L’ordre issu du chaos. C’est la tension entre l’entropie et la négentropie. Le chaos, ce serait l’amoncellement inorganisé sans cohérence. L’idée d’ordre implique la nécessité de penser et de régler, pour ne pas dire réguler l’organisation de la matière à partir d’une nature désorganisée.
Nassim Haramein explique le Big bang, le chaos et l’ordre : L’infini dans le fini :
L’état primordial, primitif du monde, c’est le Chaos. C’était, selon les poètes, une matière existant de toute éternité, sous une forme vague, indéfinissable, indescriptible, dans laquelle les principes de tous les êtres particuliers étaient confondus. Le Chaos était en même temps une «divinité» pour ainsi dire rudimentaire, mais capable de fécondité. Il engendra d’abord la Nuit, et plus tard l’érèbe (la ténèbre).
Ce grand mystère est au cœur des secrets des alchimistes médiévaux en quête de la perfection intérieure et de la pierre philosophale. Les anciens alchimistes représentaient la formule ordo ab chao à l’intérieur d’un serpent (ou dragon) se mordant la queue, appelé ouroboros.
Pythagore aurait donné le nom de cosmos (monde ordonné en grec) à l’univers à cause de l’ordre qui y règne. Le réel a un ordre et une évolution vers la complexification par émergences successives.
Ordo ab chao, cette formule est aussi la devise et l’emblème de la Franc-maçonnerie hermétique, dont l’origine remonterait à l’Égypte ancienne. Sur le plan historique, on trouve des traces de cette devise dès 1149, elle apparaît en inscription, dans un document trouvé en Allemagne faisant allusion aux Stone Layers. On la retrouve en 1250, 1295 dans différentes archives compte rendu de congrès ou de réunions de loges liées aux Anciens Maçons Opératifs, qu’elle accompagnera régulièrement. Elle s’affirme progressivement au cours du XVIIIe siècle et définitivement administrativement pour la 1ère fois après des années délicates dans la patente de De Grasse Tilly tout début XIXe, afin de mettre en place un certain ordre après le désordre qui régnait à l’époque en ce qui concerne l’organisation des grades de l‘écossisme. Il était nécessaire de mettre en place une transmission initiatique cohérente favorisant un ordre du chaos de l‘époque, en s‘appuyant sur les grandes Constitutions. Dans ce cadre on peut situer le but du REAA comme l‘union, le bonheur, le progrès, et le bien-être de la famille humaine en général et de chaque homme en particulier.

Comme l’écrit René Guénon (Aperçus sur l‘initiation) “Pour que le Chaos puisse commencer à prendre forme et à s‘organiser il faut qu‘une vibration initiale lui soit communiquer par les puissances spirituelles que la Genèse hébraïque désigne comme élohim, cette vibration, c‘est le Fiat Lux qui illumine le Chao et qui est le point nécessaire de tous les développements ultérieurs». Le Chaos est perçu comme un état négatif, alors qu‘il peut aussi être source d‘inspiration et qu‘il contient en germe tous les éléments de la création, de notre développement d‘homme en tant que maçon. De là viennent des expressions comme celles de « donner la lumière » et « recevoir la lumière », employées pour désigner, par rapport à l’initiateur et à l’initié respectivement, l’initiation au sens restreint, c’est-à-dire la transmission même dont il s’agit ici” (p.36/344).
Cela est repris par Michel Constant (Réflexions sur Ordo ab Chao dans Traditions écossaises, n° 4 Juillet 2002) «Par étapes successives, par degrés l‘impétrant est confronté à la destruction d‘anciens repère de pensée ; destruction qui doit permettre de construire de nouveaux repères plus subtils qui, une fois assimilés, seront eux aussi détruits pour permettre une nouvelle étape, une nouvelle construction.»
Depuis la création du 1er Suprême Conseil du Monde le 31 mai 1801 aux États-Unis à Charleston, la devise Ordo ab chao est la devise du Rite Écossais Ancien et Accepté. En adhérant à cette devise, le Maçon du REAA reconnaît l’existence d’un Principe d’Ordre à l’œuvre dans l’Univers.
