Verbe, Parole, Logos
Le prologue de l’Evangile de Jean est formé de dix-huit versets dans lesquels il est dit (au quatre premiers versets) :
- Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu.
- Le Verbe était au commencement avec Dieu.
- Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui.
- Dans le Verbe était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
Le mot prologue vient du grec pro logos. Pro signifie avant, et logos signifie discours, donc un pro logos est un discours introductif ou un préambule. C’est une « ouverture » en quelque sorte. Je souligne le fait qu’aucun des autres Evangiles, c’est-à-dire ceux de Matthieu, de Marc et de Luc (ces trois évangiles sont dits « synoptiques ») ne commence par un prologue qui énonce les mystères de la création. Celui de Jean est donc une exception. Les quatre premiers versets de l’Evangile de Jean que j’ai extrait du prologue sont fondamentaux parce qu’ils disent clairement que la réalité première qui est à l’origine de l’Univers, et de toute chose en ce monde, c’est le Verbe, c’est-à-dire la Parole ou le Logos.
Le Logos chrétien c’est la Parole vivante et créatrice de Yahvé (YHWH). Bien que le prologue soit sans ambiguïté sur l’origine de la création, il n’en reste pas moins qu’il n’est pas totalement explicite dans la mesure où la nature réelle du Verbe n’est pas expliquée en détail. Qu’est-ce que le Verbe ou le Logos ?
D’où vient-il ?
De quoi est-il fait ?
De quoi est-il porteur ?
Comment agit-il ?
Pouvons-nous le connaître ?
Il n’est pas aisé de répondre à toutes ces questions, mais Jean nous donne cependant quelques informations très importantes. Il affirme en effet que le Verbe était au commencement, c’est-à-dire qu’avant la naissance de l’Univers il n’y avait que le Verbe. L’Univers existait donc en germe (potentiellement) dans le Verbe. Le Verbe ou le Logos est donc comme la « matrice » de l’Univers, et ce dernier serait son déploiement, c’est à-dire son passage de la pure potentialité (nous dirions aujourd’hui « pure probabilité ») à l’existence effective et réelle. Jean dit aussi que le Logos n’est pas très différent de ce qu’on appelle Dieu. Ces deux termes sont quasiment équivalents pour lui. Au départ il semble pourtant y avoir une petite différence, et même une certaine contradiction, car il est dit que le Logos « était avec » Dieu, donc distinct de lui, puis ensuite qu’« il était » Dieu, ne formant alors avec lui qu’une seule et même entité. Nous pouvons pas être, en même temps : « avec » quelque chose, et être cette chose même. Sauf à supposer une sorte de « superposition d’état ». Entre, « était avec » et « il était », il se produit un changement qui n’est pas expliqué. Plus loin, Jean dit que dans le Verbe était la vie et que cette vie était la lumière des hommes. Cette affirmation permet de lier ensemble trois réalités : le Verbe ou Logos, la Vie et la Lumière. Ce verset est d’une grande importance pour comprendre la nature profonde de ce qu’on appelle le « Corps de Lumière ».
L’Evangile ésotérique de Jean.
Notons que l’Evangile de Jean est considéré comme étant porteur de connaissances ésotériques qui ne sont pas accessibles à tout le monde. Le texte peut être lu à plusieurs niveaux et il comporte plusieurs sens dont certains sont volontaires voilés. Jean l’évangéliste, frère cadet de Jacques, dit Jacques le Majeur, était fils de Zébédée et l’un des douze apôtres. Jacques et Jean sont tous deux des pêcheurs du lac de Tibériade. Jean fut celui que Jésus aimait, d’où son surnom de « préféré ». Jean fut aussi l’un des trois apôtres (avec Pierre et Jacques) qui suivit le Christ au mont Thabor où se déroula la mystérieuse scène de la Transfiguration (mot qui vient du grec metamorphosis qui signifie métamorphose). Lors de cet épisode très particulier, Jésus révéla à ses disciples sa vraie nature qui est lumineuse et spirituelle. Il montra aux trois apôtres que son corps physique n’était qu’une apparence extérieure qui « dissimulait », ou « voilait » en quelque sorte, son corps spirituel qui n’était que Lumière. L’évangile de Matthieu relate ainsi la scène : « Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques, et Jean, son frère, et il les conduisit à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière ». Plus loin, Jésus donna cet ordre à ses trois disciples : « Ne parlez à personne de cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité des morts ».
