jeu 30 janvier 2025 - 09:01

Réflexion pour éviter de tuer le Temps

Heure d’été, heure d’hiver ! De tout temps, les hommes ont aimé jouer avec le temps. Ci-après quelques réflexions décalées sur « le temps » : Lors du passage du calendrier Julien au calendrier Grégorien, le Jeudi 4 octobre 1582 devint subitement la veille du Vendredi 15 octobre 1582 !

Aurions-nous perdu la notion du temps (?).

Par ce bond de dix jours solaires dans l’année tropique, Grégoire XIII aurait-il voulu maîtriser le temps et aller avant Proust « à la recherche du temps perdu » ou comme l’aura souhaité plus tard le poète, aurait-il voulu suspendre son vol (?).
L’aurait-il voulu, qu’il ne le pût.

De cette équation spatiale du temps solaire moyen, toute pontificale autant qu’arbitraire et, délicieusement dérisoire au regard du temps sidéral et plus encore du temps pur , ainsi en sont allés les usages de la vie courante et les contingences de notre monde terrestre qui vit au rythme du IIIème millénaire de l’ère vulgaire (anno ordinis) ; alors même que bien d’autres calendriers se faisant l’écho des querelles entre les religions ponctuent pour chacune d’elles, le temps, selon sa propre genèse, l’avènement de sa propre Révélation.

Ainsi, les Russes Orthodoxes, les Grecs et les Chrétiens Orientaux en sont restés au calendrier Julien dont l’an I de la période Julienne se situe en 4717 avant l’ère vulgaire ; les Hébreux vivent en 5785 ; le monde musulman vit au rythme du calendrier lunaire de l’Hégire en 1446 ; les Bouddhistes sont en 2567 du calendrier luni-solaire fondé sur le traité d’astronomie de Surya Siddhanta ; les Hindouistes à l’âge Kali-Yuga -âge de fer, le 23 janvier -3102 selon le calendrier grégorien proleptique ; les chinois en sont en l’année du Serpent de bois 4724 ; les Perses en 1403 ; quant au calendrier Maya né au IIIe millénaire avant Jésus-Christ, il s’arrête au solstice d’hiver du 21 décembre 2012 et clôture la fin d’un cycle avec l’avènement de l’apocalypse : les planètes alignées, leurs forces cumulées nous promettaient de tirailler le globe terrestre, de déclencher séismes, éruptions volcaniques, invasion des champs magnétiques, tempêtes solaires… Peu importe les oracles Mayas, les indiens Hopis d’Arizona, les Sumériens, Jean de Jérusalem, le calendrier Yi Jing ont aussi prédit l’apocalypse pour 2012. Comprenons plutôt dans le mot « apocalypse » un changement de cycle.

Qu’est-ce à dire de toutes ces orchestrations humaines du temps, apprivoisé, mesuré par l’espace dont certaines, d’ailleurs, s’affranchissent de la rigueur astronomique , « concept bâtard » qui selon Bergson « défigure le temps réel » , sinon que rien ne nous exonère de prendre le temps de la réflexion à propos de ce temps qui s’égrène en infinitude intemporelle, insaisissable, complexe et invisible, et de nous poser à son sujet la vraie question duelle, métaphysique autant que socratique :

  • Quelle est sa vraie nature (?).
  • Faut-il croire à sa réalité objective (?).
    Saint Augustin écrit dans le livre XI de ses Confessions : « Le monde a été fait non dans le temps, mais avec le temps. »

Même si comme il est probable nous ne pourrons par le seul exercice de notre raison y apporter de réponse en toute certitude , pouvons-nous espérer par notre modeste réflexion donner lieu à quelques présomptions intéressantes.
Pour quiconque s’interroge, le temps peut apparaître à notre insu comme un phénomène a priori linéaire où l’idée s’en présente en succession de durée ou période juxtaposée d’autant plus sensible et pesante qu’elle se vide et s’appauvrit -, ce que nous révèle la pesanteur entre l’activité et l oisiveté , et c’est là probablement un mirage, un artifice de notre conscience !

