« D’où venez-vous ? », interroge le Tuileur. « D’une Loge de Saint Jean », répond le Frère. C’est ainsi que traditionnellement s’identifie celui qui frappe à la porte du Temple. Lorsque l’Expert, à l’invitation du Vénérable Maître, ouvre sur l’autel des serments le Volume de la Loi sacrée, c’est à la première page de l’Evangile selon Saint-Jean que se trouve le signet.
Pourquoi sommes-nous une Loge de Saint-Jean, et pourquoi considérons-nous les premiers mots de l’Evangile de Jean comme emblématiques de notre Foi maçonnique ?
La Franc-Maçonnerie, même si elle s’affirme universelle, est née dans un environnement judéo-chrétien.
Au degré d’Apprenti nous savons identifier des marques de cet héritage judéo-chrétien : le Mot Sacré rappelle le portique d’entrée du Temple de Salomon, et provient de l’Ancien Testament, tandis que la Bible sur notre Autel est ouverte sur un passage majeur du Nouveau Testament. Même si nous considérons la Bible sur l’Autel, sous l’Equerre et le Compas, non pas comme un livre religieux mais comme le symbole de la Tradition, il se trouve que le livre que nous appelons Volume de la Loi Sacrée est la Bible, c’est-à-dire l’Ancien et le Nouveau Testament. C’est de cette partie de l’héritage biblique que nous allons essentiellement parler ici. Faisons d’abord un point d’histoire, plus précisément en évoquant ici deux Ordres chevaleresques liés à Saint Jean.
Le premier est l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem.
Vers l’an 1050, des marchands italiens avaient obtenu du calife d’Egypte l’autorisation de bâtir à Jérusalem un hôpital, qu’ils placèrent sous l’invocation de Saint Jean, afin d’héberger les pauvres pèlerins qui venaient visiter la Terre Sainte. La maison de Saint-Jean devint peu après un ordre monastique non cloîtré, auquel le pape Pascal II accorda divers privilèges.
Outre les trois vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, les Hospitaliers de Saint Jean devaient joindre l’exercice des armes à la pratique des devoirs de l’hospitalité, afin de défendre le royaume de Jérusalem contre les entreprises des infidèles. Ils étaient donc à la fois hommes de guerre et hommes de Dieu. Ils protégeaient les lieux saints de la Chrétienté, sur la même terre que celle des lieux saints de l’Islam et bien sûr des Juifs demeurés attachés à l’espérance de voir un jour rebâti le Temple de Salomon.
Sur cette terre sacrée, des contacts se nouèrent entre cherchants, tous attachés au service du même Dieu, celui d’Abraham. Et les initiés d’Orient transmirent quelques uns de leurs enseignements mystérieux aux religieux d’Occident, qui purent en incorporer quelques uns à leur propre savoir. Certains de ces enseignements étaient réputés venir des Johannites, un courant très discret de disciples de Saint Jean associés à un noyau d’Israélites descendants des Cohanim, les prêtres du Temple deux fois détruit, dont ils entretenaient les mystères.
Au terme de luttes et de querelles épiques, ils s’établirent à Acre, et adoptèrent le nom de Chevaliers de Saint-Jean d’Acre. Expulsés encore une fois de leur nouvelle résidence par les Sarrasins, les Hospitaliers déménagèrent à Limassol, dans l’ile de Chypre. Plus tard, en 1310, et dans des conditions aussi difficiles que rocambolesques, ils quittèrent Chypre pour Rhodes, avant de s’établir définitivement à Malte en 1530.
Ainsi, les Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem étaient devenus les Chevaliers de Malte, qui poursuit aujourd’hui encore ses actions hospitalières et caritatives.
Voilà pour le premier Ordre de Saint Jean.
Mais revenons aux premières années du 12ème siècle. Vers l’an de grâce 1115, neuf chevaliers français s’embarquèrent pour la Terre Sainte, où ils s’installèrent à Jérusalem, alors tenue par les Croisés. Ils assurent tenir leur légitimité du patriarche Théoclètes, 67ème successeur de Saint-Jean, auquel ils vouent une particulière dévotion.
Le 27 décembre 1118, le jour de la Saint-Jean l’Evangéliste, ces neuf chevaliers font part de la fondation de l’Ordre des Pauvres Chevaliers Du Christ.