N’oublions pas que c’est Jean qui introduit la notion de Logos en rapport avec le Christ dans son Evangile. Dans la Grèce antique, le logos c’est la parole, le discours écrit ou parlé, la raison, et même la relation. C’est d’ailleurs un des mots les plus riches de sens en grec. Pour Platon, le logos est la raison organisatrice, c’est ce qui permet de comprendre le monde. Il est aussi porteur des idées éternelles et des archétypes. Dans le Logos se trouve le « modèle » de tout ce qui existe dans notre monde, et comme nous l’avons vu plus haut, ces « modèles » servent de « base informationnelle » pour multiplier les objets ou la nourriture. Dans la théologie chrétienne, le Logos s’est fait chair en devenant Jésus-Christ.
C’est ce que dit clairement Jean dans son Prologue au verset 14 et qu’il développe dans les versets suivants :
- Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire
qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. - Jean le Baptiste lui rend témoignage en proclamant : « C’est de lui que j’ai dit : Celui qui
vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. » - Tous nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce ;
- car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
- Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein
du Père, c’est lui qui l’a fait connaître.
Le Christ est donc bien la manifestation visible du Logos (Verbe, Parole). A ce titre, l’épisode de la Transfiguration est décisif pour comprendre la vraie nature du Logos. Sur le mont Thabor, le Logos est visible et il montre qu’il est Amour, Lumière et Vie. J’écris Amour, Lumière et Vie avec des majuscules car ce dont il s’agit ici est beaucoup plus puissant et élevé que l’amour humain, la lumière photonique du monde physique, et la vie telle que nous croyons la connaître sur la terre.
Le Logos, Lumière vibrante et/ou vibration sonore Lumineuse.
Bien que très mystérieuse dans le fond, la notion de Logos comporte deux aspects qui sont étroitement imbriqués l’un à l’autre : un aspect lumineux et un aspect sonore. N’oublions pas en effet que le Logos est un « discours » et une Parole. Le Logos est à la fois Lumière (« onde lumineuse ») et son (« onde sonore »). Le Logos peut être défini comme une Lumière vibrante ou une vibration sonore Lumineuse. Le Logos est aussi le « son primordial » qui créé le monde. Dans son livre intitulé Aperçus sur l’initiation (Editions Traditionnelles, 1953), René Guénon fait la remarque suivante qui est très importante : « […] à signaler l’étroite connexion qui existe, d’un point de vue cosmogonique, entre le son et la lumière, et qui est exprimée très nettement par l’association et même l’identification établie, au début de l’évangile de saint Jean, entre les termes Verbum, Lux, et Vita ». Plus loin, et dans le même ouvrage, il utilise une image pour caractériser la condition de l’être humain : « L’être (humain) se sent lui-même comme une vague de l’Océan Primordial, sans qu’il soit possible de dire si cette vague est une vibration sonore ou une onde lumineuse ; elle est, en réalité, à la fois l’une et l’autre, indissolublement unies en principe, au delà de toute différenciation qui ne se produit qu’à un stade ultérieur dans le développement de la manifestation ». Guénon prend bien soin de préciser que les termes de « son » et de « lumière » considérés dans leur état subtil, ne sont pas équivalents au son et à la lumière que nous expérimentons quotidiennement dans le monde sensible.
Le Logos créateur d’ordre et de cohérence.
