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Eaton square
Les missives jaunies par le temps portent les traces de plumes anciennes et de cachets de cire brisés. Écrites en latin, en anglais, en ancien français, elles apparaissent vite comme des échanges entre des figures éminentes de chaque époque, des alchimistes, des kabbalistes, des savants, des artistes et des poètes et pour certains, tout à la fois. Ces correspondances révèlent des alliances secrètes et des collaborations ésotériques, formant un réseau complexe d’individus liés par la soif de connaissance et la recherche d’un principe de cohérence entre l’univers, la société et l’individu. Les œuvres d’art ne sont pas simplement des représentations esthétiques, mais des manifestations matérielles des enseignements ésotériques et des quêtes mystiques d’artistes, de lettrés, d’alchimistes partageant souvent les mêmes espaces créatifs.
À première vue, il y avait des lettres de Leonardo da Vinci, l’un des esprits les plus polymathes de la Renaissance, qui était non seulement un artiste de renom, mais aussi un inventeur, scientifique et philosophe. Ses carnets révèlent des esquisses alchimiques et des explorations dans le domaine des sciences occultes. Des lettres aussi de Botticelli, connu pour des œuvres telles que La Naissance de Vénus et La Primavera, L’adoration des mages qui portaient souvent des éléments symboliques et mythologiques qui peuvent être liés à des concepts alchimiques et ésotériques.
Et encore des lettres de Michelangelo Buonarroti, connu sous le nom de Michel-Ange, célèbre pour ses sculptures comme le David et ses fresques de la chapelle Sixtine, qui était également influencé par la pensée néo-platonicienne et avait des liens avec des idées ésotériques de son époque.
Il y avait encore des correspondances de Giovanni Bellini et de Giorgione, ces artistes vénitiens qui avaient été associés à la Renaissance magique, un courant qui combinait l’art avec la mystique et l’alchimie.
Et puis celles de l’artiste Dominique O’Heguerty qui, dans le cadre de l’histoire, représente une figure incarnant la fusion de l’art et de l’alchimie et ayant partagé les mêmes espaces créatifs avec d’autres esprits créatifs et ésotériques. Et d’autres encore…
Après les avoir scannées, pour faciliter leur lecture, il fut convenu de toutes les traduire en français aidés en cela par des logiciels adaptés et comme la plupart étaient datées, le premier travail consista à les trier sur ce critère et à les annoter.
Tout en s’appliquant, Alexander grignotait de gianduiotti, ces petits lingots doux et crémeux à base de noisettes en poudre et de chocolat qu’Archibald avait disposés près de lui, connaissant son pêché mignon.
Des lettres retinrent l’attention toute particulière de nos explorateurs des documents.
De Marsile Ficin à Pic de la Mirandole.
Cher élève,
Vous méritez que je vous tienne au courant de nos dernières recherches en cette année de 1480. Enfin j’ai pu me procurer le codex de Shaykh Ahmad Ahsa’i, le fameux Jawami’ al-Kalim daté de 1273.
J’ai compris comment fabriquer le diamant dont nous avons besoin. Je vous en remets ici l’extrait du secret alchimique dont je vais me servir, tel que je l’ai traduit de l’arabe.
« De nombreux symboles sont à méditer ici; nous en mentionnerons quelques-uns. Voici, par exemple, le verre; il provient de la silice et de la potasse; toutes les deux, denses et opaques, sont les homologues du corps matériel élémentaire Yaàad A, corps de chair périssable, que tout le monde connaît. On les soumet à la fusion; impureté et ternissure s’en vont; c’est maintenant du verre diaphane : l’extérieur transparaît à travers l’intérieur, l’intérieur transparaît à travers l’extérieur. C’est alors l’homologue du corps spirituel (asad B, taro spiritualis), celui qui surexiste « dans la tombe », c’est-à-dire en Hûrqalyâ, et auquel sont donnés « quiétude et séjour paradisiaque », tandis que la densité opaque, celle de la silice et de la potasse, était l’homologue du corps élémentaire matériel (jasad A). Médite comment, de la silice et de la potasse denses et opaques, est sorti un corps à l’état diaphane et subtil. Celui-ci, c’est bien la même substance minérale, et pourtant non, c’est quelque chose d’autre. Maintenant, que ce verre soit à son tour soumis à la fusion, que l’on projette sur lui certaine drogue appropriée qui en compénètre la masse; il devient du cristal. Que sur ce cristal l’on projette la «drogue des philosophes», laquelle est l’Élixir de blancheur. Il devient alors