mer 19 mars 2025 - 23:03

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Peut-on définir avec exactitude l’ADN de la Franc-maçonnerie ?

Depuis toutes ces années où je revêts le tablier, une question me taraude régulièrement. Chaque fois qu’un Frère ou une Sœur prend la parole pour définir la Franc-maçonnerie, je n’entends jamais deux fois la même version, ni la même définition quant à l’essence de cet art. Se pourrait-il que nous pratiquions tous des disciplines différentes ? Je suis donc parti en quête d’une définition commune, une qui ferait autorité et permettrait d’aborder cet art multicentenaire dans une langue partagée. Pour mener mon enquête, j’ai exploré les bibliothèques, les moteurs de recherche… j’ai même interrogé de vieux maçons. Une seule réponse m’a convaincue, et je vous invite à m’accompagner dans son exploration pour ouvrir un vrai débat : « Peut-on définir l’ADN de notre Franc-maçonnerie ? »

Une définition insaisissable ?

Logo Wikipedia

Interrogez Wikipédia sur la franc-maçonnerie, et voici ce que vous obtiendrez : « Le mot Franc-maçonnerie désigne un ensemble d’espaces de sociabilité sélectifs, formé de phénomènes historiques et sociaux très divers. Le recrutement des membres est fait par cooptation et pratique des Rites initiatiques se référant à un secret maçonnique et à l’art de bâtir. » Soyons honnêtes : après trois lectures, cette définition reste aussi claire qu’un brouillard matinal sur les bords de la Tamise. Elle illustre pourtant une réalité fondamentale : la franc-maçonnerie est un kaléidoscope de pratiques et de sensibilités, aussi variée que les individus qui la composent. Cet article, fruit de décennies d’observation et de pratique dans des loges à travers le monde, propose une définition éclairée et nuancée, tout en explorant les multiples facettes de cette voie initiatique.

Une voie initiatique aux formes diverses

La franc-maçonnerie est avant tout une voie initiatique, un cheminement personnel et collectif qui s’appuie sur des rites et des symboles pour élever l’individu vers une meilleure compréhension de soi et du monde. Mais cette définition, bien que centrale, ne suffit pas à capturer sa diversité. Demandez à un historien de la maçonnerie et il insistera sur ses origines, souvent datées de 1717 avec la création de la Grande Loge de Londres. Interrogez un frère féru de politique et il mettra en avant son rôle dans des combats comme la laïcité ou les droits humains, notamment en France où le Grand Orient a influencé des réformes sociales. Une sœur tournée vers les activités sociales vous parlera de bienveillance et de fraternité vécue au quotidien. Enfin, un maçon symboliste vous entraînera dans les méandres de l’ésotérisme, évoquant des concepts comme la lumière intérieure ou le Grand Architecte de l’Univers.

Pour illustrer cette diversité, comparons la franc-maçonnerie aux arts martiaux. Certains pratiquent le karaté pour se défendre, d’autres le tai-chi pour le bien-être, et d’autres encore le judo pour la compétition ou le loisir. Pourtant, toutes ces disciplines partagent le même nom générique : arts martiaux. De la même manière, la franc-maçonnerie regroupe une multitude de pratiques – symboliques, sociales, philosophiques – qui répondent à des attentes variées, mais convergent vers un même idéal : l’amélioration de l’individu et, par extension, de la société.

Ce que la Franc-maçonnerie n’est pas

Avant de préciser ce qu’est la franc-maçonnerie, clarifions ce qu’elle n’est pas, car les malentendus sont légion. Elle n’est ni un club de rencontres, ni un réseau d’affaires, ni une antichambre du pouvoir, malgré les fantasmes complotistes qui l’associent aux Illuminati ou à des cercles occultes. Elle n’est pas non plus un parti politique, bien que certains maçons s’engagent dans des causes publiques, comme la défense de la laïcité ou des droits des femmes. Ce n’est pas un think tank, un cercle de philosophie, un centre d’entraînement à la parole, une officine religieuse ou un cabinet de thérapie, même si elle peut emprunter des éléments à ces domaines. La franc-maçonnerie est autre chose, plus profonde et plus intime.

