lun 31 mars 2025 - 04:03

Les Francs-maçons centrafricains s’émancipent : une nouvelle ère pour la Franc-maçonnerie en Afrique Centrale

De notre confrère africaintelligence

Une nouvelle page s’écrit dans l’histoire de la Franc-maçonnerie en République centrafricaine (RCA). Selon une révélation d’Africa Intelligence, l’entité maçonnique centrafricaine, jusqu’alors simple cellule « provinciale » de la Grande Loge du Congo, a réuni les conditions nécessaires pour obtenir son autonomie complète. Ce mouvement d’émancipation, bien plus qu’une formalité administrative, marque un tournant symbolique et stratégique pour les Francs-maçons centrafricains, dans un contexte où la Franc-maçonnerie africaine cherche à s’affranchir des tutelles historiques pour affirmer une identité propre. Décryptage d’un phénomène qui dépasse les frontières de la RCA et interroge les dynamiques maçonniques en Afrique francophone.

Une autonomie longuement mûrie

La Franc-maçonnerie centrafricaine n’est pas une nouveauté. Depuis des décennies, elle opère sous l’égide de la Grande Loge du Congo, une obédience influente en Afrique centrale, souvent perçue comme un bastion des loges dites « régulières », c’est-à-dire affiliées à des traditions maçonniques conservatrices, proches de la Grande Loge unie d’Angleterre. Cette tutelle congolaise, bien que structurante, reflétait une forme de dépendance héritée des dynamiques postcoloniales. La Grande Loge du Congo, dirigée par des figures comme le président Denis Sassou Nguesso – lui-même une figure tutélaire de la Franc-maçonnerie africaine –, a longtemps joué un rôle de « grand frère » pour les loges de la région, y compris en RCA.

Mais cette dépendance n’était pas sans tensions. En RCA, les Francs-maçons locaux, souvent issus des élites urbaines et politiques, aspiraient à une autonomie qui leur permettrait de mieux répondre aux enjeux spécifiques de leur pays. La RCA, marquée par des décennies d’instabilité politique et de conflits armés, a vu ses institutions maçonniques fonctionner dans un cadre discret, voire clandestin, pour éviter les persécutions politico-religieuses. L’autonomie nouvellement acquise offre donc une opportunité de renforcer leur visibilité et leur influence, tout en s’éloignant de l’ombre pesante du Congo-Brazzaville.

Un contexte maçonnique africain en mutation

Pour comprendre l’ampleur de cette émancipation, il faut replacer l’événement dans le contexte plus large de la Franc-maçonnerie en Afrique francophone. Introduite dès 1781 à Saint-Louis du Sénégal par le Grand Orient de France, la Franc-maçonnerie africaine est un héritage colonial qui s’est progressivement africanisé après les indépendances des années 1960. Cependant, elle reste marquée par une forte influence des obédiences européennes, notamment françaises, comme la Grande Loge nationale française (GLNF) ou la Grande Loge de France (GLDF). En RCA, comme dans d’autres pays, les loges ont souvent été perçues comme des instruments de cooptation des élites par les pouvoirs en place, un rôle qui a alimenté une défiance croissante envers leur indépendance.

Cette défiance est particulièrement palpable dans les loges « régulières », dont la Grande Loge du Congo est un pilier. Ces loges, qui proscrivent officiellement l’athéisme et le débat politique, sont souvent traversées par des ambitions politiques, comme le soulignent des enquêtes d’Africa Intelligence. Denis Sassou Nguesso, qui a initié des figures comme le président tchadien Idriss Déby au début des années 2000, incarne cette imbrication entre pouvoir politique et Franc-maçonnerie. En RCA, cette proximité a parfois été mal vécue, notamment sous la présidence de François Bozizé (2003-2013), lui-même Franc-maçon initié par Sassou Nguesso, qui s’appuyait sur les réseaux maçonniques pour asseoir son pouvoir.

L’émancipation des Francs-maçons centrafricains peut donc être lue comme une volonté de s’affranchir de ces réseaux d’influence régionaux, dominés par des figures comme Sassou Nguesso. Elle s’inscrit aussi dans une dynamique plus large de « rééquilibrage » des relations maçonniques en Afrique centrale. Par exemple, au Gabon, le nouveau grand maître Jacques-Denis Tsanga a récemment réorienté les alliances de la Grande Loge du Gabon vers les loges congolaises et françaises, au détriment de l’obédience béninoise, illustrant une reconfiguration des rapports de force.

Les conditions de l’autonomie

Quelles sont les « conditions » mentionnées par Africa Intelligence pour cette autonomie ? Si les détails précis restent confidentiels – une pratique courante dans le monde maçonnique –, plusieurs critères sont généralement requis pour qu’une entité maçonnique accède à l’indépendance. D’abord, il faut un nombre suffisant de loges actives et de membres pour garantir la viabilité de l’organisation. En RCA, malgré les défis liés à l’instabilité du pays, les loges ont su se maintenir, souvent grâce à la discrétion et à la résilience de leurs membres, majoritairement issus des élites intellectuelles et administratives.

Ensuite, une obédience autonome doit démontrer sa capacité à fonctionner selon les principes maçonniques « réguliers », comme le respect des landmarks (règles fondamentales de la Franc-maçonnerie traditionnelle) et l’absence de débat politique ou religieux en loge. Enfin, elle doit obtenir la reconnaissance d’autres grandes loges, un processus qui peut être long et politiquement chargé. Dans le cas centrafricain, l’autonomie a probablement été facilitée par un soutien de la GLNF, à laquelle la Grande Loge du Congo est affiliée, mais aussi par une volonté de diversifier les alliances, notamment avec des obédiences comme la Grande Loge de France ou même des loges anglophones.