un cristal qui flamboie au soleil (le «verre de lentille»), parce qu’il fait converger les rayons solaires qui frappent sa surface. C’est bien encore du verre, et pourtant c’est autre chose que du verre, tout en étant cependant encore du verre, mais un verre auquel quelque chose est arrivé, et qui l’a si totalement purifié que le voici maintenant d’un rang très supérieur au premier. Ce cristal incandescent est l’homologue du corps astral (jism A) qui accompagne l’Esprit au moment de l’exitus, lorsque celui-ci sort de son corps matériel élémentaire : le corps avec lequel l’Esprit entre dans le paradis d’Occident, le paradis d’Adam. Eh bien qu’à son tour ce cristal flamboyant soit soumis à la fusion; que l’on projette sur lui l’Élixir blanc. Voici qu’il devient du diamant (alnis). C’est encore du cristal, et pourtant non, c’est quelque chose d’autre, et pourtant si fait, c’est bien lui-même, mais passé par toutes ces épreuves. C’était une substance minérale, dense et opaque; elle a été soumise à la fusion, et elle est devenue un verre transparent, puis elle est devenue du cristal. Et quand ce cristal eut été soumis une première fois à la fusion et à la projection de l’Élixir blanc, il est devenu du cristal flamboyant. Une seconde fois on l’a fait entrer en fusion et on a projeté sur lui l’Élixir; il est devenu du diamant. Qu’on le pose sur l’enclume, qu’on le frappe avec le marteau; il mordra sur l’enclume et sur le marteau, mais il ne se brisera pas. Qu’on le frappe avec un morceau de plomb; il éclatera en fragments ayant chacun la forme d’un cube; et si chaque cube est à son tour frappé avec le plomb, il éclate à son tour en fragments cubiques. C’est là le signe authentique qu’il est vraiment du diamant. Mais qu’il soit maintenant du diamant, c’est aussi l’indice que le diamant était occulté dans le fond essentiel de la substance minérale, parce qu’en fait la composition de celle-ci résulte des deux principes bien connus, le mercure et le soufre, selon ce qui est établi en physique. Et ce diamant dégagé du cristal, ce cristal dégagé du verre, ce verre dégagé de l’opacité minérale, c’est l’homologue du corps de résurrection »
N’oubliez pas mes recommandations, éloignez-vous de Girolamo S. Il voit nos recherches comme des sources de corruption morale. Vous n’avez rien à gagner en le soutenant.
Que Dieu vous garde.
J’ai réussi, je confie le diamant à cet homme extraordinaire de 30 ans Léo…do
Alexander ajouta une note: Malgré la brûlure de cire tombée d’une chandelle qui a effacé une partie du nom à qui fut confié le diamant, on peut penser qu’il s’agirait de Léonard de Vinci.
Lettre non signée
Sur ma foi et mon salut, je jure que ce que je rapporte ici fut vrai parce que j’en fus l’unique témoin silencieux, dissimulé par hasard derrière un volet d’une fenêtre donnant sur les jardins de Clos Lucé en cette année de grâce 1519.
Le doux parfum des fleurs flottait dans l’air. Léonard de Vinci s’immergeait dans les retouches de sa Mona Lisa posée sur un chevalet devant la fenêtre ouverte pour profiter de l’odeur des rayons du soleil de cette matinée printanière.
Soudain, un bruit de pas léger attira son attention. Un jeune lord anglais, s’avançait avec une grâce presque surnaturelle. Sa silhouette élancée et son regard perçant captivèrent instantanément Léonard.
Le lord, avec des cheveux dorés comme alchimisés sous le soleil, arborait une tenue richement brodée qui soulignait sa jeunesse éclatante. Ses yeux, d’un bleu profond, brillaient d’une malice charmante, tandis qu’un sourire énigmatique se dessinait sur ses lèvres. Il s’approcha du maître et engagea la conversation dans un français parfait.
– «Bonjour maestro, je vous cherchais et la porte ouverte m’a donné licence d’entrer sans vous déranger par le son d’un choc à la porte. Je suis un humble admirateur de vos œuvres, c’est un honneur de croiser votre chemin.»
Vinci ne marqua aucune surprise. Je lui avais annoncé la venue d’un émissaire du roi Henri VIII et la familiarité de ce «bonjour» si direct lui parut avoir la simplicité d’un être authentique.
Au signe d’accueil de la tête que lui fit Vinci, le jeune baron poursuivit
– « Maestro, vos créations parlent d’un monde étrange. Que représente cette toile pour vous ? » Demanda-t-il, désignant le tableau sur le chevalet.
Léonard sentit son cœur s’emballer à l’entente de la voix mélodieuse du jeune homme. Il eut le même sourire intérieur que celui de sainte Anne sur cet autre tableau où il devait encore ajouter quelques coups de pinceau sur la robe.
