jeu 30 janvier 2025 - 05:01

Les libertés que les Francs-maçons chérissent

« Car pour être libre, il ne suffit pas de se libérer de ses chaînes, il faut vivre en respectant et en augmentant la liberté des autres. »

(Nelson Mandela)

La liberté et la vérité sont les principaux dons que Platon (dans son Phèdre) assigne aux adeptes de la philosophie, devenus dignes d’entrer dans la région supérieure, dans l’éther placé au-dessus des sept grades épuratoires. Hérodien compare les jeux séculaires aux grands mystères et nul ne pouvait prendre part aux jeux séculaires, s’il n’était libre. Cérès et Proserpine dans les initiations d’Italie, s’appelaient, par leur nom mystique, libera et deois. Liber était aussi le vrai nom du Bacchus des mystères.

En Grèce, on prétendait qu’un certain Eleuthère (ἐλεύθερος, eleutheros signifiant libre) aurait institué les éleusines. Le génie, esclave de Salomon qui, dans les cavernes du Caucase où descend Habib, instruit un cercle d’initiés dit au héros : « ils seront libres, quand ils auront acquis les connaissances nécessaires pour se conduire ».

La liberté est la partie constituante des Droits de l’Homme (droits et libertés) que chaque individu possède du seul fait de sa nature humaine. Issus des conceptions du droit naturel, qui fondent leur statut philosophique, les droits de l’Homme ont fait l’objet d’une reconnaissance progressive en droit positif depuis la proclamation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen par les révolutionnaires français en 1789. Cette reconnaissance se traduit aujourd’hui par une protection juridictionnelle accrue tant au niveau européen qu’au niveau national. En effet, de nombreux États, dont la France, se sont dotés de mécanismes favorisant le recours devant le juge en cas d’atteinte aux droits de l’Homme tels qu’ils sont garantis par les textes de portée internationale.

Une remarque, le Cylindre de Cyrus, trésor perse datant du sixième siècle avant Jésus Christ, est considéré comme la plus ancienne déclaration des droits de l’Homme au monde.

Les 24 sens que donne le Littré au mot liberté peuvent être regroupés en 3 ensembles décrivant :

  •  un état objectif de liberté, qui concerne l’absence de dépendance, de contraintes, d’oppression en vertu de laquelle un être fait ce qu’il veut et non ce que veut l’autre. Ces libertés dites objectives ne valent que pour autant qu’elles sont exercées, mises en œuvre et en pratique par ceux qui en sont les titulaires ;
  •  un état subjectif de liberté qui concerne la conscience que prend l’être de son indépendance, de sa disposition, de sa détermination autonome ;
  •  des acceptations spéciales ou techniques.

La liberté n’est pas un absolu, la liberté humaine n’est qu’une apparence.

C’est dans la possibilité des choix que la liberté prend son sens, l’homme apparaît d’autant plus libre qu’il a une conscience plus exacte de la nécessité.

En ce sens, un sujet n’est libre dans ses décisions comme dans ses actes, qu’à la condition de se tenir lui-même pour responsable des conséquences de ses choix. De ce fait, on peut dire que la liberté n’est jamais acquise, qu’elle n’est jamais définitivement accomplie, mais demeure, en chaque circonstance, l’objet d’une conquête, devant soi-même comme aux yeux de l’autre. Selon les termes de la dialectique hégélienne, le maître qui ne joue et ne jouit de sa liberté que dans l’image qu’il en impose à qui lui est soumis, la laissera bientôt basculer en dépendance à l’égard de ce dernier, dont il attend d’être reconnu comme maître.

Kant affirme que c’est uniquement par la loi morale, que je me sais libre. La liberté kantienne est fortement liée à la notion d’autonomie, qui signifie qu’il n’y a pas d’authentique liberté sans ce pouvoir de la conscience qui consiste à se donner à soi même la loi de son action ; la liberté relève de l’obéissance à une loi que je me suis moi-même créée. Il s’agit par conséquent d’un respect de ses engagements, d’une conformité à soi. Alors, qu’en est-il de cette liberté quand elle n’est que le désir de se conformer à la norme imposée de l’extérieur ? Une aliénation ?

Luc : 6.31 : Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. Alors ma liberté commence là où commence celle de l’autre.

La liberté n’est pas de refuser des obligations auxquelles le franc-maçon consent (la Franc-maçonnerie est un Ordre, ses membres s’engagent, par serment, à observer scrupuleusement les prescriptions de la Constitution internationale, les statuts, les Règlements généraux et à défendre l’Ordre) mais de mesurer avec sa liberté de conscience s’il peut continuer à s’obliger, à adhérer, face aux contraintes de l’autorité de tutelle. Il ne peut renverser sa dépendance en liberté pour se rendre à son tour maître de sa situation qu’à la condition de reconnaître en conscience la pleine valeur de cette liberté et de se tenir pour responsable de ce qu’il met en œuvre pour la conquérir.

