Les croyances
La religion répond au besoin essentiel de l’homme d’expliquer et de donner un sens à son existence. Sa naissance et son éducation sont bien souvent déterminants dans ses choix religieux. Toutefois, l’homme adulte et responsable est divisé devant les multiples croyances qui lui sont proposées. Je vais donc les décrire afin de voir plus clair dans ce dédale qui nous semble obscur au prime abord. L’initiation maçonnique que nous avons choisie remplit la même fonction sans imposer l’adhésion à des dogmes ou à des mythes qui heurtent la raison.
Mon intention n’est pas de faire œuvre d’érudition, mais d’analyser les diverses visions religieuses confrontées au rite Ecossais Ancien et Accepté. Je citerais à priori trois grands courants, le Théisme, le Déisme et l’Athéisme et naturellement l’agnosticisme.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’une religion ?
« La religion est le fait de se soucier d’une nature supérieure qu’on appelle divine et de lui rendre un culte » disait Cicéron. Le Littré quant à lui nous dit « que c’est l’ensemble de doctrines et de pratiques qui constitue le rapport de l’homme avec la puissance divine »
Les doctrines en question consistent essentiellement en diverses croyances propres à chacune des religions qui peuvent se résumer ainsi :
- L’existence de Dieu
- La providence divine
- La réalité de la révélation
- La nécessité des dogmes
- La réalité du bien et du mal moral
- L’immortalité de l’âme
- Les punitions et les récompenses dans un monde à venir, auxquelles on ajoutera pour la religion chrétienne, la divinité du christ et ses miracles.
En prenant la croyance en Dieu comme point de référence pour mon travail, je peux dores et déjà dégager l’approche philosophique du divin en plusieurs classes nuançant et s’éloignant de plus en plus des critères de cette croyance jusqu’à la négation de l’existence de Dieu. On trouve ainsi dans l’ordre de l’affirmation jusqu’à la négation, en première position le théisme, puis le déisme, puis l’agnosticisme et enfin l’athéisme.
« L’athéisme est une négation de Dieu et par cette négation, il pose l’existence de l’homme »
Karl Marx
Commençons par la négation de Dieu.

Les athées proposent comme réponse de dire que l’univers est éternel, sans début et sans fin, voilà tout. Si Dieu n’existe pas, comment expliquer l’ordre du monde ?
L’athée doit l’attribuer à un hasard aveugle, à des forces cosmiques qui ne viennent de nulle part. Le monde est sans explication et forcément il n’y a pas de loi morale, celle dont nous disons être soumis en Maçonnerie. L’Être suprême ou Dieu, ne peut pas être l’auteur cette loi morale. Sur quoi allons-nous donc fonder l’action humaine ? La réponse est évidente : Si Dieu n’existe pas, chacun peut vivre comme bon lui semble.

Si Dieu n’existe pas, l’humanité vit depuis son origine sur un malentendu au sujet du sens et de la destinée de l’homme. La vie est une farce. Il faut naître pour rien, vivre pour rien et mourir pour rien.
L’espérance de l’homme est uniquement dans le bonheur terrestre. L’athée est en continuelle contradiction avec lui-même chaque fois qu’il se soumet aux diktats d’une loi morale et notamment celle du REAA s’il y adhère par mégarde. Vous noterez mes TCF que l’athéisme est en complète contradiction avec notre démarche. D’ailleurs, devant la condition humaine et ce qui le dépasse, le REAA proclame en 1875 au Convent de Lausanne « La Franc-maçonnerie proclame, comme elle a toujours proclamé, l’existence d’un Principe Créateur, sous le nom de Grand Architecte de l’Univers. » nom qui est assurément en tant que symbole celui qui permet le plus large consensus car chacun est libre de mettre ce qu’il veut derrière ce symbole.
Cette formulation conservait la formule traditionnelle « Grand Architecte de l’Univers » sans plus la rattacher obligatoirement à une foi en un Dieu personnel et transcendant. Elle ouvrait ainsi très clairement les portes de la franc-maçonnerie aux déistes, ce qui correspondait aux évolutions survenues dans les franc-maçonneries.
Cela nous ouvre la réflexion sur les deux courants que sont le théisme et le déisme.
C’est à la fin du XVIIIème siècle qu’apparait le mot théiste sous la plume de l’anglais Cudworth pour désigner l’affirmation de l’existence de Dieu, conforté par des preuves philosophiques. Ce fut pour lui une façon de lutter contre l’athéisme. Le théisme consiste à placer Dieu au centre. On considérera donc la définition très globale, comme définition de vie pratique plutôt que sujet de considération théologique, on ne rentrera donc pas dans le détail des preuves ontologiques, des nuances entre déisme et théisme.

