mer 15 janvier 2025 - 00:01

Le tuilage en Franc-maçonnerie

L’entrée du temple est réservée aux initiés de degré égal ou supérieur à celui auquel la tenue se tient. Le franchissement du seuil donne lieu, sur les parvis, à vérification de cette appartenance par un tuilage qui consiste, par un jeu de questions-réponses, à échanger des signes, mots de passe, et attouchements relevant des secrets transmis à chaque grade et selon son rite.

Cela peut aller jusqu’à demander à un visiteur inconnu la preuve qu’il est en règle avec sa loge, le cas échéant jusqu’à lui demander de présenter un passeport maçonnique. Dans l’Ordre Maçonnique Mixte International Le Droit Humain, les mots de passe mots sont annuels. Ces mots sont communiqués aux seuls membres de la loge symbolique. Ils circulent au cours d’une chaîne d’union en tenue solennelle et transmis aux tuileurs d’autres obédiences pour permettre à leurs visiteurs de se faire reconnaître.

Oswald Wirth, dans son Livre de l’apprenti, au chapitre Le Grand Orient de France raconte: “Au GODF, tous les Maçons qui, à la suite d’une vérification générale, furent reconnus comme réguliers, reçurent communication, à partir de 1777, d’un double mot de reconnaissance, renouvelé tous les six mois. Cette mesure est restée particulière à la Maçonnerie française, l’emploi des mots de semestre ne s’étant pas répandu à l’étranger, où le « tuilage » continue à s’effectuer dans toute son ancienne ampleur.”

Le tuilage désigne aussi parfois les questions-réponses rituelles par lesquelles on éprouve le maçon pour qu’il démontre sa connaissance du degré avant de passer au degré supérieur. Un livret appelé «catéchisme», sans connotation chrétienne, est remis à l’impétrant au moment de la cérémonie d’attribution  de chaque degré. Ce tuilage  se situe dans l’espace-temps de la loge du degré N du franc-maçon qui va passer au degré N+1 (voir l’article Les triptyques initiatiques)

Le livret remplit, en fait, une triple fonction : d’explication de la doctrine du grade, de tuilage qui unit les initiés, de résumé à retenir.

Je ne saurai trop vous recommander de lire The Early Masonic Catechisms. Dans ce volume, qui peut être décrit comme une édition « utilitaire », Douglas Knoop  s’efforce de fournir des textes fiables de tous les premiers catéchismes maçonniques et des répliques contemporaines, à l’exception du Manuscrit de Chesham et de la première partie du Manuscrit d’Essex, qui sont pratiquement identiques à d’autres premiers catéchismes imprimés dans leur intégralité.

Le Manuscrit d’Édimbourg daté de 1696 serait l’un des plus anciens. Le plus élaboré et le plus célèbre est Masonry Dissected (La Maçonnerie Disséquée) de Samuel Prichard, ouvrage publié le 20 octobre 1730 à Londres, qui connut jusqu’en 1787 de nombreuses réimpressions et traductions.

Lorsqu’ils reproduisent un dialogue, le but de celui-ci n’est que de vérifier la qualité maçonnique d’un interlocuteur auquel on demande de communiquer certains mots. Selon le premier statut des Lois et Statuts de la Loge d’Aberdeen, adopté ou confirmé le 27 décembre 1670, les maîtres maçons et les apprentis inscrits recevaient le bénéfice du mot de maçon, Mason Word, dès leur entrée), de reproduire certains signes ou de décrire certains instants spécifiques vécus par lui au moment de son initiation. À la fois aide-mémoire et divulgations, ce fut un genre très à la mode dans la première moitié du XIXe siècle qui laissa de précieuses indications historiques et mythographiques sur la Maçonnerie parmi lesquelles : le Régulateur de 1801, le Vuillaume, le Delaunay, le Grasse-Tilly et le Ragon.

Le plus vieux rituel-catéchisme français des 3 grades de la Maçonnerie symbolique serait, selon Alain Bernheim, un manuscrit daté de 1745 (au plus tard pour sa première partie), transcrit et commenté par Georges Luquet, intitulé : le vrai catéchisme des frères francs-maçons rédigé suivant le code mystérieux et approuvé de toutes les loges justes et régulières. Un long développement, à partir de la page 52, par questions/réponses explique ce que l’on entend par la parole perdue, la véritable prononciation de l’éternel et ses mots substitués.