Baudouin II, roi chrétien de Jérusalem, est séduit par leur projet de protéger les Chrétiens en pèlerinage à Jérusalem, et constate leur dénuement. Il leur octroie une partie de son palais, construit à l’emplacement du Temple de Salomon, détruit 17 siècles plus tôt. Du fait de cet emplacement symbolique, ils prennent alors très rapidement l’appellation de Chevaliers du Temple ou Templiers.
Dans leur invocation à Saint-Jean, les Templiers ne différenciaient pas l’Apôtre et le Précurseur. Ils organisaient des réjouissances populaires avec de grands feux allumés le 24 juin par le Grand Maître ou les Commandeurs.
Comme les Hospitaliers de Saint Jean, mais sans doute avec davantage d’intensité, ils ont des échanges spirituels avec les initiés locaux, notamment les Johannites, qui leur révèlent certains de leurs mystères. Ceux-ci venaient tant de l’héritage juif des continuateurs du culte du Temple de Salomon que de l’héritage gréco-romain des perpétuateurs byzantins de la pensée pythagoricienne et des collèges romains, eux-mêmes dépositaires de la tradition mystérieuse de l’Egypte antique ou encore de la pensée islamique très élaborée des Assashim.
Peu à peu, les Templiers vont acquérir une puissance réelle, qu’ils employèrent à la défense de la religion chrétienne, soit en Terre Sainte, soit dans tous les royaumes où ils allèrent fonder des commanderies. Régulièrement en querelle avec les Hospitaliers de Saint-Jean, pendant près de deux siècles, les Templiers vont accroître leur aura avant de revenir définitivement en Occident en 1291 après le chute de Saint-Jean d’Acre… Leur raison d’être initiale avait disparu.
Les rois et les princes que les templiers avaient largement aidés sont bientôt inquiets de l’accroissement de l’Ordre et de sa splendeur qui menaçait de concurrencer l’organisation féodale. Ils cherchent aussi à combler les trous laissés dans leurs finances royales par les guerres incessantes de l’époque. Dès lors, ces rois et ces princes ne songent qu’à trouver les moyens de confisquer à leur profit la fortune des Templiers.
Le 13 octobre 1307, Philippe IV le Bel donne l’ordre de procéder à l’arrestation des membres de l’ordre du Temple, accusés d’impiété et d’hérésie
Après un procès inique, un grand nombre de chevaliers sont condamnés à être brûlés vifs.
En 1314, Jacques de Molay, le 22ème et dernier Grand Maître de l’Ordre, est livré aux flammes du bûcher.
Il faut savoir que la majeure partie des biens Templiers, particulièrement pour la France, sont transférés aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.
La plupart des Templiers qui ont pu échapper aux poursuites ou qui ont été mis en liberté en profitent pour entrer dans l’ordre de Saint-Jean, en conservant leurs dignités.
Ce qui est devenu aujourd’hui l’Ordre de Malte a donc recueilli une bonne part de l’héritage humain et matériel de l’ancien Ordre du Temple.
Mais quel lien avec notre Ordre maçonnique ?
Après les forts et châteaux forts, les fameux kraks, érigés en Palestine, les Templiers ont fait construire en Europe de multiples bâtiments de tous types. D’innombrables églises et chapelles (la fameuse chapelle de Fleet Street !), plus de dix mille manoirs, des ouvrages militaires de toutes tailles, portent dans toute la chrétienté les couleurs de l’Ordre.
Toutes les chapelles, les Commanderies et autres résidences des Templiers sont placées sous l’invocation de Saint Jean.
De nombreux ouvriers maçons, groupés pour la plupart dans « l’Ordre du Saint Devoir de Dieu des honnêtes compagnons », y avait travaillé.
Il faut rappeler que les Maçons opératifs, ou Maçons de métier appartenaient à des confréries de métiers libres, également dits métiers francs, par opposition aux professions rattachées à des corporations. Chaque Métier se réclamait d’un saint patron, car à l’instar de tout ce qui réglait la vie sociale, les confréries étaient d’inspiration religieuse.
Ce privilège de franchise dont se réclamaient les Francs-Maçons opératifs était essentiellement accordé sur le domaine des abbayes, et en particulier sur les domaines appartenant aux Templiers. Ces derniers attiraient dans leurs commanderies de nombreux artisans, auxquelles ils garantissaient leur protection afin qu’ils puissent librement circuler d’une commanderie à l’autre. Or les Templiers, nous l’avons vu, portaient à Saint-Jean l’Evangéliste une particulière vénération. Au demeurant, une certaine confusion existait avec Saint-Jean Baptiste, puisque c’est le jour de la fête de ce dernier, le 24 juin, qu’ils organisaient de grandes célébrations.