En réalité, le Logos est beaucoup plus qu’une lumière (« onde lumineuse ») et un son (« onde sonore »), c’est avant tout un principe organisateur qui est porteur d’une somme colossale d’informations. Il y a une sorte d’Intelligence dans le Logos. L’information portée par le Logos est capable d’agir directement sur la matière et de la modeler à sa guise. Le Logos a le pouvoir d’« informer », c’est-à-dire de donner les formes qu’il veut, à la matière. Il est aussi porteur de sens. Il créé du sens à travers son action. Il oriente ses créations dans une certaine direction voulue par Lui. Il possède le pouvoir de générer de l’ordre et de la cohérence. Il est à la source des forces qui vont dans le sens de la convergence, et en cela, il peut être rapprocher du « Point Oméga » de la création, concept créé par Pierre Teilhard de Chardin, qui désigne le point ultime de convergence de toutes les consciences de l’Univers. Le Point Oméga est « aboutissement » et « cause » de l’évolution de la complexité. D’un certain point de vue, le Logos est producteur de néguentropie, c’est-à-dire qu’il s’oppose à l’entropie ambiante. Il s’empare du chaos pour en faire quelque chose de structuré qui a du sens. Le Logos porte en lui un immense pouvoir, il est Intelligence et l’exercice de cette Intelligence dans la matière pour l’ordonner.
Du Fiat lux au Logos.
Au chapitre I du livre de la Genèse, il est dit que :
- Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.
- La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de
Dieu planait au-dessus des eaux. - Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut (Fiat lux et facta est lux).
- Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres.
Si nous rapprochons les quatre premiers versets de la Genèse des quatre premiers versets de l’évangile de Jean, nous voyons immédiatement qu’à travers une formulation différente apparaît cependant ce que j’appelle une structure de sens identique. Si le chapitre I de la Genèse concerne plus particulièrement l’universel, le Cosmos dans son ensemble, le prologue de Jean s’adresse finalement à l’être humain et à sa situation spéciale et centrale dans le règne du vivant.
Evangile de Jean :
- Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu.
- Le Verbe était au commencement avec Dieu.
- Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui.
- Dans le Verbe était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
- La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’on pas arrêtée.
Au commencement était Dieu, le Logos/Verbe. Toutes choses ont été faites par lui : les cieux et la terre. Comme dans la Genèse, Jean évoque les ténèbres mais il précise que la lumière est capable de les traverser sans que ces ténèbres soient capables de l’arrêter et de lui résister. La lumière est donc toute puissante et « invincible ». C’est le Sol Invictus, le « Soleil invaincu », des écoles initiatiques de la Rome antique comme le culte de Mithra par exemple. Cette lumière a le pouvoir d’ordonner (instaurer de l’ordre) les ténèbres et en même temps d’ordonner, dans le sens de « donner un ordre » aux ténèbres. Les deux textes (Genèse et Evangile) évoquent la Lumière créée par le Logos : « Que la lumière soit. ». C’est le fameux Fiat Lux.
Cette Lumière qui est « bonne », se sépare ensuite des ténèbres qui sont le chaos fondamental sans forme et indifférencié et qui est pure potentialité. Ce chaos fondamental ressemble au « vide quantique » ou « énergie du vide » qui est le « vide » décrit par la physique quantique. L’« énergie du vide » quantique est l’état virtuel de la matière qui n’est pas encore manifestée dans ce que nous appelons le « monde réel ». Cette réalité sous-jacente au « réel » est pure potentialité. Dans la mécanique quantique le vide est rempli de particules virtuelles apparaissant pendant un temps très bref avant de disparaître.
Jean nous dit pour terminer, que le Logos est Vie et Lumière et que cette Lumière réside au centre de l’Homme. Du Logos sort la Lumière qui scinde la réalité en deux parties : une réalité d’ordre et de cohérence qui forme le cône des forces de convergence, et une réalité chaotique qui forme le cône des forces de divergence et de dissolution. La vibration sonore/Lumineuse originelle du Fiat Lux initie le bouleversement qui va changer le chaos en ordre. Elle introduit du sens dans la création.
Bibliographie :
Corps de Lumière – Le secret de la Pierre Philosophale (Daniel Robin, JMG éditions).
Nous sommes Lumière – Nous venons de la Lumière et nous retournons à la Lumière (Daniel Robin, JMG éditions).
Le texte grec dit “et Dieu était le Verbe” et non le contraire : kai (et) o (le) theos (Dieu) èn (était) o (le) logos (Verbe)
Il faut lire le grec et non les traductions
et plus loin (I, 18) il dit que Jésus Christ est “le fils unique qui est dans les entrailles du Père”
( entrailles c’est kolpon en grec soit “sein de la mère, ventre, entrailles” C’est donc de là qu’il descend dans le monde en se faisant chair
Le Verbe n’est donc pas le Père .