Jusqu’à la Renaissance, c’était la vision commune aux Hommes ; certes, d’aucuns objecteront que c’était davantage une vision plutôt imposée que « réfléchie » et que l’Homme agissait d’abord par crainte de Dieu et non par idéalisme, ce qui est vrai mais « la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse » et à notre époque où les Hommes n’ont jamais été aussi libres de penser, d’agir et de parler, l’amélioration reste à prouver. Dieu au centre signifie donc que tout était fait dans l’intention de plaire et obéir à Dieu. Cette vision de Dieu au centre à côté duquel l’Homme n’est rien est une conception absolutiste de la croyance.

C’est Diderot qui en donnera la définition la plus étendue. Pour lui, le théiste est celui qui est déjà convaincu de l’existence de Dieu, de la réalité du bien et du mal moral, de l’immortalité de l’âme et des peines et des récompenses à venir mais qui attend, pour admettre la révélation, qu’on la lui démontre.
Pour le théiste, ce Dieu n’appartient à aucune religion en particulier, il est créateur, unique personnel et transcendant. Il est libre de l’invoquer et de le servir selon les rites et traditions de chaque culture.
C’est en cela qu’il diffère du déisme.
Abordons maintenant le thème du déisme. Dans le langage théologique, le « Déiste » désigne de façon péjorative ceux qui se disent croyants mais qui ignorent les prescriptions religieuses et ne pratiquent pas le culte.

Voltaire se disait déiste et proclamait : Le dieu déiste est universel, il n’y a pas d’intermédiaire entre les êtres et Dieu, ce Dieu est bien supérieur à la « petitesse humaine » et ne s’occupe donc pas de ses affaires, ses cultes, ses rites et autres superstitions.
Cette conception d’un Dieu distant et indifférent se résume dans cette célèbre phrase « L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger. »
En résumé, le déisme peut être défini comme la croyance en un Dieu unique, suprême, immanent, ordonnateur ou créateur de l’univers, mais qui, contrairement au théiste, n’interagit pas avec le monde et n’intervient pas dans la destinée des hommes. C’est une philosophie sans dogme, ni religion, qui rejette toute révélation divine et ne condescend à aucun culte ni aucun rite.
Pour le déiste, la religion se réduit souvent à une éthique.
Un Maçon est obligé, par son engagement, d’obéir à la loi Morale et, s’il comprend bien l’art, il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irréligieux. (Article 1 des constitutions.) Le déisme nous convient donc parfaitement à priori.

L’agnosticisme prétend que Dieu est inconnaissable. Il ne sert à rien de se mettre en quête ou en recherche de Dieu, il est et il sera toujours inaccessible à nos pauvres intelligences humaines. Certains, un peu moins radicaux, disent qu’on peut avoir une certaine connaissance de Dieu, mais qu’on est incapable d’avoir la certitude de son existence.
Les conclusions de l’agnosticisme et de l’athéisme sont cependant les mêmes: il ne sert à rien de rendre un culte à un Dieu, car on est incapable d’en prouver l’existence ; il ne sert à rien de se soumettre à une loi morale qui aurait comme auteur l’Être suprême, car on n’est pas certain que cet être-là existe. Bref, l’agnosticisme arrive aux mêmes conclusions que l’athéisme : l’être humain n’a aucune obligation à l’égard d’un Être suprême qui est non existant ou inconnaissable. Maintenant que nous avons fait le tour des diverses positions philosophiques et croyances, il convient de se poser la question, à quoi ça sert tout ça ? Que cherchons-nous dans nos loges ?