La disparition de l’Ordre du Temple et la dispersion de ses biens ne mirent pas fin aux privilèges que représentaient les franchises. Ainsi, tous les métiers francs continuèrent au cours des siècles à célébrer le culte de Saint-Jean. Les bâtisseurs opératifs étaient regroupés au sein des confraternités de Saint-Jean.
En 1326, le Concile d’Avignon condamne les fraternités et les confréries, dont les pratiques, les insignes et le langage secret lui paraissent menacer l’orthodoxie de la foi.
A peine quelques dizaines d’années plus tard, en 1390, est rédigé le manuscrit Régius, premier document connu, mais peut-être pas premier document écrit, attestant en tous cas l’existence de la Franc-maçonnerie opérative, avec l’histoire de la fondation de la Maçonnerie par Euclide en Egypte, la règle du Maçon en 15 Devoirs et 15 points et le développement sur les Arts libéraux.
170 ans plus tard, lors d’une St Jean d’hiver, le 27 décembre 1561, à York en Angleterre, a lieu une grande tenue solennelle et initiatique présidée par Thomas Sackville, Grand Trésorier d’Angleterre, et Grand Maître sous le règne d’Elizabeth Ière. On retrouve dans son compte-rendu la première référence à Saint-Jean dans un écrit maçonnique.
Encore 160 ans passent, durant lesquels les Maçons opératifs continuèrent de jouir de leurs privilèges et de protéger les secrets de leur Art. Peu à peu, ils vont entrouvrir leurs cercles, leur ateliers – car ils y traçaient leurs plans et façonnaient leur outils-, leurs loges – car ils y logeaient le temps que durait le chantier sur lequel ils étaient appelés -, à des clercs, c’est-à-dire des prêtres-, des nobles, des bourgeois riches et érudits. Ces membres non opératifs, intéressés à la découverte des Mystères de l’Art Royal, étaient ainsi les premiers Francs-maçons admis parmi les opératifs, d’où leur dénomination de Francs-Maçons acceptés.
C’est le jour de la Saint-Jean-Baptiste de 1717 que quatre loges londoniennes où opératifs et spéculatifs se côtoyaient s’unirent pour constituer la première Grande Loge.
A dire vrai, la tradition solsticiale remonte bien au-delà de l’époque chrétienne, et s’étend à des pays et à des cultures qui ignorent tout des Evangiles.
Le cycle Solaire et en particulier les deux positions particulières du Soleil qui éclaire notre planète et lui donne la vie sont connus et vénérés depuis l’âge de pierre. Carnac ou Stonehenge, Baalbek et cent autres sites mégalithiques en témoignent.
Mais la chrétienté a su adopter la fête du dieu romain Janus le dieu au double visage des Romains, qui symbolise le passé et l’avenir, l’année qui finit et celle qui commence. L’adaptation chrétienne s’est faite en accolant à chacune des célébrations solsticiales la commémoration d’un Saint Jean, Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin lorsqu’au solstice d’Eté le soleil est à son apogée, et Saint-Jean l’Evangéliste, le 27 décembre juste après le solstice d’hiver, alors que le soleil est le plus bas dans le ciel et donc juste avant que ne réapparaisse la lumière.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le solstice d’été, c’est une vieille fête païenne, que l’on célèbre encore chez nous avec les feux, et dans les pays Scandinaves, à la Ste Lucie, Sainte Lux, la fête de la Lumière. Et la lumière, c’est la Connaissance. Le jour de l’initiation, un franc-maçon reçoit la Lumière. Et l’on nomme parfois les Francs-Maçons les fils de la Lumière, comme avant eux les Esséniens.
Telle est en quelques mots l’explication la plus courante pour justifier l’invocation que nous continuons de pratiquer.
Mais il convient d’aller, bien entendu, un peu plus loin, et tout d’abord de rappeler qui sont ces deux Saint-Jean dont nous nous réclamons quelque peu confusément.
Evoquons d’abord, dans l’ordre chronologique, Saint-Jean-Baptiste.
