dim 15 décembre 2024 - 07:12

Tous les corps de métier étaient (très) bien représentés !

 (Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)

N’allez pas croire que, quand on leur parle de Notre-Dame, tous les francs-maçons, comme un seul homme, se mettent à sonner le tocsin ! Il y en a, certes, à qui la cathédrale file le bourdon mais c’est plutôt qu’ils sont allergiques à sa prélature. Pour le reste – et, je l’espère, pour le plus grand nombre –, l’église, même désertée, a encore sa place au milieu du village : les querelles d’autrefois sont enterrées.

La messe est dite ! Les chrétiens, catholiques et protestants confondus – les premiers ayant depuis longtemps majoritairement rattrapé les seconds –, sont de bons républicains, zélés défenseurs de la laïcité. Certes, vous trouverez des exceptions. Elles sont plutôt marquées à droite et, quand je dis à droite, je devrais préciser : « très à droite ».

À l’instar de ces complotistes[1], qui regroupent tout un pan des énervés de notre époque, qui voient la main du diable dans la restauration de ce haut édifice du culte. Pour preuve, le pavement du sol en damier… restauré exactement comme il était à l’origine ! Il faut dire que la franc-maçonnerie qui aide ses adeptes à réfléchir à partir d’éléments symboliques puisés dans leur culture prête généreusement le flanc à la critique.

Tenez, par exemple, ceux qui auront vu l’exposition : « Le chantier de Notre-Dame de Paris et ses métiers », qui déployait ses planches de bande dessinée en grand format le long des palissades du chantier, rue du Cloître Notre-Dame[2] – pour peu qu’ils aient été instruits de quelques « secrets maçonniques » des plus répandus… – ceux-là n’auront pas manqué d’y relever cette formule bien sentie qui, au moins pour partie, leur était familière : « Demandez, et vous recevrez ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira. » Faudrait-il, alors, que les chrétiens renonçassent à citer l’évangile de Matthieu en 7:7-12, pour éviter toute confusion avec ces imposteurs maléfiques qui s’en inspirent, au sein de leurs confréries de libres penseurs ? Je le dis, à dessein, avec une ironie passablement grinçante car la réalité est plus glaçante encore : la condamnation de la franc-maçonnerie, moult fois répétée de siècle en siècle, par l’Église catholique, apostolique et romaine[3] n’a-t-elle pas donné libre cours à de stupides aveuglements voire à des débordements nauséeux ?

Or, mes bons amis, la franc-maçonnerie ne cesse de rendre de fiers services aux églises, en jetant des ponts[4] avec les préceptes de sagesse qu’elles enseignent… à défaut de toujours les suivre (pas plus, d’ailleurs, que les francs-maçons ne se montrent dignes de leurs principes, en toutes circonstances). En se livrant à des exégèses symboliques, ces derniers, en quelque sorte, « y ajoutent foi », à ceci près qu’ils ne la présupposent pas… et qu’il est loisible à chacun de s’en rapporter, en son for intérieur, aux croyances et aux convictions qui lui appartiennent et ce, en ayant soin de ne point blesser la sensibilité d’autrui ni de briser l’harmonie de tous. S’ils restent dans les limites prescrites en s’exprimant en loge, ils ne s’interdisent pas, dans leurs sentiments intimes, d’aller… « au-delà ». (C’est toute l’importance de la laïcité, soit dit entre parenthèses mais en y insistant tout de même un peu, tant la nécessité d’une sphère privée semble de plus en plus échapper aux exigences de la vie collective… avec les funestes conséquences que l’on déplore déjà et toutes celles que, malheureusement, l’on peut entrevoir !)

Les francs-maçons qui cultivent, « par construction », le vivre-ensemble (ce mélange de coexistence et de convivialité) cherchent à définir des voies communes à partir de ressentis et de raisonnements divers. Pour autant et sauf exceptions, ils n’ont pas un goût immodéré à se perdre en nuances infinies. En revanche, dans leur ensemble, ils mettent une obstination inébranlable à obtenir des équilibres subtils.

Équilibres subtils, comme ceux de la Rose Sud et de la Rosace occidentale (au-dessus de l’orgue), symboles de la Vierge mais aussi de la Création dans sa totalité, métaphores de l’amour divin et de la victoire sur la mort, dans un complexe entrecroisement de droites et de courbes et un entremêlement de couleurs qui, selon les siècles, ont varié dans leurs dominantes et leurs symboliques. Rosaces qui concentrent en leur cœur les effets du tracé régulateur de la cathédrale, en ce qu’il opère, dans son jeu multiple et permanent de proportions et de correspondances, une osmose entre l’homme, le temple et le sacré[5].