Alors, si le Maçon comprend bien l’art, c’est-à-dire la pratique intelligente des vertus éthiques auxquelles tout homme d’honneur, libre, sensible, et charitable, d’où qu’il vienne, ne peut que souscrire, il ne peut se contenter de rester indéfiniment dans l’ignorance de leur véritable source principielle sans faillir à son devoir d’homme.
Car il ne suffit pas d’être un homme bon, il faut aussi vouloir devenir un homme vrai, c’est-à-dire un homme conscient de l’Esprit qui l’anime. C’est cette recherche de la vérité de l’Être qui constitue l’horizon de toute voie initiatique traditionnelle.
La recherche de la vérité n’est pas une orientation intellectuelle que l’homme s’impose après réflexion. La recherche de la vérité est avant tout un besoin, le besoin de connaitre, le besoin de savoir ce qui est vrai. C’est un besoin puissant profondément enraciné dans la nature humaine, une des composantes essentielles de la vie.
La connaissance apaise la faim et la soif inextinguible de la conscience comme les nourritures biologiques apaisent la faim et la soif du corps.
C’est ce que propose la pratique régulière du rite écossais.

En retour, et c’est le résultat le plus important, la pensée s’organise et se structure. Toutes les facultés de la conscience pratique s’accroissent en mémorisant, de façon automatique, les expériences acquises sous forme de connaissance du monde extérieur. Tout cela, bien entendu, dans une quasi obscurité consciente de ce processus lui-même. C’est tout l’intérêt d’une fréquentation assidue de son atelier.
Mais s’il lui arrive de s’intérioriser, c’est-à-dire à se retirer dans le monde de la pensée, il va découvrir progressivement tout un monde nouveau dans lequel sa faim et sa soif de connaître vont pouvoir trouver une nourriture adaptée à chaque palier de sa progression intérieure.

C’est le principe ultime de l’Être, le pôle caché vers lequel tendent, en fin de compte, les chemins sinueux de nos multiples tentatives de connaître la Vérité sur quelque niveau que ce soit. Ce principe n’est pas inerte ou passif. Il n’attend pas qu’on veuille bien le découvrir, il aspire lui-même à être connu. C’est cette aspiration même qui nous habite en manifestant sa présence sous la forme vitale du désir de connaître. Une fois comprise, elle va nous aider à remonter le chemin vers sa source, celle qui est à l’origine de la Vie et de son mystère.
Mais la descente en soi-même n’est-elle pas surtout la seule façon de se rencontrer soi-même, dans sa nue réalité, pour se présenter, avec son vrai visage, à la mystérieuse lumière du royaume de l’Esprit.

Le royaume de l’esprit est un domaine bien particulier, un domaine à part, si nous pouvons encore parler de domaine pour une réalité qui remplit tout espace. Au plus profond de nous-mêmes, à la frontière subliminale qui sépare le conscient de l’inconscient, nous nous trouvons face à l’inconnu. Non conceptualisable, inexprimable en mots, laissant la pensée vide d’images, il est, c’est tout ce qu’on peut en dire. Une barrière infranchissable s’oppose à toute pénétration par nos moyens d’investigation psychiques habituels. Ici, rien ne se manifeste hors un sentiment de présence et de puissance informulables. Comment connaître ce qui laisse la pensée en suspens et tout concept vain ?
Notre voie maçonnique est discrète sur ce point comme elle est discrète sur de nombreux autres points concernant les moyens à utiliser pour pénétrer dans l’obscurité de la caverne du cœur. Ce n’est qu’avec le temps et le travail personnel que chacun doit trouver son chemin.
L’idée est simple à comprendre mais d’une difficulté extrême à réaliser sans un entrainement constant. Alors, peut-être pourrons-nous entendre comme une voix venue du fond de nous-mêmes, une voix porteuse d’une parole comblant notre attente informulée, cette parole de vie que nous cherchons inlassablement ; “la parole perdue”.