Le relèvement du maître est un nouvel ordre donné après le désordre, celui du chaos de sa mort.
Écouter Marc Halévy sur la notion d’ordo et chao et la complexification de la réalité : à partir de 13’51
Reprenons maintenant les théories de l’Émanation déjà présentées dans l’article La Tétraktys, ou une théorie de l’émanation dans le delta lumineux ?
L’émanation est un processus consistant en ce que, suivant certaines doctrines, les êtres multiples qui forment le monde découlent (émanent) de l’être un qui en est le principe sans qu’il y ait de discontinuité dans ce développement. «Émanation» s’oppose à création». Ce terme implique la réalité du devenir et de la production successive des êtres dans le temps (André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la Philosophie, vol.1). «Du moment où Dieu émane éternellement de sa propre substance, qui contient toute chose en potentialité, d’abord les principes, puis les mondes, les univers et les êtres, par le fait de son activité propres, tous les mondes, les univers et les êtres, toutes les formes réalisées, ne sont animés et ne vivent que par l’effet du souffle divin qui les a émanés et les conserve. En d’autres termes, les univers et les êtres ne vivent que parce que Dieu habite d’une certaine manière en eux.»
Dans son sens métaphysique, cette théorie s’oppose à celle de l’évolution ; pourtant l’une et l’autre sont étroitement associées. La science enseigne que l’évolution est physiologiquement un mode de génération dans lequel le germe, qui développe le fœtus, préexiste déjà dans le géniteur ; le développement et la forme finale ainsi que les caractéristiques de ce germe sont accomplis dans la nature. L’occultisme répond que ce n’est là que le mode apparent, le processus réel étant l’émanation, processus guidé par des forces intelligentes dans le cadre d’une loi immuable.
Il fut un temps où la doctrine de l’émanation était universelle. Elle était enseignée aussi bien par les philosophes d’Alexandrie que par ceux de l’Inde, de Chaldée, ainsi que par les hiérophantes hellènes. Pour eux, bien que le mot hébreu asdt ait été rendu par «anges» dans la version des Septante il signifierait émanations, Æons, comme chez les Gnostiques. C’est ce qui est proposé dans Isis Dévoilée, p.48 : «Dans l’évolution, telle qu’on commence à la comprendre maintenant, on suppose qu’il y a dans toute matière une poussée pour assumer une forme supérieure, une supposition clairement exprimée par Manou et les autres philosophes hindous de la plus haute Antiquité.»
Les premiers penseurs grecs qui firent leur apparition vers le VIe siècle av. J.-C., à la périphérie de l’influence grecque, proposent une explication rationnelle du monde. Il existait, avant eux, dans le Proche Orient et la Grèce antique, des cosmogonies, mais elles étaient de type mythique, càd qu’elles décrivaient l’histoire du monde comme une lutte entre des entités personnifiées. Cette transformation radicale se résume dans le mot grec phusis (φύσις) qui, à son origine, signifie à la fois le commencement, le déroulement et le résultat du processus par lequel une chose se constitue. Aristote fait de la phusis le principe de tout mouvement et repos : « la nature, dans son sens primitif et fondamental, c’est l’essence des êtres qui ont, en eux-mêmes et en tant que tels, le principe de leur mouvement ». Pour eux tout appartenait à la phusis, les choses physiques comme aussi les idées, la parole poétique comme la parole de justice, le réel comme le probable ou le possible, les choses « naturelles » comme les œuvres humaines, le divin et les dieux, les choses présentes comme les choses absentes, le passé comme l’avenir, tout le domaine de l’étant était entièrement phusis, et tout obéissait à la loi d’airain du passage transitoire dans l’« ouvert ». Heidegger définira la phusis comme « ce qui s’épanouit de soi-même, le fait de se déployer en s’ouvrant et, dans un tel déploiement de faire son apparition, de se tenir dans cet apparaître et d’y demeurer ».