La Franc-maçonnerie est une spiritualité de la liberté. « Nous sommes des Maçons libres, c’est-à-dire, pour qui sait l’entendre, des artisans de notre propre bonheur, qui sans porter de rebelles atteintes aux lois civiles et Religieuses, travaillons sur des plans tracés par la nature et compassez par la Raison, à reconstruire un édifice moral dont le modèle exécuté dans les premiers âges du monde, nous est conservé par l’idée universelle de l’Ordre » (l’Almanach des Cocus ou amusemens pour le beau Sexe pour l’année MDCCXU auquel on a joint un recueil de Pièces sur les Francs-Maçons, 1741, p.15,comporte, outre la Réception d’un Frey-Maçon du chevalier Hérault, une suite de discours prononcés en loge à l’occasion de rencontres entre Ateliers ou pour servir à l’instruction des Apprentis). Cela correspond aux trois verbes : pouvoir, vouloir, devoir.

La déclaration du Convent de Lausanne en septembre 1875 (qui réunit les Suprêmes Conseils de onze pays) proclame la liberté comme le bien le plus précieux : «la liberté, patrimoine de l’humanité tout entière, rayon d’en haut qu’aucun pouvoir n’a le droit d’éteindre ni d’amortir et qui est la source des sentiments d’honneur et de dignité.»

Dans l’étude lexicographique des rituels, c’est à partir de 1840 que l’on voit l’utilisation du concept de liberté prendre de l’importance

Certaines personnes se battent concrètement pour leur liberté, leur choix et leurs engagements, défiant les obstacles, les dangers et les lourdeurs de l’habitude. Elles accomplissent de nouveaux horizons pour se transformer et transformer aussi le monde qui les entourent.

La démission de tout membre de la Franc-maçonnerie, son retrait demeure sa liberté absolue.

Mais est-ce que le libre arbitre est libre ? « Philosophiquement, la liberté ne peut être qu’une proclamation, aucune démonstration scientifique ne peut prouver que la liberté n’est pas conditionnée d’une façon souterraine par des contraintes qui nous échappent et nous croyons être libres nous sommes déterminés »

La liberté de conscience

On peut en trouver l’expression dans l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. » Cette Déclaration consacre l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. ».

Toutefois cette déclaration n’était qu’une résolution de principe non obligatoire. À l’opposé, la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, communément appelée Convention européenne des droits de l’Homme, signée à Rome le 4 novembre 1950 a un caractère obligatoire à travers les sanctions et le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans son article 9, cette Convention précise de façon explicite la liberté de conscience :

  • Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
  • La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Ainsi la liberté d’expression doit être limitée dans l’espace public,
  • que celles qui interdiraient, outre la diffamation des personnes, les provocations à la haine, à la
  • violence et à l’exhibitionnisme sexuel.

Encore faudrait-il définir la conscience !

Cette liberté s’étend aux convictions morales et philosophiques qui découlent des choix faits, à la liberté d’opinion, en particulier politique. Toutefois, l’Administration, qui ne peut pas écarter les convictions politiques, peut éventuellement prendre en compte l’extériorisation de ces convictions.

Les clauses de conscience sont de plus en plus nombreuses à la lumière de la diversité sociale (par exemple, des dispenses peuvent aussi être accordées pour que des personnes ne travaillent pas un jour religieux).

Le Rite permet à tous les francs-maçons de concilier liberté de conscience et Art royal ; la liberté de conscience a pour corollaire la Tolérance sans laquelle la Franc-maçonnerie adogmatique ne pourrait se revendiquer en tant que Centre de l’Union. La liberté de conscience ouvre la possibilité d’adhérer ou non selon son libre arbitre à telle ou telle religion. La liberté de conscience, au sens strict du terme, s’inscrit donc dans la sphère de la question de la liberté religieuse. La liberté de penser, plus large encore, confère à l’homme la possibilité d’user de sa raison pour pousser sa recherche du vrai jusqu’où il le peut sans rencontrer aucune entrave, fût-elle religieuse. Ainsi du XVIIe siècle au XVIIIe siècle où les défenseurs de la liberté de conscience comme Bayle et ceux de la liberté de penser comme Spinoza s’inspirent soit de références bibliques soit de la critique scripturaire naissante pour affirmer non seulement le droit à la liberté de conscience et de penser mais encore la nécessité de cette liberté pour le progrès de l’homme par. un rationalisme rigoureux, une conception déterministe du monde et de l’homme, et une vision éthique centrée sur la vertu comme connaissance de soi et du monde.

