jeu 19 décembre 2024 - 14:12

Magnétisme et révolution

« La révolution est une conscience collective qui se manifeste comme un champ magnétique, qui attire les gens vers une nouvelle vision du monde. »

(Anonyme.)

Avant de continuer notre chemin sur l’étude des rapports entre la FM, le magnétisme, puis l’hypnose et après avoir vu que les liens tissés entre eux étaient solides au 18e siècle, on ne peut que faire une halte sur la période révolutionnaire et post révolutionnaire.

Nous savons que le magnétisme animal, théorie développée par Franz Anton Mesmer, a eu un impact significatif sur la société française et donc sur les révolutionnaires à la fin du 18e siècle. Le mesmérisme offrait une explication des aspirations des Français lettrés à la veille de la Révolution. Il proposait une vision du monde basée sur l’harmonie universelle et sociale, qui résonnera avec les idéaux révolutionnaires. Cette harmonie, nom patronyme d’ailleurs de nombreuses loges,trouve ce lien expérimental dans le magnétisme animal, véritable énergie de cohésion.

De plus Puységur figure centrale (étudié par ailleurs) utilisait de simples paysans pour leur faire découvrir de nombreux talents cachés grâce au somnambulisme.
Ce don magnétique n’appartient plus à une classe sociale ou à un clergé mais est largement partagé.

” Egalité” parfois ton nom se cache sous de drôles d’expérimentations

Le magnétisme animal remettait aussi en cause l’autorité de la science et de la médecine officielles, ce qui le rendait attrayant pour ceux qui cherchaient à défier l’ordre établi.
Les condamnations du mesmerisme par les commissions royales ne feront que renforcer la critique du pouvoir établi.

Nicolas Bergasse

Certains disciples de Mesmer, comme Nicolas Bergasse, ont donné une dimension politique au magnétisme animal. Ils ont transformé un simple moyen de guérison en un outil de lutte contre le despotisme, conçu comme une thérapie sociale.

Bergasse était proche de milieux maçonniques et participait à des sociétés intellectuelles de l’époque, notamment la Société de l’Harmonie Universelle fondée avec Guillaume Kornmann en 1783. Plus tard dans sa vie, il deviendra un opposant déclaré à la franc-maçonnerie. Sous la Restauration, il “combattra la franc-maçonnerie et l’esprit révolutionnaire”.

Il a été cependant initialement impliqué dans des mouvements intellectuels progressistes, collaborant avec des personnalités comme Brissot et Clavière qui, ensemble, ont élaboré des projets de réforme de l’ordre politique et social de la monarchie française et développé une vision républicaine influencée par la Révolution américaine, mettant l’accent sur la souveraineté populaire et la réforme constitutionnelle.

Société de l’Harmonie Universelle

La Société de l’Harmonie Universelle était une organisation fondée par Franz Anton Mesmer en 1783 à Paris pour propager sa doctrine du magnétisme animal est devenue un lieu de rencontre pour de nombreux futurs révolutionnaires, servant de plateforme pour la diffusion d’idées progressistes. Elle servait à la fois d’entreprise commerciale, d’école privée et de loge maçonnique et attirait des membres illustres de Paris et de la Cour, comme les Noailles, les Montesquiou, et le Marquis de Lafayette. Elle comptait parmi ses membres Armand Marc Jacques de Chastenet de Puységur et ses deux frères..Des sociétés filiales ont été établies en province, notamment à Strasbourg, Bordeaux, et Saint-Domingue. Comme le mouvement mesmériste elle a connu des divisions internes et des fractures avec ses filiales provinciales. C’est ainsi que Mesmer a rompu avec Bergasse, Kornmann et d’autres membres influents,étroitement liés aux cercles maçonniques et mesméristes reflétant des divisions politiques.

Les polémiques autour du magnétisme animal ont contribué à stimuler le débat public et la remise en question des institutions, préparant ainsi le terrain pour les changements révolutionnaires.Cependant, il est important de noter que Mesmer lui-même était apolitique et s’est distancié des interprétations politiques de sa théorie.

La relation entre le magnétisme animal et la Révolution française reste un sujet d’étude pour les historiens, comme en témoignent les travaux publiés dans les Annales historiques de la Révolution française. En tant que période de profondes recompositions des tissus politiques et des repères socio-culturels, la Révolution française et la période napoléonienne sont riches en réflexions sur cette notion d’harmonie.

Au cours de la Révolution, de nombreux acteurs mobilisent dans leurs discours la notion d’harmonie aux côtés de celle de convulsions, également présente dans le lexique mesmériste.

Au-delà même du groupe des mesméristes siégeant à l’Assemblée constituante, qui reprennent les mots clefs de Mesmer dans leurs lexiques, qu’il s’agisse du système juridique ou de la circulation du papier monnaie *, la notion semble alors propice à questionner les moyens de garantir l’équilibre politique et social.