Ce Jean-là, de son prénom hébreu Johanan, ce qui signifie « D. a fait grâce », est considéré comme le dernier prophète de l’Ancien Testament, et le premier prophète, ou plutôt le précurseur du Nouveau Testament.
Selon la tradition chrétienne, Dieu lui commande, alors qu’il a près de 30 ans, d’aller au désert afin de s’y préparer. Il y mène une vie rude, ascétique, enseignant la rigueur, la pénitence, et prêchant le repentir et la confession des fautes.
Jean – Johanan propose aux pêcheurs de les baptiser, en vue de leur rémission. L’histoire se souviendra de lui sous le nom de Jean le Baptiste car il proposait la purification par l’eau, qui symbolisait pour lui la purification morale qu’il faut rechercher par une véritable conversion de son cœur et de son âme. Il annonce à ceux qu’il baptise ainsi qu’un autre viendra bientôt, plus puissant que lui, qui sera le Messie et qui les baptisera non seulement dans l’eau, comme lui-même le fait pour leur salut, mais dans ce qu’il appelle l’Esprit Saint.
Et un matin, son parent Yeoshoua se présente avec une foule de candidats pour recevoir le baptême collectif. Jean-Johanan proclame alors à la foule que le Messie, le Rédempteur, est là, et qu’il faut le suivre.
Jean-Baptiste continue de prêcher avec rigueur, tout en s’effaçant peu à peu devant Jésus, qui se met à baptiser à son tour, et à faire de plus en plus de disciples.
Le gouverneur-roi Hérode Antipas, agacé par ces guides spirituels qu’il tient pour des agitateurs et qui craint qu’ils ne profitent de leur ascendant sur le peuple pour fomenter une sédition, fait arrêter Jean – Baptiste et le fait enfermer dans une forteresse sur les bords de la Mer Morte, avant finalement de le faire décapiter.
Parmi ses disciples, qu’on appelait les Esséniens, arrêtons-nous sur un autre Johanan, fils de Zébédée et qui deviendra l’Evangéliste.
Jean était un pêcheur du lac de Tibériade, vivant avec sa famille dans une petite localité du nom de Capharnaüm.
Lorsqu’ils entendent Jean-Baptiste proclamer que Jésus est le Messie Rédempteur, l’Agneau de Dieu, Jean et son frère Jacques décident d’abandonner leurs filets et de devenir pêcheurs d’âmes, en se mettant au service du nouveau Maître.
Et de tous ses disciples, c’est Jean que Jésus, si l’on en croit les Evangiles, aimait le plus.
Jean devait survivre de longues années à Jésus. Il semble qu’il se serait fixé à Ephèse, capitale de l’Asie mineure romaine. Après diverses vicissitudes, il aurait été un temps déporté à Patmos, où il rédigea probablement son premier ouvrage majeur, l’Apocalypse. Il revint finir sa vie à Ephèse, où l’on vénère aujourd’hui encore son tombeau. C’est là qu’il aurait écrit le livre aujourd’hui considéré comme Evangile canonique.
Que Jean ait écrit de sa main la totalité des écrits qu’on lui attribue, à dire vrai, peu importe, puisqu’ici aussi tout est symbole.
Le livre auquel nous nous référons est la résultante d’une tradition que chacun s’accorde à considérer comme d’inspiration johannique. Il développe, par sa manière d’évoquer la mort et la renaissance, l’alternance de la Lumière et des ténèbres, le cycle de leur lutte incessante, qui articule toute la démarche à laquelle se vouent les Francs-Maçons de REAA.
Revenons, si vous le voulez bien sur ce que dit l’Evangile de Jean, et singulièrement sur le sens qu’il faut donner à son Prologue.
Je dois à cet égard insister sur le fait que les quelques phrases auxquelles nous nous référons ne font aucune référence à Jésus, ni plus généralement à rien qui soit spécifique de la foi chrétienne. Elles sont une reprise du début de la Genèse, Bereshit, ce qui signifie précisément « Au commencement ».
Que dit en effet le Prologue du Livre de Jean ?
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement avec Dieu.
Tout a été créé par lui, et rien de ce qui a été créé ne l’a été sans lui.
En lui était la Vie, et la vie était la Lumière des hommes.
La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise »
Que puis-je comprendre de ce texte ?
D’abord que la Parole est créatrice du monde. C’est le grand symbole du souffle primordial, celui que les Dogons du Mali ou certaines tribus du Mexique identifiaient comme le souffle qui anime l’univers à son commencement. Le vieux symbole de l’anima.
