On s’attendrait à ce que l’origine du mot soit aussi lumineuse que la signification qui en est induite. Or, il n’en est rien. En latin, l’adjectif limpidus et la limpiditas, qui en est issue, sont des vocables peu fréquents et tardifs, et ils prêtent à méfiance dans l’histoire de la langue française dès le XIVe siècle. Faute d’une étymologie limpide, on invoque, sans aucune certitude, une obscure origine osco-ombrienne, d’une langue parlée dans la région centrale de la péninsule italienne, avant l’implantation des Latins.
Le rapprochement avec la lumière, *lux, lumen, logique au regard de la signification, est inapproprié au regard de la phonétique.
L’idée est celle de la transparence, d’une pureté sans équivoque. Et le concept fera florès dans le monde hispanique, dès le XVe siècle, avec l’exigence de limpieza de sangre. On doit pouvoir prouver qu’on n’est pas issu d’un métissage qui altèrerait la « pureté » d’une union, en mêlant les sangs, chrétien honorable d’un côté, juif ou musulman d’autre part. Haro sur le marrane ou le morisque, ces conversos qui ne seraient que des chrétiens de façade !
Cette triste persécution a trouvé des échos sinistres dans l’époque nazie !
Ce qui est intéressant dans cette revendication à la limpidité, c’est l’absurdité de penser qu’on puisse être pur, exempt de toute corruption. Alors que tout individu est, par essence, le produit d’un mélange, d’une mixité. Et on sait combien les sociétés hermétiquement closes sur elles-mêmes, endogamiques, produisent immanquablement des monstres physiologiques et des comportements monstrueux.
Pourquoi interdire à quiconque de revendiquer sa part d’ombre, son ambivalence, son ambiguïté, ce qui le rend singulier, non conforme au pluriel ambiant. Il en va de la fertilité, du renouvellement, de la richesse des relations et des sociétés.
Le regard limpide serait-il gage d’innocence ? Rien de moins assuré…
D’ailleurs, sans obscurité, la lumière est-elle envisageable ?
Annick DROGOU
La limpidité contre tout ce qui est turbide et altéré. La limpidité comme un idéal ou bien comme un fantasme de pureté, en défense de tout ce qui nous trouble ? Que dit de nous ce désir d’une eau limpide, vive comme un torrent de montagne, ou notre paresse à l’écoute d’un raisonnement limpide dans son apparente logique ? Besoin de désencombrement ou peur de la complexité ? C’est assurément toute notre ambivalence dans ce questionnement si peu limpide.
La vie bouillonne aussi comme le torrent , mais il sera bien difficile d’en faire la lecture limpide. Faut-il aimer ce qui est limpide ? C’est la lumière qu’il faut aimer quand elle se reflète dans les eaux bouillonnantes de nos jours, chargées de nos soucis, l’aimer et laisser cette eau reposer, décanter.
L’eau limpide peut-elle être une eau stagnante ? La limpidité suppose le jaillissement. Mais ce n’est pas une effervescence, un énervement. Cette eau limpide nous parle peut-être de sagesse et d’équilibre, de ces « cœurs limpides et joyeux » qu’évoquait Romain Rolland. Alchimie de la décantation, visage de la simplicité contre la duplicité. Quelle est la vérité cachée de l’eau limpide ?