Bien que tous les signes et mots secrets de la Franc-maçonnerie aient été révélés depuis ses origines, les francs-maçons ont toujours continué, dans tous les rites, à s’engager à les conserver. Parmi les divulgations les plus célèbres, on peut consulter : A mason’s examination (Le tuilage d’un franc-maçon), publiée à Londres en 1723, la plus ancienne divulgation imprimée connue. En voici la traduction en français:

Lorsque vous entrez dans une Loge, vous devez frapper trois fois à la Porte, et ils vous défieront.

Q. êtes-vous franc-maçon ? R. Oui, je le suis.

Q. Comment le saurai-je ? R. Par des signes et des indications depuis mon entrée dans la cuisine, et de là jusqu’au hall.

Q. Quel est le premier point d’entrée ? R. Écouter et cacher, sous peine d’avoir la gorge tranchée ou la langue arrachée.

Alors l’un des Surveillants dira : Que Dieu vous salue à cette réunion, ainsi que le Très Vénérable Maître et les Vénérables Compagnons qui gardent les Clés de la Loge d’où vous venez ; et vous êtes également le bienvenu, Vénérable Frère, dans cette Vénérable Société.

Ensuite, vous saluez comme suit.

Le Très Vénérable Maître et les Vénérables Compagnons de la Loge d’où je viens vous saluent abondamment.

Q. De quelle Loge êtes-vous membre ? R. Je suis membre de la Loge de Saint-Étienne.

Q. Qu’est-ce qui constitue une Loge juste et parfaite ? R. Un Maître, deux Surveillants, quatre Compagnons, cinq Apprentis, avec équerre, compas et règle commune.

D. Où avez-vous été fait ? R. Dans la vallée de Josaphat , derrière un jonc, où l’on n’entendait ni chien aboyer, ni coq chanter, ni ailleurs.

Q. Où se trouvait la première Loge ? R. Dans le porche de Salomon ; les deux piliers s’appelaient Jachin et Boaz .

Q. Combien d’ordres existe-t-il en architecture ? R. Cinq : l’ordre toscan, l’ordre dorique, l’ordre ionique, l’ordre corinthien et l’ordre composite ou romain.

Q. Combien de points y a-t-il dans la communion ? R. Six : pied contre pied, genou contre genou, main contre main, oreille contre oreille, langue contre langue, cœur contre cœur.

Q. Comment les francs-maçons prennent-ils leur place dans le travail ? A. Le Maître SE, les Surveillants NE et les Compagnons Eastern Passage.

Q. Combien de joyaux précieux y a-t-il dans la franc-maçonnerie ? R. Quatre : l’équerre, l’astler, le diamant et l’équerre commune.

Q. Combien de lumières y a-t-il dans une Loge ? R. Trois : le Maître, le Surveillant et les Compagnons.

Q. D’où vient le motif d’un arc ? R. De l’arc-en-ciel.

Q. Y a-t-il une clé pour votre Loge ? R. Oui.

Q. Qu’est-ce que c’est ? R. Une langue bien pendue.

Q. Où est-il conservé ? R. Dans une boîte d’ivoire entre mes dents, ou sous les genoux de mon foie, où sont conservés les secrets de mon cœur.

Q. Est-ce qu’il y a une chaîne ? R. Oui.

Q. Quelle est sa durée ? R. Elle va de ma langue à mon cœur.

Q. Où se trouve la clef de la loge de travail ? R. Elle se trouve à droite de la porte, à deux pieds et demi, sous un gazon vert et un carré.

Q. Où le Maître place-t-il sa marque sur l’œuvre ? R. Sur l’angle sud-est.

Pour connaître un apprenti entré, il faut lui demander s’il est allé en cuisine, et il vous répondra : Oui.

Pour connaître un membre expérimenté, vous devez lui demander s’il est déjà venu au Hall, et il vous répondra : Oui.

Pour reconnaître un Franc-Maçon dans l’Obscurité, vous devez lui dire qu’il n’y a pas d’Obscurité sans Absence de Lumière ; et il vous répondra qu’il n’y a pas de Lumière sans Absence d’Obscurité.

Pour complimenter un frère maçon, placez votre main droite sur le côté droit de votre chapeau et amenez votre chapeau sous votre menton ; ensuite, le frère placera sa main droite sur le côté droit de son chapeau et l’amènera sur le côté gauche sous son cœur.

Pour rencontrer un frère, vous devez faire le premier pas avec votre pied droit, le deuxième avec votre gauche ; et au troisième, vous devez avancer avec votre talon droit jusqu’au cou-de-pied droit de votre frère ; puis posez votre main droite sur son poignet gauche et tirez l’autre main de votre oreille droite vers la gauche sous votre menton ; puis il mettra sa main droite sur son côté gauche sous son cœur.