Voltaire

En France, elle compte environ 170 000 membres en 2025, un corps social vivant et évolutif, sans pouvoir centralisé. Née il y a quatre siècles, elle a traversé les époques, s’adaptant aux contextes historiques. Au XVIIIe siècle, elle était un espace de libre pensée face à l’absolutisme ; au XIXe siècle, elle a soutenu des idéaux républicains ; au XXe siècle, elle a résisté aux totalitarismes. Aujourd’hui, elle continue d’évoluer, parfois tiraillée entre tradition et modernité, comme le montrent les débats sur la mixité ou la transparence.

Les fondements de la Franc-maçonnerie

Entendons-nous bien : l’objectif est de saisir, de manière sémantique, l’ensemble des pratiques maçonniques françaises, loin du lieu commun insipide qu’offre la définition de Wikipédia. Il s’agit d’exposer en quelques mots l’essence profonde, de l’identité, qui rend la franc-maçonnique unique et incomparable. Cette approche englobe-t-elle toutes nos pratiques ? Retirez un seul mot : Est-ce encore de la Franc-maçonnerie ?

Voici une proposition de définition concise :

« Regroupement d’individus dans un but initiatique. Celui-ci se caractérise par l’étude rituelle de la géométrie sacrée. »

Franck Fouqueray – Ma Franc-maçonnerie mise à nu (Éd. LOL)

Décomposons cette définition en quatre points essentiels :

  1. Regroupement d’individus: Aucun maçon ne peut travailler seul. La loge est le lieu de rencontre et de travail collectif, un espace où les membres se réunissent pour pratiquer leurs rites. Il n’existe aucun rite, dans aucun pays, où les maçons opèrent en solitaire.
  2. Initiatique : L’entrée en franc-maçonnerie passe toujours par une initiation (du moins dans la maçonnerie française, car l’anglaise est différente), un rituel symbolique qui marque le début du cheminement. Ce processus, souvent empreint de mystère, vise à provoquer une transformation intérieure, un passage des ténèbres à la lumière.
  3. Géométrie : La franc-maçonnerie s’appuie sur les principes géométriques hérités des bâtisseurs. Comme le fronton de l’Académie platonicienne le proclamait, « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre » – non pas au sens littéral, mais dans l’idée d’harmonie et de justesse. Les symboles maçonniques, comme l’équerre (rectitude), le compas (mesure), le fil à plomb (verticalité) ou le niveau (égalité), sont des outils géométriques qui incarnent des valeurs universelles.
  4. Sacrée, mais non religieuse : Le « sacré » en franc-maçonnerie ne renvoie pas à une divinité spécifique, mais aux lois immuables et indiscutables qui animent l’univers – gravité, énergie, attraction, répulsion. Le fil à plomb symbolise la gravité, le soleil et la lune évoquent les forces d’attraction, la lumière représente l’énergie et la connaissance. Même si certaines obédiences, notamment anglo-saxonnes, intègrent des références religieuses, la franc-maçonnerie est fondamentalement laïque et universelle, héritière des mythes solaires et des traditions anciennes.

Ainsi, cette définition « Regroupement d’individus dans un but initiatique. Celui-ci se caractérise par l’étude rituelle de la géométrie sacrée. » permet de poser les bases d’une pratique commune à tous les maçons. Retirez un seul des 4 points ci-dessus et vous dénaturez l’Art Royal.

Pourquoi, la maçonnerie n’a rien à voir avec une religion ?

La Bataille Étymologique entre Lactance et Cicéron – « Religare » contre « Religere »

les 3 religions monothéistes

À l’aube de l’ère chrétienne, un débat captivant oppose deux figures latines majeures, Cicéron et Lactance, sur l’étymologie du mot « religion » (religio), révélant des visions contrastées de son essence. Cicéron, orateur et philosophe du Ier siècle avant J.-C., défend une origine tirée du verbe relegere, signifiant « relire attentivement » ou « rassembler avec soin ». Dans son œuvre De natura deorum (II, 28, 72), il propose que la religio romaine découle d’une attitude scrupuleuse envers les rites et les cultes, un respect minutieux des obligations cultuelles propre aux citoyens romains. Cette interprétation met l’accent sur une pratique réfléchie et individuelle, ancrée dans la conscience personnelle, loin de toute idée de soumission divine.