Héritage singulier et propre à l’Homme que cette conscience !

Voici l’Homme, produit d’une lente et hasardeuse transformation à partir d’espèces animales doté par l’évolution d’un cortex cérébral : l’avènement de la noosphère chère à Teilhard de Chardin , l’Homme devenu sapiens par son cortex cérébral superposé à sa mémoire reptilienne prend en effet conscience d’un passé, d’un présent et d’un futur.
C’est là une donnée essentielle de la conscience.

L’idée du présent se conçoit et se montre à nous avec un avant et un après et, s’y associent dès lors l’espace et la notion d’infini, ce qu’illustrera Bergson dans « les données immédiates de la conscience ».

Plus tard, Auguste Comte, autre éminent philosophe, qualifiera « d’âge positif » le terme de l’évolution de l’esprit humain avec la prééminence de l’esprit scientifique comme forme la plus aboutie.
Dès lors, il nous sera permis de penser que cette illusion d’un avant, d’un après, est une représentation objectivement fausse de la réalité du temps pur à laquelle notre intérêt est attaché plus que tout pour peu qu’elle nous protège de l’agression de la vérité sur la mort.

Cette illusion, en effet, nous réconforte devant notre impuissance tragique et nous permet d’échafauder face au temps pur, les scénarios les plus échevelés pour nous croire immortels.

C’est tout le mythe du retour auquel croyaient les stoïciens.

Pourtant, la continuité apparemment cyclique du temps nous le fait imaginer comme un cercle en perpétuelle et invisible rotation. Déjà, symboliquement, dans leur livre des morts, les Égyptiens le décrivent comme : « Le cercle de la roue du chariot qui annonce la mort du serpent qu’elle écrase de sa jante. » De même, l’Ouroboros, serpent de la légende Grecque qui se mord la queue, symbole du passé, du présent et du futur traduit l’icône d’un cercle.
Mais dans le même temps, n’est-il pas à remarquer que nous le percevons, nous le pressentons comme la constante de l’équation de toute chose , nous sentons bien qu’il est le cadre constant irréductible et irréversible qui irradie l’expérience de notre vécu. Nous pressentons qu’il nous conditionne en boucle et nous plie aux caprices du sort ; le scientifique dirait : « du chaos et du hasard » , autant qu’il nous livre aux assauts implacables d’un inéluctable destin.

Tout à la fois, il engendre, dévore et abolit tout, toujours et partout ; il déforme notre souvenir, altère ou réduit notre mémoire ; fait périr les preuves et en affaiblit la vérité, restant insaisissable, rien ne lui échappe, aucun ni rien ne peut s’y soustraire.
L’Ecclésiaste note avec amertume : « Le sage meurt aussi bien que le fou. »
Les modernes l’ont représenté dans des allégories sous les traits d’un vieillard décharné, ayant deux ailes pour marquer sa rapidité tenant une faux, symbole de sa force destructrice et un sablier emblème de l’écoulement continuel.
« Panta Rhei » : « tout s’écoule », proclamait Héraclite.
Quelle est sa vraie nature (?).

Faut-il croire à sa réalité objective (?), disions-nous.
Instruit de ses travaux sur la théorie générale de la relativité, il convient de nous rappeler l’aphorisme d’Einstein, extrait d’une correspondance adressée à la famille de son feu ami et collaborateur Michele Bosso disparu cinquante ans plus tôt. Le contexte de cette citation est poignant lorsqu’on sait qu’Einstein mourut un mois plus tard.

Le savant écrivait : « Il est parti de ce monde étrange un peu avant moi. Cela ne signifie rien. La distinction entre passé, présent et futur n’est qu’une illusion, aussi tenace soit-elle. Le temps – ajoute-t-il –, n’est pas ce qu’il semble être. Il ne s’écoule pas dans une seule direction et le passé et le futur sont simultanés.»

