sans doute aussi spirituel) de l’Ordre du Temple. Trésor apparemment bien gardé par le « Dragon » du lieu car il ne semble pas avoir été découvert malgré des fouilles intensives, du moins à notre connaissance.
Par ailleurs, nous avons découvert que sur l’un des médaillons ou bas-reliefs quadrilobés du portail Sud (côté Nord) de la primatiale Saint-Jean-Baptiste-et-Saint-Étienne (dite aussi, plus simplement, « cathédrale Saint-Jean ») est représenté un dragon ayant la forme d’un « S » dont le corps est transpercé par une lance portée par un Centaure. Notons que les trois portails de la primatiale sont « décorés » par 320 médaillons d’une très grande richesse et dont la signification, pour la plupart, reste encore mystérieuse. Nous savons cependant que ces représentations énigmatiques témoignent de connaissances alchimiques dont la clef de compréhension a été perdue aujourd’hui, sauf peut-être pour les « initiés »…, les vrais (appelés Adeptes). Nous avons tous entendu parlé du fameux livre de l’Adepte Fulcanelli, « Le Mystère des cathédrales », publié en 1926, qui décrypte le sens alchimique des grandes cathédrales de France et qui fait autorité dans ce domaine. Il est évident que la cathédrale Saint-Jean de Lyon ne fait pas exception, et que nombre de ses bas-reliefs ont une signification alchimique.
Lien vers les bas-reliefs quadrilobés, du portail Sud (côté Nord) de la primatiale Saint-Jean-Baptiste-et-Saint-Étienne à Lyon : https://quadrilobes.fr/portail-sud/


Nous avons aussi découvert un autre élément qui plaide en faveur de la signification alchimique des « S » barrés qui sont figurés sur les armoiries des seigneurs d’Arginy. Il se trouve, en effet, que le château de Cenevière dans le Quercy (département du Lot), abrite un laboratoire d’Alchimie et que sur le tracé sensé correspondre au « manteau » de la cheminée de ce laboratoire, sont représentés des « S » barrés (voir illustrations). Il est facile de constater que les « S » barrés du château de Cenevière sont exactement les mêmes que ceux qui figurent au-dessus de l’une des entrées du château d’Arginy. Sur les murs du laboratoire ont été peintes des scènes sur le thème des Métamorphoses d’Ovide.
Remarquons aussi que les « S » barrés de la cheminée de ce laboratoire alchimique sont accompagnés d’un symbole qui ressemble au symbole de l’alambic que nous examinons dans le chapitre suivant.
Sites Internet concernant le château de Cenevière :
https://www.chateau-cenevieres.com/
https://www.liber-mirabilis.com/l-alchimie-du-chateau-de-cenevieres-f1041143.html




Dans son « Grand Archet et le Serpent de Feu », Jacques Breyer nous donne une autre interprétation (et même plusieurs interprétations) du « S » barré qu’il appelle le « Grand Archet ». Rappelons, et ce n’est pas inutile, qu’un archet est une baguette de bois sur laquelle est fixée une mèche en crin de cheval. Nommé ainsi pour sa ressemblance avec un arc, il sert à faire vibrer les cordes d’un instrument de musique (un violon par exemple). Au début de l’ouvrage de Breyer, Albert Champeau prévient le lecteur que : « Paradoxalement, et malgré l’évidence visuelle, ce signe (le « S » barré) n’est pas un « S » barré », et que « L’intérêt occulte véhiculé par ce symbole est réservé aux Alchimistes Couronnés et aux Cherchants Méritants » (page 8). Selon Breyer/Champeau, ce Signe Antique (Champeau met des majuscules partout), gravé sur le blason de la porte d’entrée du château d’Arginy, aurait été laissé aux générations futures par les Seigneurs Initiés de la Renaissance et serait une sorte de marqueur du lieu, qui ne peut être qu’un « Haut-Lieu » prédestiné selon l’auteur. En outre, ce signe serait un très grand Pentacle pour Appeler les Puissances lors de pratiques théurgiques, pour celui qui « oserait » les convoquer (page 24). Pour Breyer/Champeau, « Le Grand Archet synthétise l’Arche d’Alliance. C’est une Clé Universelle de Circulations des Fluides, la Liaison Alchimique, par le trait – c’est-à-dire, par la Voie du Causal – entre les + de chaque Royaume » (page 36). Comprenne qui pourra… Plus loin (page 55), nous retrouvons les explications sibyllines – pour ne pas dire « obscures » – de notre couple Breyer/Champeau : « Appliqué à la Coquille du Pèlerin, le Grand Archet indique que, durant l’incarnation, le « Soufre-Pèlerin » tient, en-Haut, une Part de lui-même, son Double, son Ange Gardien, sorte d’Arc ou Arche d’Alliance avec ce « Personnage-Lumière ». Nous apprenons aussi que : « Appliqué à l’Arcane des Véhiculations, le Cheminement du « Soufre-Pèlerin » connaît régulièrement le « Couteau du Juge » qui l’oblige à Avancer dans son Pèlerinage, de Point en Point, de Fissions en Fusions par Retour filtré vers l’Unique, avec Retour en-Bas, dans la Réincarnation, sur un octave supérieur ; le + du Haut du Substratum, réapparaissant dans l’incarnation, dans un octave supérieur en bas » (page 55).
De ce langage abscons, il ressort que notre pauvre « Soufre-Pèlerin », c’est-à-dire notre Ego et notre Personnalité, semble cheminer de royaumes en royaumes, de fissions en fusions, pour tenter de se rapprocher, après toutes ces épreuves, de l’Unique.