Revenons-en à nos moutons… ou plutôt à nos « loups », comme on voudra et comme on dit : « il y a un loup ! » Posons-nous tout à trac la question, à la façon de Jacques Chancel[6] : « Et la franc-maçonnerie dans tout ça ? »

Eh bien, tout d’abord, il ne faudrait pas confondre franc-maçonnerie et compagnonnage. S’il existe des similitudes, le compagnonnage n’est pas l’ancêtre de la franc-maçonnerie[7]. Ce sont des voies distinctes. Certains symboles sont, toutefois, utilisés concurremment ; c’est pourquoi on peut les trouver représentés ou sculptés dans des ornements ou des fresques. La franc-maçonnerie spéculative ne datant tout au plus que de 1717, on ne peut guère en faire remonter l’influence à des siècles bien plus reculés. En revanche, cette fraternité opérative qu’est le compagnonnage n’a cessé d’œuvrer sur les chantiers, dès le Moyen-Âge. Il n’y a rien d’obscur ni d’anormal à en retrouver trace.

Aussi bien, au risque d’une expression d’un assez mauvais goût, au sujet d’une cathédrale considérée comme une demeure du Christ, je n’hésiterai pas à enfoncer le clou, en observant avec humour que tous les compagnons, les artistes et les ingénieurs qui ont contribué au chantier qui vient de s’achever étaient loin d’être tous maçons : tous les corps de métier étaient (très) bien représentés !


[1] Ils ont défrayé la chronique, comme ils le font assez ridiculement voire dangereusement sur maint sujet. Pour une illustration sur celui-ci, cliquer ici.

[2] Pour se rendre sur le site dédié, cliquer ici. Pour une vue complète de l’ampleur de ce chantier et des talents qu’il a fallu réunir et coordonner (80 métiers différents, 2000 personnes et 250 entreprises pour 6000 m² à restaurer), on pourra lire avec fruit, tout en admirant plus de deux cents photographies : Mathieu Lours, Rebâtir Notre-Dame de Paris : Le livre officiel de la restauration, Tallandier, nov. 2024, 24×32, 304 p., 49,90 €. On trouvera, par ailleurs, la liste des articles que ce Journal a consacrés à Notre-Dame de Paris sur cette page.

[3] On lira avec fruit la sobre et brillante synthèse que fait de cette question le R.P. Jérôme Rousse-Lacordaire, o.p., en cliquant ici.

[4] Petit clin d’œil malicieux à la notion de pontife que l’on retrouve dans le Souverain pontife (Summus pontifex : pontife suprême), titre réservé au Pape, signifiant, selon l’étymologie la plus couramment reçue, « celui qui fait le pont [entre Dieu et les hommes] », au sens où le suffixe -fex (« qui fait ») est accolé à pons (« chemin, pont ») ; mais certains interprètent plus modestement l’expression comme désignant un « guide », c’est-à-dire « celui qui montre le chemin ».

[5] Je tiens à rendre ici hommage à mon Frère François Jeantelot pour sa planche précise et lumineuse, intitulée : « 8 décembre », qu’il a lue en loge, le 5 de ce mois. Même si cet édito en restitue assez peu les apports, c’est elle qui, plus que l’actualité elle-même, en a déterminé le thème.

[6] Jacques Chancel, dont la voix historique s’est éteinte le 22 décembre 2014, il y a dix ans déjà, anima, sur France Inter, du 5 octobre 1968 jusqu’en 1982, puis de 1988 au 5 janvier 1990, une émission d’une heure, intitulée : « Radioscopie », où il recevait le plus souvent un seul invité connu du grand public à un titre ou à un autre. Il produisit ainsi 2 878 émissions totalisant 3 600 invités. Il resta célèbre pour une question culte… qu’il ne posa, cependant, qu’une seule fois, le 8 février 1978, mais c’était à Georges Marchais, alors secrétaire général du Parti communiste français, et d’une façon aussi lapidaire qu’inattendue : « Et Dieu dans tout ça ? » S’il a pu y avoir quelque moquerie, de la part de certains, dans ce souvenir si souvent ressassé, je n’en reprends ici la tournure qu’avec amusement, confessant mon immense admiration pour cet immense « confesseur des ondes ».

[7] Pour mieux comprendre la spécificité du compagnonnage, je vous incite à écouter ou à réécouter, grâce au lien cliquable sur son titre, cette fort intéressante émission datant de 1992 :« Parole de compagnon », reprogrammée, la dernière fois, sur France Culture, le 2 août 2024. 

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Christian Roblin
Christian Roblin
Christian Roblin est le directeur d'édition et l'éditorialiste de 450.fm. Il a exercé, pendant trente ans, des fonctions de direction générale dans le secteur culturel (édition, presse, galerie d’art). Après avoir bénévolement dirigé la rédaction du Journal de la Grande Loge de France pendant, au total, une quinzaine d'années, il est aujourd'hui président du Collège maçonnique, association culturelle regroupant les Académies maçonniques et l’Université maçonnique. Son activité au sein de 450.fm est strictement personnelle et indépendante de ses autres engagements.

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