*Bien que le papier-monnaie et le mesmérisme semblent sans rapport direct, ils illustrent tous deux l’esprit d’innovation et d’expérimentation qui caractérisait le Siècle des Lumières en France. Ces deux phénomènes ont suscité à la fois enthousiasme et controverse, reflétant les changements rapides dans la pensée économique et scientifique de l’époque.
D’autre part le papier monnaie est bien un fluide qui circule entre les hommes

La notion d’harmonie se répand : on la retrouve dans des noms de clubs ou de sociétés politiques proches des Jacobins (comme celle « de l’harmonie sociale des sans-culottes ») à Paris comme dans les départements.

Vivier théorique particulièrement hybride, le mesmérisme sert alors de répertoire de notions à ceux qui, sans forcément se revendiquer du magnétisme animal, tentent de comprendre et d’interpréter cette rupture brutale et inattendue qu’est la Révolution.

Jean Delormel est principalement connu pour son ouvrage “La Grande Période”, publié en 1790, 1796 et 1805, dans lequel il développe une théorie de l’harmonie universelle et du progrès.

Cette théorie présente des similitudes avec certaines idées circulant dans les milieux maçonniques et mesméristes de l’époque,avec l’idée d’une harmonie générale, d’un principe unificateur du monde et la notion de progrès et d’avancement vers un âge d’or.

Pour Delormel c’est donner sens à la Révolution : selon lui, la Révolution constitue une rupture dans une tendance de fond de régénération qui doit prochainement aboutir à rétablir l’harmonie terrestre définie par la rotation de la terre sur un axe vertical. (il finira par soutenir l’Empire )
C’est encore en se revendiquant d’une sorte de projet utopique de communication universelle, seul moyen d’accéder à l’harmonie, qu’il justifie en 1795 son projet de créer une langue universelle.

Sous le Directoire

les membres de la nébuleuse des Idéologues, qui dominent la Classe des sciences morales et politiques, semblent très hostiles au magnétisme animal.
La Classe des sciences morales et politiques a été créée en 1795 au sein de l’Institut de France nouvellement fondé.

Elle visait à étudier “l’homme moral et sa vie en société” et devait mener des études et fournir des avis au gouvernement (Supprimée en 1803 par Napoléon Bonaparte et restaurée en 1832 sous le nom d’Académie des sciences morales et politiques par François Guizot ).

Il semble que, « pour sortir de la Terreur », il convient de dénoncer les charlatans qui, comme Mesmer, ont pu dévoyer l’ordre de la raison et entraîner la barbarie.

D’autres scientifiques sont moins hostiles aux idées mesmériennes

A l’exemple des médecins Pierre-Jean-Georges Cabanis ou Philippe Pinel (libération des chaînes des malades psychiatriques), dont les théories sont indéniablement influencées par les idées, d’autres cosmologies s’appuyant sur le magnétisme animal pourrons occuper un rôle important au cours de la période.

Pierre-Jean-Georges Cabanis (1757-1808) était franc-maçon, membre de la loge des Neuf Soeurs, qu’il a rejoint vers 1778-1779, à l’époque où Benjamin Franklin en était le vénérable. La loge des Neuf Soeurs comptait parmi ses membres d’autres intellectuels et philosophes des Lumières, comme Voltaire et Condorcet. Cabanis aura conservé son affiliation maçonnique tout au long de sa vie, malgré ses engagements politiques et scientifiques variés.

Il suffit aussi par ailleurs de se tourner vers certains des membres « oubliés » ou jugés encore trop souvent comme isolés de la Classe pour constater que la notion d’harmonie reste très présente au sein de celle-ci

De Jacques Henri-Bernardin de Saint-Pierre à Pierre Samuel Dupont de Nemoursen passant par Nicolas Edme Restif de la Bretonne ou Jean-Baptiste Claude Delisle de Sales, on constate que, si aucun de ces hommes de lettres ne se revendique explicitement de Mesmer et du magnétisme animal, ils utilisent tous la notion d’harmonie pour proposer des cosmologies qui les éloignent de celle des Idéologues.

Il s’agirait, pour ces auteurs, de tenter, en tenant à distance la religion catholique, d’inventer une nouvelle « religion » naturelle (bonjour Anderson) qui aurait pour objet de reconstruire (dans le contexte politique et social de l’Empire puis de la Restauration) de nouveaux rapports sociaux, de proposer (face aux Idéologues et aux catholiques) les voies de nouvelles « harmonies » politiques, sociales et culturelles.

La période impériale

Parmi les nouveaux « patrons » et hommes forts de l’espace savant sous le Consulat, Georges Cuvier les prend pour cibles, les ravalant au rang d’aberrations ou de « rêveries » et s’attaque à leurs auteurs, qui passent, à ses yeux, pour des charlatans.

Mais après une période de mise en retrait sous la Révolution en particulier la terreur, la période impériale est cependant marquée en effet par une véritable réinterprétation des thèses sur le magnétisme animal et de ses pratiques thérapeutiques, principalement par le biais de la promotion du « sommeil magnétique » ou « somnambulisme ».