Le symbole du « S » barré nous fait aussi penser au fameux « Sceau de Cagliostro » montrant un serpent dressé qui est transpercé de haut en bas par une flèche et tenant dans sa gueule une pomme. La référence à la Genèse et au serpent d’airain qui est mentionné dans le Livre des Nombres et dans l’Evangile de Jean (Nombres 21,8 et Jean 3,14), est évidente. Selon certains auteurs, le serpent et la flèche seraient les deux lettres, « S » et « I », qui signifieraient : « Supérieur Inconnu ». Ce sceau aurait été donné à Cagliostro lors de son passage dans la ville de Nuremberg par un personnage mystérieux qui aurait pu être, selon certains auteurs, un authentique Rose+Croix. Le rapprochement entre le « Sceau de Cagliostro » et le caducée hermétique s’impose car nous y trouvons les deux mêmes éléments symboliques de base : un serpent s’enroule autour d’un axe représenté par la flèche. Le serpent tient dans sa gueule une pomme ce qui signifie qu’il est détenteur de la Connaissance. Le fait qu’il soit transpercé indique clairement que c’est un « serpent crucifié » qui nous rappelle les passages de la Bible où il est question du serpent d’airain.
Il y aurait beaucoup à dire sur le personnage fascinant de Cagliostro, mais cela mériterait, au moins, un volume entier. Voici, cependant, ce que nous révèle l’écrivain et essayiste Jean Robin dans son livre, H.P. Lovecraft et le secret des adorateurs du serpent 4 : « Le sceau de Cagliostro, en qui nous avons reconnu un agent des gnostiques ophites ou séthiens, les vrais « Soixante-Douze » Adorateurs du Serpent, est à cet égard très parlant : un serpent qui tient dans sa gueule la pomme de l’Arbre de Vie, est dessiné en forme de « S » et transpercé par le milieu, d’une flèche qui, en réunissant sa tête et sa queue, résout par la même la dualité du bien et du mal, de la vie et de la mort. Symbole par ailleurs fort proche du serpent sur les représentations d’Abraxas. » Pour Jean Robin, Cagliostro aurait été un initié de haut rang, membre du cénacle des Supérieurs Inconnus (SI), chargé d’une mission spéciale auprès des élites de l’époque qui étaient responsables des destinées de l’Europe au XVIIIe siècle. Siècle particulièrement troublé comme nous le savons, pendant lequel se produisirent des événements dramatiques et d’immenses bouleversement sur tous les plans, qui allaient ouvrir la voie à l’émergence de notre monde moderne marqué par l’occultation complète de la Tradition Primordiale.
Dans le livre de Jacques Breyer (« Le Grand Archet et le Serpent de Feu »), tout un chapitre est consacré au « Message héraldique de Grand Initiés » et au Grand Archet de Cagliostro (page 81). L’auteur ne manque pas de signaler la ressemblance troublante entre le « Sceau du Secret » de Cagliostro et les « S » barrés d’Arginy et laisse entendre qu’ils sont la « marque » des Grands Initiés, Thaumaturges et Alchimistes (Alchimie interne) confirmés.
Pour être complet, nous pouvons aussi établir un rapprochement entre le « S » barré et le symbole hermétique du caducée qui est omniprésent dans les traités d’Alchimie. Dans le symbole du caducée chacun des serpents représente le mercure philosophique et le soufre philosophique, réunis au moyen du sel philosophique qui est la baguette centrale. Ce sont les véritables clés permettant d’obtenir la Médecine universelle, l’Or potable, sensée pouvoir guérir toute maladie humaine et la vieillesse.

Notes
Note 4 : Jean Robin, H.P. Lovecraft et le secret des adorateurs du serpent, Editions Guy Trédaniel, 2017.
Daniel Robin
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