Si l’on étudie les écoles ésotériques et initiatiques occidentales depuis l’ancienne Égypte, on se rend compte qu’il existait des techniques tout à fait spécifiques permettant d’accomplir un véritable travail intérieur. Il ne s’agissait pas d’une démarche religieuse, mais d’une véritable pratique intérieure que nous aurons l’occasion d’aborder en détail un peu plus loin.
Or, on se rend compte aujourd’hui que rien de ce genre n’est proposé. Il semble que tout ait disparu ou ait été occulté. Bien plus, pour beaucoup de Maçons, cette interrogation n’a ni sens ni réalité. Toutefois, des observateurs attentifs de l’histoire maçonnique reconnaîtront des éléments de ces pratiques au sein des grades de perfectionnement (4ème au 33ème degrés) ainsi qu’à l’intérieur d’initiations extérieures à ces cheminements classiques. On retrouve un certain nombre de ces éléments dans ce que l’on appelle dans le monde anglo-saxon les « Allied Masonic Degrees » (Grades Alliés[1]) et les « Appendant Bodies » (Organismes Annexes[2]).
L’idée communément admise est que de petits groupes d’initiés se servirent du creuset de la franc-maçonnerie pour transmettre des techniques et des enseignements plus anciens et spécifiquement ésotériques. Ce fut vraisemblablement le cas et le mithraïsme en est un bon exemple. On ne peut toutefois pas ignorer le fait que la franc-maçonnerie spiritualiste et ésotérique définit des éléments qui lui sont propres et qui se transmirent jusqu’à aujourd’hui dans certaines loges et degrés.
L’absence de reconnaissance de la franc-maçonnerie comme véritable voie d’éveil, la conduisit à se développer d’une façon essentiellement sociale, philanthropique et humaniste, confondant ces approches avec une pratique philosophique traditionnelle.
Il est maintenant temps de donner quelques repères sur ce que sont ces techniques d’éveil. Nous pouvons en distinguer plusieurs formes sur lesquelles nous allons donner quelques aperçus. Nous y reviendrons ensuite tout au long de l’ouvrage en vous donnant des éléments que vous pourrez utiliser, que vous soyez franc-maçon ou pas.
Philosophie
Nous avons l’habitude de considérer aujourd’hui la philosophie comme un exercice essentiellement intellectuel visant à créer des systèmes de pensée expliquant le monde, l’être, la place qu’il occupe, son origine et son devenir. Or, cette sorte d’aridité purement mentale, ne correspond pas totalement à ce qu’était la philosophie dans l’Antiquité. Une partie très importante de celle-ci consistait en une série d’exercices et de pratiques spirituelles, aidant l’étudiant à avancer dans la connaissance de soi et du monde. Il n’était pas abandonné face à un texte austère ou un monde hostile. Le maître philosophe le guidait dans sa réflexion et l’aidait dans ses pratiques, lui permettant de réellement progresser dans cette quête.
La franc-maçonnerie spéculative est l’une des héritières de cette tradition philosophique. Des ateliers maçonniques utilisèrent plusieurs de ses pratiques dans le processus de progression initiatique. Bon nombre disparurent, sans doute chassées par la volonté de bannir de la franc-maçonnerie tout contenu ésotérique et toute méthode permettant un véritable travail intérieur. Induire une démarche spirituelle tout en développant une liberté d’esprit et un esprit critique sont pourtant des éléments essentiels.
Il serait intéressant de savoir de quelle école philosophique la franc-maçonnerie s’inspire. L’examen des rites d’origine montre que les connaissances philosophiques n’étaient pas très précises et semblent avoir été empruntées à différentes écoles avant d’être mêlées avec plus ou moins de bonheur. Elles demeurèrent plus tard présentes en filigranes, comme des éléments capables de justifier une approche ou une autre. Les rites, les coutumes, les gestes et mots sont toujours là, mais la signification profonde et encore plus l’activation de tous ces éléments ont disparu. Imaginez un archéologue découvrant un outil technologique inconnu alors que toute civilisation a cessé d’exister. Le franc-maçon est dans une situation similaire et la seule solution serait d’appliquer une méthode de rétro-ingénierie[3]. De la même façon qu’un anthropologue, nous pouvons tout de même écouter la voix de ceux qui maintiennent encore le flambeau de cette tradition presque disparue. Tel un archéologue, nous pouvons retirer des strates lointaines des joyaux qui prendront tout leur sens. A ce titre, et nous y reviendrons plus loin dans cet ouvrage, nul doute que la méthode philosophique maçonnique se rapproche de la tradition platonicienne et néoplatonicienne.