Selon Basilide, le plus célèbre des gnostiques, il n’y avait, avant la création du monde, que Celui qui est, mais n’existe pas, ce qui est une conception assez analogue à celle de l’Aïn soph (littéralement le sans fin) de la kabbale. Celui qui est, «voulut» un jour (mais ces mots, pour Basilide, ne sont que des approximations, car il n’y eut pas vraiment de jour, ni de volonté, ni même de pensée ou de sentiment au sens courant de ces termes) faire l’univers. Il émit alors ce qui devint comme le germe (sperma) de l’univers ; ce «germe» est comme une graine qui, dans son volume minuscule, contient en puissance un grand arbre portant lui-même un grand nombre de graines pouvant donner naissance à leur tour chacune à un arbre.
La question cruciale du passage de l’au-delà de l’Être à l’être [de l’étantité], du Un (puissance de toutes choses) au multiple se fait, selon Plotin, par l’intellect dans un processus unifié de l’Un jusqu’à la matière (Luc Brisson, Les Ennéades de Plotin 1/4 : Au commencement était l’Un).

Grande figure gnostique de Rome, Valentin (auteur d’un Évangile de Vérité au IIe siècle) va développer et structurer les théories gnostiques fondatrices de l’univers. Le Propator (le Père), engendre Sige (le silence), qui engendre le Noùs (l’esprit) et Aléthéia (la Vérité) qui à son tour engendre le Logos (le verbe) et Zoé (la vie) et ainsi de suite jusqu’à l’Anthropos (l’homme) lequel engendre Thélétos (la volonté) et Sophia (la sagesse). Ces 30 premiers éons constituent le Plérôme dont sortira le démiurge créateur. Tout cet enseignement se trouve dans la Pistis Sophia, la bible des gnostiques d’Égypte.

Selon le Vêdânta (qui veut dire la non-dualité), le Point suprême, l’Unique, mû par le désir de se connaître en un autre, se Scinde en deux il devient alors Shiva-Shakti, lui-même (potentialité) et son énergie (virtualité).
Ainsi prend naissance la première division de l’Être Unique, la dualité, et avec elle le phénomène de polarisation en même temps que le premier son accompagnant le «mouvement initial» dans la substance cosmique. Enfin, et toujours par l’action des mêmes lois, prennent naissance les éléments subtils du monde manifesté tangible celui dans lequel se meuve et les astres et les êtres dont ils sont peuplés C’est la troisième phase créatrice qui correspond à l’éclosion du point «sensible» et de «son développement dans l’espace» tel que nous le connaissons. Ce troisième plan implique l’existence :1/ de la Matière, d’abord sous des formes subtiles d’énergie qui vont se densifier de plus en plus et qui correspondent ultimement aux divers règnes du monde tangible 2/ l’Espace nécessaire au mouvement de la Matière 3/ du Temps ou mesure du mouvement de la matière «dans» l’espace. Dès la troisième phase créatrice, c’est à dire dès l’apparition du point «sensible» apparaissent aussi ses conditions de manifestation, l’Espace et le Temps, car le point en mouvement, soit par dilatation, soit par déplacement, ne peut bouger que dans l’Espace. D’autre part les différentes positions occupées successivement dans l’espace par le point en mouvement (la ligne) impliquent l’existence du temps Le rayon, la ligne droite horizontale est le symbole de l’Espace et les lignes perpendiculaires à la ligne droite marquent les positions successivement occupées par le point en sa course à travers l’espace et symbolisent le Temps.

Au XVIe siècle, Isaac Louria a l’intuition du tsimtsoum. Son interprétation du Zohar, le Livre de la Splendeur et en particulier du Béreshit (בְּרֵאשִׁית, première parole de la Genèse, généralement traduite par «Au commencement»), fait appel à une contraction de l’essence de Dieu( אַין סוֹף), l’aïn Sof qui se retire pour laisser un vide d’où paraîtra un point de lumière (aor, אַוּר) qui, en simplifiant à l’extrême, donne origine au créé par émanations successives.