Des siècles plus tard, Lactance, rhéteur chrétien du IIIe-IVe siècle, conteste cette vision avec vigueur. Convertit au christianisme, il soutient dans ses Divinae institutiones que religio dérive de religare, « relier » ou « lier plus fort ». Pour lui, la religion est le lien sacré qui rattache l’âme humaine à Dieu, une conception alignée avec la théologie chrétienne naissante qui insiste sur une relation de dépendance et de piété envers une divinité unique. Lactance rejette l’étymologie cicéronienne, qu’il juge insuffisante pour capturer la profondeur spirituelle de la foi chrétienne, préférant une idée de connexion transcendante à celle d’un simple scrupule ritualiste.

Ce combat entre immanence et transcendance fait toujours rage. Les Sœurs et les Frères ne parviennent pas à s’accorder sur ce débat, loin d’être en harmonie.

Pour trancher cette affaire, il suffit d’observer une Loge maçonnique et la réponse coule de source. Si vous la comparez avec un quelconque édifice religieux qui arbore une iconographie, le doute n’est plus permis.

Le christianisme par exemple (mais les autres religions fonctionnent de la même manière) :

  • un animateur central et ordonateur de toutes choses.
  • des règles morales répondant à une organisation sociale qui régissent les rapports humains.
  • les actions des croyants sont sanctionnées par des récompenses ou des punitions.
  • les mythes et légendes tendent à se réifier pour transformer les fondateurs en personnages historiques.

La Franc-maçonnerie échappe à tout ce système

  • le GADLU est purement symbolique.
  • les règles morales sont remplacées par des lois universelles.
  • les actions sont sanctionnées par l’Univers dont le maçon est lui-même partie intégrante.
  • les mythes maçonniques restent purement initiatiques.

Le fondement de toute religion est de conduire le pratiquant, par la foi, à sa mise en conformité avec les codes édictés par les humains concepteurs de la religion concernée.

Le fondement de la franc-maçonnerie est de permettre au pratiquant de s’unifier avec les loi de notre univers au travers d’un langage symbolique. Il atteint ainsi l’unité par l’abolition des séparations, des comparaisons… c’est ce qu’il nomme rassembler ce qui est épars.

Une quête de sagesse et d’harmonie

Au cœur de la franc-maçonnerie se trouve une ambition : élever l’humain dans ses qualités intrinsèques de sagesse et l’encourager à vivre en harmonie avec lui-même, les autres et l’univers. Ce travail s’effectue d’abord sur soi. Le maçon « taille sa pierre brute » par l’étude des symboles. C’est une métaphore pour dire qu’il polit ses défauts, épure ses passions, et révèle ses vertus. En devenant sage et serein, il rayonne sur la société, influençant le monde par l’exemple plutôt que par une action directe. Comme le disait Gandhi, « Le bonheur, c’est lorsque ce que tu penses, ce que tu dis et ce que tu fais sont en harmonie. » La franc-maçonnerie aspire à cet état de recentrage permanent, symbolisé par des outils comme le fil à plomb, qui incarne le juste milieu.

Ce juste milieu n’a rien à voir avec une morale binaire de bien et de mal propre aux religions. Il s’agit de trouver la justesse – en soi et dans le monde – en s’interrogeant non pas sur le « pourquoi » des événements, mais sur le « que vais-je en faire ? » La franc-maçonnerie sert à se rapprocher de sa véritable essence, à répondre à l’injonction de Pindare : « Deviens ce que tu es. » Contrairement à une secte, qui impose un modèle uniforme souvent calqué sur un gourou, la franc-maçonnerie célèbre l’individualité. Elle n’impose ni dogme ni imitation, mais encourage chacun à cheminer vers sa propre sagesse.