Pleine conscience
Les techniques de « pleine conscience » ou de « présence consciente » visent à incarner la pratique dans l’instant, de telle sorte que nous ne soyons pas troublés par nos pensées incessantes, à la fois préoccupés du passé ou du futur. Le travail maçonnique, qu’il soit issu de la simple écoute silencieuse ou du travail rituel, ne devrait avoir d’autre but que de développer une conscience éveillée, nous permettant d’exister au monde. Rien d’extraordinaire donc en apparence dans cette pratique, pourtant si délicate à mettre en œuvre.
Imaginez que vous écoutiez attentivement la lecture d’un exposé. Combien de temps pouvez-vous soutenir votre attention sans que votre esprit vagabonde ? Êtes-vous capable simultanément d’écouter et de prendre conscience de votre respiration ou des différentes parties de votre corps ?
L’objectif est simple. Il s’agit d’atteindre un état dans lequel nous ne sommes plus enchaînés par un flot incessant de pensées, de spéculations dans fondement. Nous ne laisserons également pas nos sens nous submerger ou nous ne laisserons pas notre conscience se détacher de ce que nous ressentons. Des techniques spécifiques nous aideront à devenir ce que nous sommes, à être dans l’instant en pleine conscience. La pratique est le seul moyen d’atteindre réellement ces niveaux de d’être nous détachant du monde des illusions dont parle Platon et la spiritualité orientale.
Méditation
La méditation sert avant tout à pratiquer l’introspection. Associée à la visualisation, elle permet de créer un véritable temple intérieur, un espace sacré créé dans l’esprit du pratiquant.
C’est au cours du processus méditatif que les pensées sont disciplinées. La conscience se tourne vers elles et observe leur génération sans intervenir. C’est une pratique solitaire. La méditation se pratique également dans la loge pendant les périodes de silence ou lors de l’écoute de travaux. Cette période est importante, car il est impossible de travailler sur un phénomène que l’on n’a pas observé ou que l’on connaît mal.
L’étape suivante consiste à agir sur ses pensées et les canaliser. Cela sera fait par la concentration sur des symboles dans une première approche active. C’est là une dimension du symbolisme qui est rarement connue et pratiquée.
On peut ensuite commencer à pratiquer l’introspection en allant de plus en plus loin dans la connaissance de soi. Cette aventure est semée d’embûches et d’obstacles. Il est donc nécessaire de connaître les mécanismes en jeu et de savoir distinguer ce qui est de l’ordre de l’illusion, de l’identification ou proche de l’essence de l’être.
Sous ces deux formes, le processus devrait être enseigné de façon progressive tout au long des différents degrés afin de parvenir à une maîtrise réelle de son être, de son esprit et de ses passions.
Extrait du livre “Spiritualité maçonnique” (suivi du code universel de morale), 5e question.
[1] Les Grades Alliés maçonniques sont accessibles aux Maîtres Maçons sur invitation. Les Grades Alliés se concentrent sur l’approfondissement d’aspects spécifiques des enseignements maçonniques dans des cadres plus restreints et ciblés.
[2] Les organismes annexes, comme le Rite Écossais, ou le Rite d’York, enrichissent l’expérience maçonnique. Les Organismes Annexes proposent des systèmes étendus de grades et ont une portée plus large, souvent accompagnés de structures administratives plus importantes et de missions diversifiées.
[3] Analyse des composants pour en déduire la fonction et devenir capable de recréer le mécanisme originel tel qu’il fonctionnait et était utilisé. C’est par exemple le cas dans l’analyse de la machine d’Anticythère, sans doute le premier calculateur astronomique de l’humanité découvert dans une épave dans la mer Méditerranée.