Citation éloquente où l’esprit du scientifique avec sa vision critique et rigoureuse fait écho à la non moins pertinente proposition de Platon. À quelques siècles de distance, « ce qui ne signifie rien » insisterait Einstein en effet, l’Homme de l’Académie, émule de Socrate enseigne déjà dans le Timée : « Ce que nous appelons le temps n’est autre que le reflet mouvant et irréel de l’éternité.»

Sauf qu’à un iota près entre « illusion » et « reflet mouvant et irréel » l’apparente symbiose de la formulation du physicien avec celle du penseur antique ne saurait nous faire oublier la vraie nature du temps réel : son irréversibilité, son indivisibilité et l’idée de mouvement contenue dans la simultanéité définie par Einstein.

Faut-il croire à la réalité objective du temps (?), disions-nous.
Le temps existe-t-il dans les choses où est-il simplement une relation, un mode subjectif de représentation du monde par notre conscience (?).

Isaac Newton

Pour Newton le temps absolu, vrai, mathématique serait celui sans relation avec l’extérieur et s’écoule uniformément. Il serait un attribut de Dieu par la notion d’infini des choses qu’il suggère.
À cet égard, au parvis des temples d’Isis, l’esclave criait l’heure d’après la clepsydre ou le cadran solaire, et les mythologies comme les religions ont depuis toujours intégré le temps comme une dimension divine et ont instauré dans leur panthéon « un maître du temps » : Dans l’antique Babylone, Nabu, Dieu des scribes mais aussi scribe du temps avait seul la charge d’inscrire dans le livre de l’éternité les faits passés et à venir ; c’est aussi, le Janus latin à deux visages tournés vers le passé et vers l’avenir ; le Thot des Égyptiens qui mesure les temps lunaires ; le Chronos des Grecs; le Saturne des Romains ; Le Dagda celtique ; les Nornes scandinaves vierges qui président au passé, présent et futur ; c’est encore pour l’islam duodécimain dans l’attente messianique, le Muhammad-al-mahdi, douzième et dernier imam, ce maître du temps « sahib az-zamman » qui précédera Issa-Jésus lorsque les temps seront accomplis.

Leibniz dans sa correspondance polémique avec Clarke, disciple de Newton, n’accorde pas de réalité absolue au temps en dehors des choses et des événements , il le réduit à « l’ordre des phénomènes successifs » d’où la simultanéité est exclue.

Pour Kant, il n’est pas davantage possible de considérer le temps comme une réalité absolue. Dans cette critique de l’infini, Kant considère le temps non comme un concept mais comme une forme a priori de la sensibilité, ce en quoi Renouvier voit une catégorie de l’entendement lui-même et donc de la raison. Le temps serait alors une idéalité. Comme l’a bien vu Meyerson, l’idéal de la raison serait alors de conjurer l’irréversibilité temporelle et pour cela réduire et identifier les événements de l’Univers entre eux , alors le réel perdrait toute consistance !

Reconnaître à contrario l’irréversibilité, c’est admettre ce jaillissement de nouveautés engendré parfois dans le chaos, parfois par le hasard ce que révèlent aujourd’hui bon nombre de disciplines scientifiques au grand dam des déterministes , c’est la durée.
Pour Bergson, le temps réel s’identifie au mouvement réel de la vie, c’est-à-dire de la durée vécue qui est indivisible autant qu’irréversible.

Devons-nous conclure avec Bergson que l’intelligence humaine se caractérise par une incompréhension de la durée (?). Ce serait réduire la conscience à sa seule capacité de logique déductive, alors même qu’une autre dimension de la conscience nous confère une logique dialectique qui, par contradictions surmontées, peut nous faire saisir les lois du devenir.

Le passé n’existe plus et le futur n’existe pas encore nous dit Einstein, et pourtant si nous sommes à chaque instant dans le seul présent ,nous ne pourrions avoir conscience du temps.

Horloge astrologique

En réalité, l’homme a la faculté d’être en conscience dans le temps qui est le flux de l’existence, du devenir et de se placer tout aussi consciemment hors du temps : Il est cet « être des lointains » dont parlait Heidegger. Nous pouvons projeter nos rêves et nos soucis sur l’avenir autant que nous pouvons évoquer notre passé. Ces temps virtuels ne coïncident jamais avec la temporalité réelle.