Pourquoi couper en quatre ce qui n’a pas à l’être? Ces textes sont à lire avec le coeur et non en érudit. Bien sûr, les érudits sont nécessaires à l’histoire , et ne le sont pas à qui cherche la parole perdue. La parole perdue est le Verbe créateur de Dieu, Grand Architecte de l’Univers, Energie invisible à l’intérieur et à l’extérieur de soi. Il est dit au ” Symbole de Nicée ” en l’an de Grâce “325 : ” Nous croyons en un seul Dieu, Père tout puissant, créateur de toutes les choses visibles et INVISIBLES “. De la pierre brute temporelle à la pierre cubique spirituelle à pointeS l’initié est à couvert des soucis temporels , matériels pour son temps visible et invisible.. .
Je veux tout d’abord rendre hommage à la clarté et à l’expression de Daniel Robin dans ce très bel article.
Mais au-delà des sincères félicitations, il me faut souligner ce qu’ébauche à juste titre me semble-t-il le commentaire de Solange Sudarskis. Daniel Robin prend certes, avec beaucoup d’honnêteté, la précaution de dire qu’il commente à partir de la version chrétienne des textes, en évoquant par exemple “le logos chrétien”.
Mais les Grecs avaient de ce mot un entendement complexe, bien avant que les continuateurs des Apôtres (qui tous étaient Juifs !) n’élaborent leur version du sens, ou plutôt des sens et des évocations qu’ils lui donnaient.
Il faut donc lire en grec les textes écrits primitivement en grec, en tentant d’avoir de chaque mot la compréhension qu’en avaient les auteurs à l’époque, comme il faut lire en hébreu, avec des précautions et des limites analogues, les textes initialement pensés et écrits en hébreu. L’exercice, j’en conviens, est des plus difficile !
La formule “‘Le Logos chrétien c’est la Parole vivante et créatrice de Yahvé (YHWH).” C’est bien évidement un raccourci que les catholiques peuvent entendre, surtout après Vatican II. Mais ni un helléniste ni un hébraïsant quelque peu scrupuleux ne sauraient évidemment la cautionner… De même, Daniel Robin cite une traduction en français du début de la Genèse. Le Grand Rabin Zadock Kahn a cautionné celle ci :
1 Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
2 Or la terre n’était que solitude et chaos; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de Dieu planait à la surface des eaux.
3 Dieu dit: “Que la lumière soit !” Et la lumière fut.
4 Dieu considéra que la lumière était bonne, et il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres.
5 Dieu appela la lumière jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, un jour.
Mais ce n’est qu’une traduction, et “traduttore, traditore” . Sans omettre de se poser les questions que tout lecteur du texte originel ne peut manquer de se poser , à commencer par celle ci : pourquoi le premier verset du premier livre de la Torah commence par un “beth”, la seconde lettre de l’alphabet, et non par un “aleph”, la première lettre. Le commencement ne serait-il pas le commencement ? Et que faisait Dieu, Lui qui n’a ni début ni fin, avant le commencement ? … Merci en tous cas à Daniel Robin, et à celles et ceux qui poursuivront sa quête, tant il est vrai que “la vibration […] originelle du Fiat Lux initie le bouleversement qui va changer le chaos en ordre. Elle introduit du sens dans la création.” Ordo ab chao !!!
Quand Jean “Jean nous dit pour terminer, que le Logos est Vie et Lumière et que cette Lumière réside au centre de l’Homme” c’est donner à Dieu des attributs ! .C’est une théologie cataphatique qui emploie des termes positifs pour décrire Dieu. Cette philosophie s’oppose à celle apophatique (qui insiste plus sur ce que Dieu n’est pas que sur ce que Dieu est) de la tradition grecque juive et même celle de Thomas d’Aquin, Maître Eckhart…
Pourquoi la traduction “La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme” met au pluriel le mot חֹשֶׁךְ (hocher) qui est un singulier? N’est-ce pas introduire une diminution de sens d’avec “‘obscurité” ou “la ténèbre” ?