Celui qui au tout début de la Genèse, le premier livre de l’Ancien testament, planait à la surface de l’abîme au sein des ténèbres, jusqu’à ce que Dieu dise « Que la lumière soit » et que la lumière fût.
Qui souffle ainsi sinon le Grand Architecte de l’Univers, celui-là même qui a conçu le projet du monde et qui lui donne mouvement, c’est-à-dire Vie ?
Dieu est-il le Grand Architecte de l’Univers ? Il suffit de considérer que dire “Dieu” ne veut pas nécessairement dire “religion”, “dogme” ni “pratique religieuse”. Convenons donc ensemble que « Dieu » est l’une des manières, la manière religieuse, ou plutôt déiste, de nommer le Grand Architecte. C’est ce que l’on appelle le déisme, par opposition au théisme, qui comporte la croyance en un Dieu révélé.
Pour les théistes, Dieu a une existence personnelle et une action dans l’univers. Contrairement à la vision déiste, le théisme affirme clairement l’ingérence du divin dans les affaires humaines, ingérence qui peut être directe, ou passer par des intermédiaires (prophètes et institutions religieuses).
Le déisme affirme l’existence d’un dieu et son influence dans la création de l’univers, sans pour autant s’appuyer sur des textes sacrés ou dépendre d’une religion révélée.
Le déisme prône une « religion naturelle » qui se vit par l’expérience individuelle, et permet au croyant d’avoir une relation directe avec Dieu, par la prière spontanée, la méditation, ou la réflexion.
Pour la pensée déiste, Dieu, « l’Architecte suprême », a un plan pour l’Univers sans pour autant intervenir dans le détail des affaires humaines, mais qui s’exprime au travers des grandes lois naturelles qui régissent l’Univers. Dieu est ici l’Absolu, universel et intemporel.
Il n’y a aucune incompatibilité entre le fait de croire en Dieu, quelle que soit sa religion, et le fait d’adhérer au principe créateur, Grand Architecte de l’Univers. Il n’y a pas non plus incompatibilité entre le fait de ne pas croire en Dieu et le fait d’adhérer au Grand Architecte de l’Univers, principe créateur.
Voici donc en tous cas que pour nous, comme l’a affirmé le Convent de Lausanne en 1875, le Grand Architecte est proclamé comme le Principe qui a animé le monde, qui lui a donné mouvement et sens, qui a engendré l’évolution qui conduit à la vie telle que nous la partageons et qui nous donne l’occasion et le moyen de nous interroger sur l’Univers dont nous participons à notre échelle infinitésimale et pourtant incommensurable.
Tel est le sens du Principe créateur qu’évoque, pour tout Franc-Maçon de REAA, le prologue de Jean. Au-delà même de la Religion naturelle, du Noachisme, un principe qui a pour dimension l’Absolu, l’Universel, le Un-Tout.
Dès lors, quelle que soit notre Foi personnelle, nous pouvons ici faire nôtre sans dogmatisme aucun, en toute liberté, le contenu de Prologue de l’Evangile de Saint Jean.
Le Prologue de l’Evangile de Jean proclame la gloire de ce que nous traduisons comme le Verbe de Dieu. En fait, le mot employé dans le texte grec original est Logos, ce qui signifie la Parole, mais aussi la Raison. Dans ce monde gréco-romain, les deux idées étaient conjointes, au sens où une parole dénuée de raison n’est qu’un vain bruit.
Or on sait que les stoïciens faisaient de la raison, d’inspiration divine, l’âme, le fondement même de l’Univers.
Quant à l’emploi du mot “theos”, traduit par Dieu, une acception plus ésotérique, proposée il y a quelques années par le Souverain Grand Commandeur du SCDF Hubert Greven, conduit à le comprendre comme “La Lumière”.
« Au commencement était la Parole, et la Parole était accompagnée de la Lumière, et la Parole était la Lumière »
De fait, de nombreux auteurs antiques assimilaient déjà volontiers la parole divine à l’éternelle sagesse, celle-là même par laquelle est créé et gouverné le monde, celle là même qui dirige, enseigne et protège les hommes.
Pour Philon d’Alexandrie, au 1er siècle, le Logos serait un être spirituel intermédiaire entre Dieu et sa création. C’est de ce positionnement, entre créé et incréé, que devait naître la gnose.