L’originalité de la Maçonnerie spéculative consiste précisément à affirmer cette double nécessité mais dans le cadre d’une quête spirituelle. Ce n’est qu’au convent du GODF de 1877 que sera abandonnée la référence au GADLU. L’après-Convent de 1877 conduit à des retouches plus hardies. En 1879, le Grand Collège des Rites, chargé par le Conseil de l’Ordre du Grand Orient, fait disparaître des rituels les formules trop ouvertement religieuses, comme la référence au Grand Architecte de l’Univers, les devoirs envers Dieu au 1°, l’explication métaphysique de la lettre G au 2° et l’invocation à Dieu du signe d’horreur au grade de maître. En 1886, une commission de 12 membres, présidée par l’avocat Louis Amiable (1837-1897), procède à une nouvelle révision adoptée en Conseil de l’Ordre les 15-16 avril. Le nouveau rituel français, qui prendra le nom de son principal rédacteur, est accompagné d’un Rapport sur les nouveaux rituels pour les loges rédigé par Amiable lui-même. Ce codicille explique que le nouveau texte, en partie inspiré des rituels du Grand Orient de Belgique, se réfère grandement au positivisme. Sa philosophie générale est la “neutralité entre les diverses croyances” et le fait que les données certaines fournies par l’état actuel de la science devaient être par nous mises à profit ».

La Franc-maçonnerie offre une voie spirituelle qui est une voie spécifique en dehors de tout dogme et de toute doctrine, qui permet à chaque homme de poursuivre son chemin vers la Connaissance.

La Franc-maçonnerie propose un idéal de liberté, de tolérance et de fraternité dans le respect des opinions de chacun, laissant à l’homme une liberté de travail qui lui permet de poser son propre rythme et de reculer constamment ses limites sur le chemin de l’élévation spirituelle et morale n’acceptant aucune entrave dans sa recherche.

La liberté de conscience est une liberté irréductible en Franc-maçonnerie. Je vous invite à voir l’intervention de Jean-Robert Daumas

On ne confondra la liberté de conscience avec la libre pensée.

« La libre pensée est un courant de pensée diffus qui refuse tout dogme et milite en faveur d’une pensée libre où aucune idée révélée, décrétée, ou présentée comme une certitude, ne fait autorité, en particulier dans les questions religieuses. La réflexion est guidée par la raison et les religions révélées sont vues comme des obstacles à l’émancipation de la pensée. Par extension, le terme est utilisé lorsqu’on s’affranchit de toute croyance religieuse. »

Le Jardin des Délices, et le mouvement du Libre-Esprit. Laissez-vous vous méduser par l’analyse de l’œuvre majeure de Jérôme Bosh, le jardin des délices sous forme d’un exposé en trois parties. Dans un premier volet, une introduction à la vie et l’œuvre de Jérôme Bosch. Sa naissance, ses débuts artistiques, ses principales œuvres, sa relation à son époque. On y découvre un homme religieux, un artiste original, un fin satiriste, témoin lucide de ton temps et créateur d’une utopie magnifique.

Dans un deuxième volet consacré au Jardin des Délices, on récapitule ce qu’on sait sur son probable commanditaire, puis on analyse en détails le triptyque : la création du monde, l’éden, le jardin des délices, et l’enfer. On verra que Bosch dépeint ici une utopie magnifique mettant en scène ce que serait pour lui l’humanité si elle n’avait jamais commis le péché originel. Une humanité réconciliée avec une nature abondante, vivant en totale innocence, en toute liberté, et jouant pour l’éternité dans un bonheur absolu.

Dans la troisième et dernière partie, on parle du mouvement du Libre-Esprit, nom sous lequel on a regroupé des milliers d’hommes et de femmes, ayant vécu partout en Europe occidentale, du XIIe au XVIe siècle. Ces fanatiques de la liberté vivaient en se sentant Dieu, en niant le péché originel, et toute autorité religieuse, politique, ou morale. Ils pratiquaient un panthéisme extatique, une liberté sexuelle totale, un retour de l’innocence du jardin d’Éden, sous le signe du bonheur et de l’insoumission. Comment ont vécu ces mouvements révolutionnaires méconnus? Et qu’ont-ils à nous apprendre en ce troisième millénaire?

Texte extrait du Dictionnaire vagabond en Franc-maçonnerie

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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