Ce mouvement sera orchestré par deux acteurs majeurs dans l’histoire du magnétisme au début du XIXe siècle : le ci-devant Amand-Marie-Jacques de Chastenet, marquis de Puységur (1751–1825) et Joseph-Philippe-Franc?ois Deleuze (1753-1835).

La restauration

Le marquis de Puységur a fait connaître dès 1784 les phénomènes exceptionnels remarqués chez des sujets qui, au cours d’un traitement magnétique, tombent dans un état de sommeil lucide.

Ces sujets, toujours susceptibles d’être influencés par les suggestions du magnétiseur, semblent jouir de facultés extraordinaires de clairvoyance qui incluent des formes de télépathie, de vision à distance, de prévision du futur. Ils sont en outre susceptibles d’une application thérapeutique singulière, car Puységur attribue aux somnambules la capacité de diagnostiquer les maladies des patients avec qui ils (ou surtout elles) sont placés en « rapport », de prescrire les remèdes et de pronostiquer leurs effets.

En ouvrant le premier volume des Annales du Magnétisme Animal, Sarrazin de Montferrier souligne ainsi le parallèle entre le rétablissement de la Monarchie et la renaissance du magnétisme, dont l’oubli est présenté comme un effet de la Révolution et de la période d’anarchie et de guerres qui a suivi :

Une révolution politique aussi étonnante que celle qui vient de rendre le trône de France à son légitime Souverain doit influer nécessairement sur la tendance philosophique de la nation. La guerre, ce fléau dévastateur qui replonge les hommes dans la barbarie, s’est enfin éloignée de nos belles contrées ; des soins plus nobles et plus doux en vont occuper les habitants : les arts, les sciences, tout ce qui tend à élever l’homme intellectuel, vont répandre de nouveaux bienfaits sur la France.Quel instant plus favorable pour rappeler l’attention publique sur une des découvertes les plus importantes pour l’humanité : le Magnétisme animal ? Le temps de l’anarchie est passé ; le bruit des armes n’écartera plus l’homme pensant de l’étude de lui-même et le développement de sa plus noble faculté ne peut que l’intéresser vivement.

Alexandre André Victor Sarrazin de Montferrier (1792-1863) était un mathématicien et journaliste français, auteur d’ouvrages mathématiques, notamment le “Dictionnaire des sciences mathématiques pures et appliquées” publié en 1845.

Le retour du magnétisme animal s’accorde avec le mouvement général de la Restauration, ce qui se traduit aussi par l’abandon d’une théorie aux fortes implications matérialistes au profit d’une théorie psychologique susceptible d’être interprétée en termes spiritualistes, ainsi que par un changement de la pratique thérapeutique : plutôt que de passer par des secousses violentes pour soigner les malades et rétablir la santé, le traitement est fondé, conformément à la théorie psychologique, sur la mise en état de sommeil du sujet par la force de la volonté du magnétiseur, dispositif à l’image des principes d’ordre, de calme et de hiérarchie promus par la monarchie restaurée.

La conception de l’harmonie véhiculée par le magnétisme animal se prête, du reste, à des lectures politiques différenciées, y compris celles, conservatrices où réactionnaires, de Bergasse, cet ancien patient de Mesmer qui a terminé sa carrière comme théoricien de la Sainte-Alliance, ou de Joseph de Maistre

Comme déjà cité Bergasse était proche de certains cercles maçonniques et mesméristes dans les années 1780. Il faisait partie des “milieux qui dominent la Grande Loge lors de la rédaction des Constitutions”.

Son frère, Georges Bergasse de Laziroules, a été reçu franc-maçon en 1790.
Bergasse était lié à des figures importantes de la franc-maçonnerie de l’époque, comme Jean-Baptiste Willermoz, un “négociant lyonnais et figure européenne de la Franc-maçonnerie du XVIIIe siècle”.

Bientôt un nouveau nom pour le magnétisme va apparaître.

L’hypnose, puisqu’il faut l’appeler par son nom, va essayer de gommer les scories fluidiques et spiritualistes du magnétisme avec plus ou moins de succés. Il n’en reste pas moins vrai que, en France et ailleurs, le magnétisme animal continue d’alimenter la chronique mondaine et les débats médicaux et scientifiques tout au long du XIXe siècle tandis que la FM se cherche oscillant entre pouvoir, religion,matérialisme.

Notre chemin va bientôt s’attarder sur cette période.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Jean-Luc Elissalde
Jean-Luc Elissalde
Psychiatre libéral durant 40 ans, Franc-maçon au GODF depuis 38 ans, enseigne à la faculté de médecine de Marseille notamment la psychiatrie adulte et enfants et actuellement l'hypnose médicale. Les centres d'intêret sont multiples : l'étude du mentalisme de spectacle, l'IA, la chanson, l'écologie avec des projets de replantation forestière à Barbentane...

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

Abonnez-vous à la Newsletter

DERNIERS ARTICLES