Pour la kabbale hébraïque, la théorie de l’émanation repose sur l’exégèse d’un verset d’Isaïe : quatre mondes, correspondant aux quatre verbes utilisés dans le verset IS. 43,7, soit dans l’ordre de densification croissante : «appeler», «créer», «former» et «faire». Ces verbes sont des étapes de développement de l’univers, c’est-à-dire de l’ensemble des réalités sensibles et supra sensibles, imbriquées entre elles par des interactions, à la fois conjointes et simultanées.
“La création, acte primordial de l’émanation, n’est qu’un symbole grandiose de la manifestation divine. Elle fait voir ainsi la valeur intrinsèque du monothéisme (quoique son essence repose sur des conceptions panthéistes) qui n’est que l’Unité suprême rayonnant sur tout, ou régissant ou embrassant tout. Le mystère de la création semble résider au fond dans l’acte transformateur de la matière inerte en matière vivante…mais dans l’esprit pénétrant de la kabbale ; Dieu et l’univers ne forment en réalité qu’un. La Création n’est, si l’on peut dire, qu’une forme concrète de la divinité au sein de l’Univers” (article Aperçu sur la Kabbale par Raymond Baumgarden dans la Revue L’initiation de 1963, p.80).
Pour Spinoza l’émanation est une causalité immanente. La substance et son déploiement c’est D.ieu, rien ne s’excepte de cette Nature, par conséquent D.ieu n’est pas transcendant.

La Monas Hieroglyphica, composée à Londres, et terminée en 1564 à Anvers par le Dr John Dee, astrologue de la reine Élisabeth 1ère, est un petit traité qui enseigne comment l’hiéroglyphe mercuriel dérive du point central ou iod générateur. Cela évoque «l’araignée au centre de sa toile, image du soleil dont les rayons, qui sont des émanations ou des extensions de lui-même (comme la toile de l’araignée est formée de sa propre substance), constituent en quelque sorte le tissu du monde, qu’ils actualisent à mesure qu’ils s’étendent dans toutes les directions à partir de leur source» (René Guénon).
Les données récentes sur l’accélération de l’expansion de l’espace et l’éloignement des galaxies de notre univers, ainsi que la présence de ce qu’on a appelé énergie sombre et matière noire, pourraient faire penser que la vision de Louria du tsimtsoum n’est pas très éloignée de la réalité cosmologique.

Aujourd’hui, la théorie de l’émanation est à repenser en perspective avec les connaissances scientifiques de la physique quantique. Voir le documentaire Les origines de l’univers :
Parler d’origine c’est parler d’achèvement, raconter l’origine d’une chose, c’est raconter l’histoire dont cette chose est la conclusion.
On suivra avec enchantement les onze cours d’Aurélien Barrau sur le thème de l’univers :
Il faut entendre par origine de l’univers la transition qui fait passer de l’absence absolue de toute chose (ni espace, ni temps ni matière d’énergie des rayonnements, ni être transcendant, en somme autre chose que l’univers lui-même), du non-être, du néant à l’être. “Ce que l’on peut dire, c’est que quel que soit le vocabulaire pour désigner ce néant, l’origine de l’univers, si elle a eu lieu, n’est pas dans l’escarcelle de la science.” (38’18). Cela ne veut pas dire que l’univers n’a pas eu d’origine, mais cela appartient à un autre champ de pensées, celui de la métaphysique où toute foi a autant de valeur que toute autre. Ainsi, évoquer le GADLU en tant que principe d’ordre ne concerne que l’ordre de l’existant et ne répond pas à la question : qu’y avait-il avant le Gadlu ?
Restent les questions, pourquoi et pour quoi un ordre plutôt que le chaos ?
Ces réflexions me conduisent à délaisser toute interprétation causale et à tourner mon regard vers l’ « événement de l’être », qui est ici l’événement même du questionnement.