Une émancipation aux enjeux multiples

Cette autonomie n’est pas sans enjeux. Sur le plan interne, elle pourrait renforcer l’influence des Francs-maçons centrafricains dans un pays où les institutions étatiques sont fragiles. La RCA, encore marquée par les conflits armés et les luttes de pouvoir, pourrait voir les loges jouer un rôle accru dans la médiation sociale ou politique, comme elles l’ont tenté – sans succès – au Congo-Brazzaville en 1997, lors des affrontements entre Denis Sassou Nguesso et Pascal Lissouba, tous deux Francs-maçons mais d’obédiences opposées.

Sur le plan régional, cette émancipation pourrait redéfinir les équilibres maçonniques en Afrique centrale. La Grande Loge du Congo perd une partie de son influence directe, ce qui pourrait affaiblir son rôle de pivot régional. Par ailleurs, des posts sur X datés du 25 mars 2025, comme ceux de

@Sahelintel1 et

@LucaMainoldi, interprètent cet événement comme une émancipation non seulement du Congo, mais aussi, indirectement, de la tutelle française, via la GLNF. Cette lecture, bien que spéculative, reflète un sentiment partagé : la Franc-maçonnerie africaine aspire à une identité propre, moins dépendante des obédiences occidentales.

Enfin, sur le plan symbolique, cette autonomie s’inscrit dans un mouvement plus large de construction d’une « afro-maçonnerie », comme le note Wikipédia. Depuis le début du XXIe siècle, des loges africaines cherchent à réinventer leurs rites dans une perspective locale, intégrant des éléments culturels africains tout en s’inspirant de modèles comme les loges Prince Hall, historiquement liées aux communautés afro-américaines. En RCA, cette quête d’identité pourrait revitaliser une Franc-maçonnerie souvent perçue comme élitiste et déconnectée des réalités locales.

Défis et perspectives

L’autonomie des Francs-maçons centrafricains, si elle est une victoire, n’est pas exempte de défis. Le premier est celui de l’indépendance réelle : comment éviter que cette nouvelle obédience ne devienne, comme dans d’autres pays, un instrument au service du pouvoir en place ? En RCA, où les élites politiques et maçonniques sont souvent imbriquées, ce risque est réel. Le deuxième défi est celui de la reconnaissance internationale : sans l’appui de grandes loges influentes, l’obédience centrafricaine pourrait rester marginale.

Enfin, les loges centrafricaines devront naviguer dans un environnement hostile, marqué par les critiques des courants religieux, notamment chrétiens, qui dénoncent régulièrement la Franc-maçonnerie comme une organisation secrète et anti-religieuse. Ce climat de suspicion, exacerbé par l’instabilité du pays, pourrait compliquer leur développement.

Une étape vers une Franc-maçonnerie africaine souveraine ?

L’émancipation des Francs-maçons centrafricains de la Grande Loge du Congo est un événement significatif, mais elle n’est qu’une étape dans un processus plus vaste. À l’heure où la Franc-maçonnerie africaine cherche à s’affranchir des héritages coloniaux, cette autonomie pourrait inspirer d’autres obédiences de la région, comme au Tchad ou au Cameroun, où les loges restent sous influence française ou congolaise. Elle pose aussi la question de l’avenir des loges « régulières » : continueront-elles à dominer, ou verront-elles émerger des obédiences plus libérales, comme celles affiliées au Grand Orient de France, qui tolèrent les débats politiques et l’athéisme ?

En attendant, les Francs-maçons centrafricains célèbrent une victoire symbolique. Dans un pays où les institutions peinent à s’imposer, cette nouvelle obédience pourrait, si elle reste fidèle à ses idéaux, devenir un espace de dialogue et de réflexion. Mais, comme le souligne Claude Wauthier dans Le Monde diplomatique (1997), la Franc-maçonnerie africaine doit encore prouver qu’elle peut transcender les rivalités politiques et religieuses pour incarner une véritable force d’humanisme et de fraternité. L’avenir dira si les Francs-maçons centrafricains relèveront ce défi.

1 COMMENTAIRE

  1. Très intéressant et instructif sur la maçonnerie centrafricaine et d’autre pays africaine. Charles Albert Delatour étant lui même maçon nous a tracé les voies que recherche beaucoup d’obédience africaine. ( s’affranchir des héritages coloniaux.) en Afrique de l’ouest le problème reste posé et ne trouve pas sa solution. Nous voyons que le Sénégal puissance maçonnique ouest africain est en déclin, le Niger, le bourkina et au Mali traverse aussi des moments difficile. Des recherches à ce niveau fera du bien.

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Charles-Albert Delatour
Charles-Albert Delatour
Ancien consultant dans le domaine de la santé, Charles-Albert Delatour, reconnu pour sa bienveillance et son dévouement envers les autres, exerce aujourd’hui en tant que cadre de santé au sein d'un grand hôpital régional. Passionné par l'histoire des organisations secrètes, il est juriste de formation et titulaire d’un Master en droit de l'Université de Bordeaux. Il a été initié dans une grande obédience il y a plus de trente ans et maçonne aujourd'hui au Rite Français philosophique, dernier Rite Français né au Grand Orient de France.

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