Se plaindre, c’est quand vous prenez un frère par la main droite et que vous mettez votre majeur sur son poignet, et il vous fera la même chose.

Pour connaître un franc-maçon en privé, placez votre talon droit sur son cou-de-pied droit, placez votre bras droit sur son bras gauche et votre gauche sous son bras droit, puis faites un carré avec votre majeur, de son épaule gauche jusqu’au milieu de son dos, et ainsi de suite jusqu’à sa culotte.

Lorsqu’un franc-maçon descend de son cheval, il pose l’étrier sur le cou du cheval.

Pour appeler un franc-maçon parmi la compagnie, vous devez tousser trois fois ou frapper contre quelque chose trois fois.

Un franc-maçon, pour montrer sa nécessité, jette un morceau d’ardoise rond et dit : Pouvez-vous changer cette pièce ?

Le Tuileur, en anglais tyler

Il y a deux acceptations différentes de ce terme.

C’est un recueil des éléments de tuilage ou de catéchisme des grades d’un ou de plusieurs rites sous forme de livre (voir ci-dessus).

C’est un poste d’officier, celui de garde, il a pour fonction de réguler les entrées rituelles en loge, de vérifier la qualité des candidats et des visiteurs, quitte à pratiquer un tuilage. Jadis, il était censé prévenir de l’approche des intrus et, réellement ou symboliquement, défendre la loge contre les attaques, étant muni de son épée.

Le révérend A. F. A. Woodford, dans son Kennings Masonic Cyclopaedia écrit que le mot tyler est dérivé du latin « tegulator », qui signifie un homme qui pose des carreaux et que « leur travail fidèle mérite pleine reconnaissance et récompense ». William Harve précise : « dans les anciens Écossais, le mot  “tuile” avait un sens plus large que celui de simplement faire référence à la toiture d’une maison. Carreler une chose, c’était la couvrir, la cacher ou la garder secrète, et en ce sens, sans aucune référence à la couverture du toit, cela s’applique tout à fait à l’intention des francs-maçons de garder leurs secrets des non-initiés ».

Aux débuts de la Franc-maçonnerie, les tâches du Tuileur consistaient à délimiter la loge avec des lignes de craie sur le sol ainsi qu’à dessiner des symboles clés, il était payé pour cela. Le procès-verbal de la loge de Jérusalem, n ° 197 montre des paiements de deux shillings et six pences au Tuileur pour avoir «formé» le Fellow Crafts ou Masters Lodge. Le Tyler a également diligenté les convocations aux réunions de la loge, ainsi que tout autre avis urgent. Les autres loges payaient au Tyler des frais pour chaque cérémonie d’initiation, de passage, d’élévation, exécutée.

Les loges donnaient à leurs Tyler toute discrétion pour refuser l’admission lorsque le Tyler pensait qu’il avait de bonnes raisons de le faire. Par exemple, dans les années 1730, la Loge de la Probité, n ° 61, a ordonné au Tyler «de refuser l’admission à tout membre de la Loge qui n’est pas propre et décemment vêtu d’une couverture blanche propre». Il y a une anecdote sur un Maçon plutôt débraillé, sale et malodorant se présentant au Tyler, qui lui a refusé l’entrée. Quand le maçon a demandé pourquoi, le Tyler a répondu «B. O.» auquel le maçon a dûment répondu «A. Z.» et il a été admis.

Une publication, d’environ 1750, déclare: «Le plus grand honneur que le Maître puisse conférer à un frère est de faire de lui  un Tyler, car non seulement ses propres secrets sont connus, mais ceux de la Loge dépendent de lui».

Un guide français pour les francs-maçons, publié en 1828, précise parmi les qualités et devoirs d’un Tuileur-expert que le Frère tuileur doit toujours être choisi parmi ceux qui ont la plus grande connaissance et le plus haut rang (à partir de la page 13 du livre Tuileur-expert des sept grades du Rite Français ou Rite Moderne …, complément au livre écrit par Étienne-François Bazot,1828.