Les rites, un langage symbolique

Le travail maçonnique s’effectue à travers des rites, pratiqués dans chaque loge selon des traditions spécifiques. Un rite est un cérémonial codifié, mêlant gestes, paroles, déplacements et une attitude mentale. Il s’appuie sur un rituel, un texte qui guide les membres dans leur pratique. Par exemple, le Rite Écossais Ancien et Accepté, le plus répandu en France, met l’accent sur une progression spirituelle à travers 33 degrés, tandis que le Rite Français, plus sobre, privilégie la réflexion philosophique et la laïcité. Ces rites, bien que différents, partagent un tronc commun : l’initiation, qui marque l’entrée dans la voie maçonnique.

La franc-maçonnerie ne se comprend pas intellectuellement ; elle se vit. Comme le souligne l’adage maçonnique « Connais-toi toi-même », elle agit comme une catharsis, un processus de purification intérieure. Les symboles – soleil, lune, équerre, compas – et les rituels imprègnent le corps et l’esprit, révélant des vérités profondes par l’expérience plutôt que par la théorie. Ce n’est pas un hasard si des millions de maçons, des quatre coins du globe, décrivent leur pratique comme un voyage sensoriel et spirituel.

Une quête intemporelle

La franc-maçonnerie est une voie initiatique pratiquée en loge, utilisant la géométrie sacrée pour guider ses membres vers la sagesse et l’harmonie. Elle est un cheminement personnel, collectif et universel, qui célèbre l’individualité tout en unissant les âmes par un idéal commun. Malgré ses dérives, elle reste une force de transformation, un miroir où chacun peut apprendre à se connaître et à rayonner. En ce 19 mars 2025, à la veille de l’équinoxe de printemps – symbole d’équilibre cher aux maçons –, elle continue d’évoluer, fidèle à sa mission : faire de l’humain un bâtisseur de lumière.

Source : Ma Franc-maçonnerie mise à nu – Par Franck Fouqueray (Editions LOL)

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3 Commentaires

  1. Dans sa propre vocation générale, la F.M. contient tout cela et c’est tant mieux…toutefois chaque Rite définit la F.M selon son évolution comme le RER le fait ( pas abordé dans cet article… ) …globalement les F.M se rejoignent avec des termes différents mais qui vont dans le même sens ! De nombreux auteurs s’y sont attelés !

    • Très Cher Aymeri,
      Dans la très grande majorité des cas, les ouvrages maçonniques traitent de l’expression ou de la manifestation de la FM mais je ne connais aucun ouvrage qui parlait de son identité. S’il en existe, il serait utile de donner son titre. Si la FM est destinée à « rassembler ce qui est épars », la fonction première devrait précisément être d’en donner une définition unique et globale afinde nous ancrer sur un socle commun. Ensuite, dans un second temps, on pourrait en effet la complexifier en exposant les caractéristiques de ces développements Rite par Rite.

      Si nous échappons à ce travail, nous oublions le tronc commun et nous finissons pas penser que la pratique de notre Rite constitue l’identité. Or le piège est là. Chacun se bagarre ensuite pour sa chappelle. Cela revient en quelques sortes à ce qui se passe dans les religions. On oublie que l’essence de Dieu est unique et les religions ne sont que l’émanation d’une seule et même essence.

      En résumé, savoir d’où on parle, de quel mur porteur. Ensuite, on peut dévélopper, sinon on finit par tout mélanger et cela devient de la maçonnerie de style wokiste.

      Fraternellement
      Franck Fouqueray

  2. Quel plaisir de lire cette réflexion! J’ai enfin compris de façon claire ce qui m’ amené à franchir le parvis pour être éclairé. Jusqu’à ce jour une question revenait : Franc Maçons que faisons nous ici ?

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Pierre d’Allergida
Pierre d’Allergida
Pierre d'Allergida, dont l'adhésion à la Franc-Maçonnerie remonte au début des années 1970, a occupé toutes les fonctions au sein de sa Respectable Loge Initialement attiré par les idéaux de fraternité, de liberté et d'égalité, il est aussi reconnu pour avoir modernisé les pratiques rituelles et encouragé le dialogue interconfessionnel. Il pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté et en a gravi tous les degrés.

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