– « Chaque visage est un récit, une histoire, une âme. Mais, peut-être, le vôtre pourrait m’inspirer davantage ? » Répondit-il, laissant le sourire complice effleurer ses lèvres.
Le lord éclata de rire, un son clair et joyeux, avant de se pencher un peu plus près, comme s’il voulait partager un secret.
– « Je suis ici pour les préparations du Camp du drap d’or et vous en demander conseil. Mais ce lieu, ce moment, pourrait bien être le plus précieux de ma mission. »
Léonard, piqué par cette audace, ressentit une attirance inexplicable. Les mots s’effacèrent, laissant place à un trouble, à l’évidence aussi soudain que puissant. Quand le beau jeune homme s’avança un peu plus près, Léonard put en sentir la chaleur émanant de ce jeune être qui le réchauffait comme le fut David par la nubile qui le couvrit de son corps, et un frisson parcourut son échine.
Les heures passèrent, mais le temps semblait figé dans cet échange enchanteur. Le jeune lord partagea des histoires sur ses faits d’armes et celles de sa lignée dans laquelle s’inscrit celle de son ancêtre John, le comte de Salisbury, baron Montagu, fidèle conseiller du roi Richard II.
Il s’attarda sur le faste de la cour anglaise, et Léonard, tout en pensant à ce qui pourrait le surpasser pour rivaliser de munificence à la rencontre attendue l’année suivante, se laissa emporter par le récit en ressentant un désir aussi inattendu qu’intense de sa bouche voluptueuse.
Léonard savait, au fond de son cœur, qu’il venait de croiser non seulement un bel émissaire, mais peut-être aussi un élan de passion qui illuminerait ses vieux jours. Le camp du drap d’or, avec ses festivités à venir, ne serait rien comparé à la magie de cette rencontre.
Je n’entendis pas très bien ce que murmura le maestro à la fin de leur conversation mais j’ai vu alors le maestro se diriger vers son secrétaire d’acajou richement décoré avec des sculptures, des motifs floraux et des éléments de dorure, en retirer d’un tiroir secret un coffret de plomb qu’il enveloppa dans un linge de lin blanc tissé d’or. Il en coupa un morceau qu’il garda et confia au jouvenceau le paquet, « pour le mettre à l’abri de la cupidité de Salaï » lui expliqua-t-il et il ajouta :
– Ne le remettez qu’à la personne qui saura se faire reconnaître de vous avec ceci en lui montrant la pièce découpée.
Le jouvenceau sorti, Léonardo se mit à écrire, inséra le bout de tissu dans la missive avant de la fermer et d’y apposer son cachet.
Elle était adressée au sieur Charles de Villeneuve Je le sais parce que c’est moi qui ai fait transmettre la missive à son destinataire.
Une lettre non datée
Je viens de recevoir un courrier de notre ami Willey Reveley à qui j’avais confié le coffret des secrets qui conduit au diamant. Il est de retour de son voyage où il avait accompagné Sir Richard Worsley à Constantinople. Il m’en fait connaître l’emplacement que je te transmets.
Suis la voie.

La lettre était signée « Ton frère en humanité ».
Le code sibyllin fut très vire déchiffré par Guido. Enfant déjà, son père cryptologue le distrayait de son chagrin de la mort de sa mère en le faisant jouer à résoudre des énigmes logiques qui demandaient de plus en plus de concentration.
– C’est un codage enfantin expliqua Lhermitt. Je suis parti de l’hypothèse que les nombres correspondent simplement à la position des 26 lettres dans l’alphabet latin. Comme il n’y a ni les nombres 1, ni 2, ni 3, parmi eux, j’en ai conclu que la petite astuce introduite pour lui donner un peu plus de difficulté à décoder est un décalage évident par augmentation de 3. Il suffit donc de reculer d’un pas de 3. Et voilà ce qu’il faut retenir. Il inscrivit la nouvelle liste de nombres.

Traduite en lettres, le message fut lu d’un seul regard : stella viam in arca post ostium lacrimarum suleimanyi aperit. La traduction à comprendre est : l’étoile ouvre la voie au coffre derrière la porte des larmes de Suleymaniye ajouta Guido.
– Alors nous partons en Turquie ? demanda Alexander, heureux qui, comme Ulysse, va faire un beau voyage.
– Quel enthousiasme Alex. Ne compte ni sur Archibald, ni sur moi pour t’accompagner dans les jours qui viennent. Nous sommes retenus par des préparations d’une réunion internationale importante auxquelles nous ne pouvons déroger.
– Pas de problème pour moi, ma blessure est cicatrisée et tu sais la joie que j’aurais de rester près de toi Alexander, proposa Amélie, affichant la nature de leur relation agrégée dans le groupe depuis leur retour de Prague.
La suite la semaine prochaine