De notre confrère belge rtbf.be – Par Josef Schovanec
Il y a 300 ans, en l’an de grâce 1723, paraissait un texte étrange qui devait avoir des conséquences probablement bien plus grandes que n’importe quel autre manifeste public : les Constitutions des francs-maçons. Leur auteur véritable (car oui, ce n’était pas dit explicitement) était un Ecossais singulier, un certain James Anderson. Le texte fut rapidement traduit dans toutes les langues et acquit un statut de mythe fondateur pour tous les Francs-maçons jusqu’à aujourd’hui. Qui était-il et que raconte ce texte ?
On connaît les éléments autour de l’organisation des francs-maçons et leur histoire. Par contre, peu nombreux sont ceux qui s’intéressent réellement à leur fondateur Anderson. Ou qui ont réellement lu les Constitutions – sans parler des autres œuvres d’Anderson.
Un ami qui a dédié sa vie à l’étude de l’histoire de la franc-maçonnerie m’a avoué qu’Anderson le rendait perplexe, qu’il sentait quelque chose de bizarre.
James Anderson, d’abord un passionné de généalogie
Et ce n’est pas peu dire. À la base, Anderson était passionné par autre chose que la maçonnerie : la généalogie. Ouvrir l’un de ses traités de généalogie, par exemple ses Généalogies Royales, est matériellement difficile : le document pèse 8 Go, il s’agit d’une sorte de compilation d’un volume assez inhumain de noms de gens, depuis l’aube des temps jusqu’à aujourd’hui, exposant leurs relations entre eux. Un effort assez inouï de rationaliser l’arbre généalogique de quasiment toute l’humanité. Les rares lecteurs contemporains ne peuvent que ressentir ce mélange d’effroi face à la masse d’érudition et la sensation désagréable de lire des âneries. Un peu ce que l’on ressent parfois face à ce que l’on appelle à tort l’art dit brut : autant on admire l’œuvre, autant on se dit dans son for intérieur, à tort bien sûr, que l’auteur devait avoir un problème.
The Three Great Lights, the masonic symbols © Frans Sellies
“Les Constitutions” des francs-maçons, un surplus indigeste d’érudition
Et dans les Constitutions des francs-maçons d’Anderson, c’est un peu le même principe. À l’époque, il y avait beaucoup de livres ou d’opuscules plus ou moins ésotériques qui paraissaient : c’était un genre littéraire à part entière, de qualité très variable. Mais là, face aux Constitutions, on comprend d’emblée que l’on sort du lot commun : dans une masse totalement indigeste d’érudition, à la fois géniale et puérile, où l’auteur se sent tenu d’expliquer la taille et le diamètre de telle colonne de tel palais d’Orient, on sent l’étrangeté de l’auteur.
L’autre aspect tout à fait autistique de l’œuvre d’Anderson est qu’il ose relire toute l’histoire du monde avec son centre d’intérêt. Si on vous parle d’Auguste, l’empereur romain, il ne viendrait à l’idée de personne de lui donner un autre titre. James Anderson, de son côté, le présente candidement comme maçon, puisqu’il construisait, et grand-maître de la loge de Rome, vu qu’il avait du pouvoir. Et ainsi de suite. La vie d’Anderson est également savoureuse, vu qu’il était mauvais en affaires et enchaînait les faillites – le comble pour un Ecossais de l’époque. Et il s’entourait de gens qui étaient à son image… mais c’est encore un autre sujet.
Le symbole
Bref, l’innovation vient tant des forces que des problèmes des humains bizarres. Ma faiblesse préférée d’Anderson est ailleurs : dans ses Généalogies, il explique, tout gêné, qu’il utilise un symbole pour désigner un humain dont il ne parvient pas à tracer l’arbre généalogique, et qui donc fonde une nouvelle famille. Ce symbole, vous le connaissez : ce sont les fameux trois points. En somme, les autistes écossais ont créé un lieu calme adapté à leur profil sensoriel et à leurs besoins : la loge. L’histoire humaine est décidément bien facétieuse.