Ce dépassement virtuel ou cette régression virtuelle de la temporalité révèle un principe de réflexion intrinsèque à notre conscience qui ramène le temps au « je ».
Je suis, j’étais, je serai… car je pense.

Le temps universel, le temps pur, ne serait-il pas ce que nous nommons le lieu unique à l’heure unique ne serait-il pas ̶ le hic et le nunc ̶ l’ici et le maintenant ̶ , Orient Éternel qui rassemble et contient Tout et le néant, le chaos et le hasard, le possible de toute chose ; qui contient les deux formes inconciliables de la réalité : la force de destruction et celle de construction – ce que les Égyptiens déifièrent en Seth et en son neveu Horus.
Nous parlions de raison, et avons cité Auguste Comte parlant de prééminence de l’esprit scientifique : alors que nous démontre la rationalité scientifique à propos de temps : Les choses qui nous entourent que l’on peut voir ou toucher ont trois dimensions : longueur, largeur, hauteur, mais comme l’avait pressenti Poincaré, il faut à ces trois dimensions d’espace ajouter une quatrième dimension : l’espace-temps. D’un point de vue scientifique chaque rencontre, chaque rendez-vous, correspond à « un événement dans le cône de lumière, au croisement de deux lignes d’Univers. » Dans cet espace-temps courbe dont l’origine se perd en tourbillons de lumière dans le cône cosmologique découvert par Einstein, la distance entre chaque événement est calculée par la métrique de l’espace-temps ou métrique de Lorentz. Cette « distance d’Univers » mesurée par la « métrique de l’espace-temps » correspond à : trois signes positifs pour l’espace, un signe négatif pour le temps. Ce monde-là est le monde de l’atome et des galaxies. C’est le monde où nous vivons. C’est le monde de notre environnement concret dans lequel nous évoluons, nous raisonnons et portons trop souvent des jugements de valeur.

Système solaire autour du soleil

Or plus petit que le monde des galaxies et des atomes, existe un autre monde, bien plus petit que celui des atomes et des particules élémentaires. On le trouve au « Mur de Planck » : la plus petite distance entre deux points d’univers. Dans ce monde-là, le cône de lumière qui permet de mesurer l’espace et le temps, se dissout et finit par s’évaporer dans l’infiniment petit et se mesure par les algèbres de Hopf. Dans ce monde quantique l’espace-temps est ravagé, déformé, s’enroule sur lui-même, le temps n’est plus homogène. Ce monde-là est décrit par les algèbres de Hopf et la théorie quantique.

univers galaxie planète voie lactée espace ciel mars saturne

En dessous du monde quantique, il y a encore un autre monde. Ce troisième monde, au-delà de la tempête quantique se trouve tout au fond du cône de lumière. La matière, l’énergie, toutes les forces qui nous sont familières ont disparues : c’est le point zéro de l’Univers. Sans dimension, hors du temps. Invariant, immuable, il ne peut être décrit que par ce que les mathématiciens appellent « un indice topologique ». Dans ce monde-là, la métrique est euclidienne, il n’y a plus de temps. C’est la théorie topologique des champs. C’est ce que les initiés appellent l’Orient Éternel.
« Le problème que nous posons, un jour n’existera plus, du fait qu’il n’y aura plus de conscience pour le poser », nous répondrait Claude Lévi-Strauss convaincu par son athéisme scientifique.

Loin d’un jugement tranché, par lequel nous serions entraînés à tout croire comme Claude Lévi-Strauss l’a été à tout nier entre idéalité et réalité du temps pur, si toutefois le doute de l’honnête homme nous habite encore et toujours, méditons alors ce que disait le sage Mani, prophète humaniste venu du pays de Babel pour faire retentir un cri à travers le monde : « mon espoir est parvenu jusqu’à l’Orient du monde et en tous endroits de la terre habitée. »

Planche du Frère Brice Saint Cricq

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