La connaissance obtenue dans ces conditions n’a plus rien à voir avec ce que nous appelons connaissance, au sens profane. Il ne s’agit plus ici d’une accumulation, dans le mental, d’un savoir obtenu par communication, par transmission. Il ne s’agit pas non plus d’une imprégnation plus complète de notre être corporel par une expérience directe de la vie existentielle. Cette connaissance là ne touche que les fonctions psychiques enracinées dans notre être biologique, ainsi que nous l’avons déjà dit. Elle est incertaine, modifiable et sujette à disparition.
La connaissance dont nous parlons est dun autre ordre. Elle ne provient plus du contact du moi avec l’extérieur. ll ne s’agit donc plus d’une connaissance objective. Elle surgit de l’intérieur, directement de notre foyer spirituel, pour investir la conscience réceptive que nous sommes. C’est l’éveil de notre conscience à une autre conscience, une transformation instantanée, totale et irréversible. Connaitre devient ici synonyme d’état d’être, d’état de conscience, mais aussi de communion ou de participation à un certain niveau d’éveil. Connaitre, c’est être, connaissance et conscience sont identiques. Les expressions “perdre conscience” ou “ne plus avoir sa connaissance” ne sont-elles pas équivalentes dans le langage courant?
Il ne s’agit pas en effet de se contenter d’une simple compréhension intellectuelle du processus de transformation de notre être véritable. Il faut le réaliser pour soi et en soi. C’est le devoir de l’homme.
La connaissance que nous cherchons ne sortira jamais du domaine psychique dans lequel nous nous complaisons. Elle ne peut s’exprimer en termes de concepts ni se montrer dans le traitement de ceux-ci aussi savants soient-ils. La Vérité n’est pas une idée, c’est une réalité vivante à découvrir. Elle se trouve dans la racine de notre être, au cœur le plus profond de notre intériorité, dans le Saint des Saints de notre Temple intérieur, même si la barrière qui nous en sépare nous empêche encore d’entendre sa voix.

Nous avons tous perdu un être cher, et tout naturellement la question s’est posée sur cette finitude de l’Être définitive ou provisoire. Sachez mes sœurs et mes frères que je n’ai pas de réponse toute prête ni de définition dogmatique à vous soumettre, mais plutôt mon intime conviction à partager.
Si nous n’avons aucun signe de l’Être disparu, cela ne veut pas signifier pour autant que le néant s’oppose à la vie. Nous avons vu plus haut que notre recherche fait appel à d’autres niveaux de compréhension et qu’aujourd’hui nous ne sommes pas en capacité d’appréhender seulement avec nos 5 sens.

Lorsqu’un de nos Frères nous a définitivement privés de sa présence, nous disons qu’il est passé à I’Orient éternel. L’Orient est pour nous un terme familier qui désigne le lieu où siège la plus haute Lumière, celle du Delta symbole de la Suprême Pensée qui anime le monde comme elle guide et éclaire notre quête spirituelle. C’est pourquoi c’est aussi celui où siège le Vénérable Maître de la Loge. Mais il est clair que l’Orient parce qu’il suggère une éternité de Lumière, se situe au delà du Temple et du monde matériel, qu’il a un rapport avec la présence du Grand Architecte de l’Univers, et qu’il est ce lieu sacré et inconnu où se retrouvent tous ceux qui ont quitté ce monde et tous nos Frères disparus. Nous Maçons, nous voyons l’Orient éternel comme un espace où la vie se perpétue, puisque nos Frères dans notre esprit demeurent vivants, immortels, que nous les associons à notre Chaîne d’Union rituelle où nous les pensons là, nous tenant par la main et poursuivant cependant ailleurs et dans une autre Lumière l’œuvre de perfection à laquelle ils se sont voués. Victor Hugo, qui fut aussi un grand poète initié, n’a t-il pas écrit: Les morts sont des vivants mêlés à nos combats ? Lui aussi ne pouvait les concevoir séparés de la vie et surtout de notre vie, de nos espérances et de nos travaux.

Nos ancêtres ont toujours cru à la survivance de l’esprit des morts et les premiers gestes funéraires des humains primitifs témoignent pour les spécialistes de la préhistoire de la préoccupation d’un passage des disparus dans un autre monde. Et que signifieraient le mot d’espoir qui suit les multiples « gémissons » de la batterie de deuil, et le fait qu’elle soit toujours suivie d’une batterie d’espérance, de confiance et de sérénité, si ce rite ne nous invitait pas à croire que la vie se prolonge ailleurs dans un monde de lumière où l’initié connaîtra l’initiation véritable.
Est-ce que nous dirions: « Les corps de nos Frères disparus ont rejoint les ténèbres, mais leur esprit brille encore » si nous ne partagions cette espérance d’une survie future que toutes les symboliques initiatiques et religieuses nous ont toujours enseignée ?
La phrase “Si Dieu n’existe pas, chacun peut vivre comme bon lui semble” établit un lien de causalité surprenant. Les lois qui organisent une société ne sont-elles que d’origine divine ? L’éthique du je/tu ne peut-elle être un impératif sans Dieu ? Maintenant nommer Dieu le principe d’ordre de l’univers, pourquoi pas ? C’est tout aussi valable que de le nommer ILELLE ou oignon (il y a des adorateurs de l’oignon) ou Mystère ou encore de ne pas le nommer. (-_-)