Le Prologue de Jean amène une vision plus simple, plus directe.
Le Verbe est pleinement divin, puisqu’il est contemporain de Dieu, de génération divine.
Mais le Verbe est aussi totalement humain, puisqu’il est incarné.
Ainsi, l’humanité est-elle projetée en son créateur comme le créateur est projeté en elle.
Le Grand Architecte et sa construction ne font qu’un.
Il est temps de conclure pour revenir à nos Loges, en nous interrogeant sur le sens de la filiation johannique dont nous nous réclamons.
Il faut noter, au passage, que l’appellation de Loge de Saint-Jean est essentiellement une spécificité de la maçonnerie française ou d’inspiration française et même du Rite Ecossais Ancien et Accepté français.
L’Evangile de Saint-Jean, en revanche, semble largement plus répandu. Il est mentionné dès la fin du 17ème siècle, puisque le Manuscrit d’Edimbourg, qui date de 1696, énonce que « le Maçon doit prêter serment sur Saint-Jean ».
Dans le Manuscrit Sloane, qui date de 1700, il est dit que la Loge s’est réunie « dans une chapelle dédiée à Saint Jean ».
Dix ans plus tard, le manuscrit Dumfries indique que les maçons doivent célébrer leur unité en se réunissant chaque année à la Saint Jean. C’est ce que rappellent les Constitutions d’Anderson de 1723, qui précise que les Maçons doivent se réunir lors de l’une des deux saint Jean pour élire le Grand Maître, un Député et deux Surveillants.
Enfin, en 1730, Samuel Pritchard publie un ouvrage dans lequel il déclare que « les Loges sont dites de saint Jean parce que Saint Jean Baptiste, le précurseur du sauveur, traça le premier parallèle à l’Evangile ».
En 1736, avançant une autre hypothèse, le chevalier écossais Andrew Michael Ramsay, souvent considéré comme le père de l’écossisme maçonnique, écrit que les Loges prirent le nom de Loges de saint Jean car l’ordre maçonnique était uni aux chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, c’est-à-dire aux chevaliers de Malte et, indirectement, aux Templiers.
En tout état de cause, la Maçonnerie française introduisit dans ses rituels d’initiation dès 1745 le serment prêté sur l’Evangile de Saint Jean, qui doit être embrassée par l’impétrant devant les frères assemblés.
Notre Ordre tire selon toute vraisemblance ses origines d’une tradition vieille de deux millénaires. Deux ou trois décennies avant que ne naissent nos deux Saint Jean, des charpentiers, des maçons, des décorateurs de toutes sortes agrandirent le Temple de Jérusalem, à l’initiative du roi Hérode. C’est à partir de leur savoir que s’est cristallisé l’essentiel de ce qui s’est transmis ensuite aux compagnons bâtisseurs de cathédrales avant de servir de source d’inspiration et de cadre aux fondateurs de la Franc-Maçonnerie spéculative.
Saint-Jean le Baptiste a énoncé la valeur de la vertu, de la rigueur, du respect des autres et de soi-même.
Son disciple Saint-Jean l’Evangéliste a mis dans la bouche du Christ avec plus d’emphase qu’elle n’en avait dans l’Ancien Testament, au chapitre 19 du Lévitique, ce fondement de l’harmonie entre les hommes : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Tel est le sens de l’héritage de Saint Jean que nous pouvons partager, au-delà de nos différences et parfois de nos divergences, ces oppositions nécessaires et fécondes comme le dit le rituel d’installation du collège des officiers de nos Loges.
Respect et Amour de l’Autre, mais aussi de soi-même, sont au cœur de l’engagement maçonnique.
Des valeurs universelles qui sont les fondements du comportement d’un Franc-Maçon de Rite Ecossais Ancien et Accepté.
Des vertus renvoyant aux éléments fondateurs qui sont le patrimoine commun de tous les Francs-maçons répandus à la surface de la Terre.
Qu’il me soit permis d’ajouter un insigne détail historique : La présence de l’Évangile de Jean est mentionné en 1737 dans la divulgation du lieutenant de police Hérault, choqué de ce qu’il considérait comme une profanation de l’Évangile : «On a este indigné de voir qu’au milieu des puérilités, des indécences et même des choses irréligieuses de cette réception, on fasse prêter serment sur l’Évangile de Saint- Jean».