lun 31 mars 2025 - 20:03

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Fraternité & Reconnaissance : indissociable ?

Contribution du F∴ Jean ALBA

Dans le paysage maçonnique français, derrière les colonnes des temples et les discours empreints de sagesse, se dissimule une réalité bien moins édifiante. Le principe de reconnaissance entre obédiences, présenté comme un garde-fou institutionnel garantissant l’authenticité des pratiques, s’avère souvent n’être qu’un instrument au service de luttes d’influence et de querelles intestines qui trahissent l’essence même de l’Art Royal.

La Franc-maçonnerie française contemporaine offre un spectacle paradoxal : tandis que ses représentants évoquent avec éloquence les idéaux d’universalité, de fraternité et d’ouverture d’esprit, les structures obédientielles perpétuent un système de reconnaissance mutuelle qui relève davantage de la diplomatie politique que de la quête spirituelle. Ce n’est pas tant la qualité des travaux ou la fidélité aux traditions qui déterminent la légitimité d’une obédience aux yeux de ses pairs, mais bien sa capacité à s’imposer dans un jeu d’alliances stratégiques.

Au-delà des apparences, un jeu de pouvoir déguisé

Observons avec lucidité ce phénomène : lorsque certaines obédiences (GO, GLMF, DH, et bien d’autres…) refusent de reconnaître le statut même de frère car la lumière reçue ne l’a pas été dans des obédiences où les documents administratifs – à savoir les accords de reconnaissances – n’ont pas été signé, au point même que nous constatons parfois, sur le parvis de certains temples, des frères et des sœurs qui ne se saluent même pas, peut-on véritablement invoquer des divergences philosophiques insurmontables ?

N’est-ce pas plutôt l’expression d’une concurrence malsaine, de luttes d’orgueil ou d’une course aux effectifs qui transforme insidieusement le temple en marché ?

Les obédiences maçonniques françaises se livrent ainsi à une surenchère, numérique, moraliste ou légitimiste, qui dénature leur vocation première. Chaque année, les rapports moraux des Grands Maîtres et Grandes Maîtresses s’enorgueillissent de l’augmentation du nombre de leurs affiliés, comme si la valeur d’une institution initiatique se mesurait à l’aune de sa taille. Cette quête effrénée de croissance quantitative alimente les rivalités inter-obédientielles et justifie le maintien de barrières artificielles entre frères et sœurs qui, en d’autres circonstances, pourraient travailler ensemble à l’édification du temple symbolique.
Plus troublant encore est le spectacle des luttes égotiques qui sous-tendent ces mécanismes de reconnaissance. Les instances dirigeantes des grandes obédiences françaises se transforment parfois en arènes où s’affrontent des ambitions personnelles démesurées. Les refus de reconnaissance deviennent alors des instruments de prestige pour ceux qui occupent les hautes fonctions obédientielles, leur permettant d’asseoir leur autorité sur leur propre juridiction en désignant un “autre” illégitime.

Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit, et sans armes

Cette balkanisation du paysage maçonnique français génère des situations d’une absurdité confondante. Comment justifier qu’un initié ayant reçu la lumière selon les rites les plus anciens puisse être considéré comme “irrégulier” par une obédience voisine, non en raison de la qualité de son parcours initiatique, mais simplement parce que les instances dirigeantes de son obédience ont refusé de se plier à tel ou tel diktat administratif ?

Peut-on encore parler de fraternité lorsque des frères ou des sœurs ne s’acceptent pas de fait ? Lorsque les visites sont ponctuées par un émargement tronqué, par des salutations non autorisées ou par l’absence de participation aux agapes, par crainte d’être réprimandé par les instances dirigeantes ? Y aurait-il donc une hiérarchie obédiencielle, attribuant des droits différents en fonction de notre obédience ? Dans le profane, cela porte un nom, et je n’ose croire que l’on puisse être Franc-maçon et tolérer cela.

Le comble de l’ironie réside dans la coexistence de ces pratiques exclusives avec des discours officiels exaltant l’universalité. Les mêmes dignitaires qui proclament l’ouverture de la Franc-maçonnerie à toutes les formes de pensée s’empressent d’ériger des barrières entre leurs membres et ceux des obédiences “concurrentes“. Cette dichotomie entre le discours et la pratique érode progressivement la crédibilité de l’institution maçonnique tout entière.

Le sérieux du travail ne réside pas dans des traités, mais à travers le travail des frères et des sœurs en loge. Fermerions-nous la porte à un profane méritant sous prétexte que son père ne l’est potentiellement pas ? Un frère est un frère, une sœur est une sœur, et si la Lumière a été reçue, les portes doivent lui être ouvertes en toute fraternité. Il ne s’agit pas ici d’aborder le sujet de la mixité, qui est quant à lui un tout autre débat propre à chaque Franc-maçon, et qui s’explique bien souvent par des ressentiments individuels, mais bien de reconnaissance et de fraternité.

Il est temps que les francs-maçons français s’interrogent sur la pertinence de ces mécanismes de reconnaissance qui, loin de préserver l’authenticité de la démarche initiatique, la dénaturent en l’instrumentalisant au profit de querelles territoriales et d’ambitions personnelles. La véritable reconnaissance ne devrait-elle pas s’établir sur le terrain des affinités spirituelles plutôt que sur celui des alliances stratégiques ?

L’avenir de la Franc-maçonnerie française dépendra de sa capacité à transcender ces divisions artificielles pour renouer avec sa vocation essentielle : offrir un espace de réflexion et d’élévation spirituelle affranchi des contingences profanes. Cela implique nécessairement une refonte des mécanismes de reconnaissance inter-obédientielle, non plus fondés sur des considérations politiques ou numériques, mais sur un authentique respect de la diversité des approches initiatiques.

À défaut d’une telle évolution, la Franc-maçonnerie française risque de se réduire à une constellation de chapelles rivales, trahissant ainsi l’idéal universaliste qui constitue pourtant sa raison d’être.

5 Commentaires

  1. En plein accord avec ces propos, mais comment faire?
    il est vrai que le paysage maçonnique français est ahurissant; cela fera bientôt 40 ans que je vis ce drame et je n’ai pas trouvé la solution
    aurais tu mon TCF une idée?
    merci

  2. Entièrement d’accord ! Dans les ténèbres, la lumière du soleil se perçoit ainsi que celle de la lune et de la plus petite étoile.
    Fraternelles salutations.

  3. En total accord avec ces propos.
    Les frères et soeurs ne doivent pas accepter ces délires absurdes – même si ces directives proviennent de leurs obédiences – mais vivre pleinement la fraternité pour lequel ils ont prêté serment.

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