L’encyclopédie d’Albert Mackey postule : Comme le Tuileur est toujours rémunéré pour ses services, il est considéré, en quelque sorte, comme le serviteur de la Loge. Il est donc de son devoir de préparer la Loge pour ses réunions, d’arranger le mobilier à sa place appropriée et de prendre toutes les autres dispositions pour la commodité de la Loge. Le Tuileur n’a pas besoin d’être membre de la Loge qu’il carrelle ; et en fait, dans les grandes villes, un frère remplit très souvent les fonctions de Tuileur de plusieurs Loges. C’est une fonction très importante et, comme celle du Maître et des Surveillants, elle doit son existence, non pas à des règlements conventionnels, mais aux repères mêmes de l’Ordre ; car, de par la nature particulière de notre Institution, il est évident qu’il n’aurait jamais pu y avoir de réunion de francs-maçons à des fins maçonniques, sans qu’un Tuilier n’ait été présent pour protéger la Loge contre toute intrusion. Le titre est dérivé de l’art opératif ; car comme dans la Maçonnerie opérative, le Tuilier, lorsque l’édifice est érigé, le termine et le couvre d’un toit (de tuiles), ainsi dans la Maçonnerie Spéculative, lorsque la Loge est dûment organisée, le Tuilier ferme la porte, et protège l’enceinte sacrée de toute intrusion.

À partir du milieu du XVIIIe siècle, les loges ont commencé à nommer des Tuileurs comme portiers pour s’assurer qu’aucun non-maçon ne pouvait entrer dans la loge pendant que le rituel était en cours. Il reste à l’extérieur de la loge dans les rituels anglo-saxons. Aujourd’hui, dans de nombreux pays anglo-saxons, le tuileur peut être élu. La raison de cette élection est de prononcer l’exemption de cotisation du tuileur pendant la durée de sa charge, sur l’engagement qu’il y sera fidèle et en dédommagement de son côté rébarbatif (le tuileur ne rentre jamais en loge après son installation et jusqu’à sa succession). En écosse et aux USA, il n’est pas rare, de trouver des tuileurs ad vitam, choisis parmi les frères handicapés ou démunis, ou parmi les vieux frères expérimentés et en retraite dans le profane. Ils sont souvent, dans ce cas, partagés par plusieurs loges d’une même ville. Ces tuileurs touchent une rémunération réelle, pour suppléer leur quotidien difficile, provenant soit des trésors de loge, soit des collectes de charité, soit du tronc de la veuve sur le continent européen, soit d’un tronc spécial qui leur est destiné. Ce procédé est difficile à comprendre en France vu ses systèmes de protection sociale, mais il apparaît juste et habile aux yeux des écossais et des Américains.

Ainsi, en Écosse, en 1745, les frères de la loge de Scoon et de Perth ont déploré que leur Tyler, «étant un homme pauvre», assistait fréquemment aux réunions dans des vêtements déchirés, et ils ont donc demandé au trésorier de lui acheter un nouveau manteau, alors il avait l’air respectable en service.

Ce désir d’utiliser le Tyler pour créer une bonne impression de la Franc-maçonnerie en général s’est développé au XVIIIe siècle, lorsque de nombreuses loges ont fourni de magnifiques uniformes pour leurs Tylers, au-delà du chapeau et du manteau habituels. Par exemple, le Tyler de la Grande Loge d’Angleterre en 1736 était vêtu d’un gilet rouge sous un manteau bleu foncé, garni de dentelle d’or. La Loge de Saint John, n ° 279, de Leicester, résolut en 1791 que son Tyler soit vêtu aux frais de la loge d’un manteau et d’un gilet bleus et d’une culotte en velours côtelé, avec des boutons jaunes, des bas blancs et un chapeau à trois coins. Et aussi qu’il soit muni d’un «bonnet velu» à porter lors d’occasions publiques, ce dernier restant la propriété de la Loge. Une Loge à Preston dans les années 1790 a habillé son Tyler en écarlate, également avec «un bonnet velu».

La gravure satirique de William Hogarth (gendre de James Thornhill), intitulée La Nuit, montre un franc-maçon sortant d’une taverne dans un état que l’on peut qualifier de «chargé». George W. Speth suggère que le tableau représente Hartshorn Lane, Charing Cross. Le personnage principal, portant un collier à équerre, est Sir Thomas de Veil, membre de la première Loge de Hogarth, réunie à Vine en 1729. Le personnage secondaire, portant les insignes de Tyler avec épée, clé et lampe, est le frère Montgomerie, le Grand Tyler, fabricant de perruques. (Museum of Freemasonry, Londres). Notez le personnage de droite tenant une serpillière, une allusion possible à la pratique consistant à dessiner des symboles sur le sol de la salle de la loge et à les laver lorsque la loge était fermée.

Cependant, Philippe Langlet, dans Lecture d’images de la Franc-Maçonnerie, pense qu’il s’agirait plutôt d’un aubergiste, au vu du ciseau à moucher les chandelles qui pend sur son tablier (et non la clef de la loge), comme il a pu en voir sur une autre gravure d’un aubergiste portant le même tablier.

Et pour compléter, vous pourriez lire l’article sur le journal paru le 8 février 2022: Mots de passe, clefs de passage

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES