Le 8 décembre 2024 Notre-Dame de Paris renaît de ses cendres. Elle a été restaurée « à l’identique ». Etait-ce la meilleure chose à faire ? Pouvait-on faire autrement ? Qu’est-ce que cela dit de notre époque et de nous, francs-maçons ?
Tout d’abord, de quel « identique » parle-ton ? La première cathédrale Notre-Dame date du VIème siècle, il n’en reste pas grand chose. Il ne s’agit pas de celle-là, bien sûr, d’ailleurs on serait bien incapable d’en retrouver les plans. On parle de celle de Maurice de Sully qui a lancé les travaux en 1163, lesquels ont duré jusqu’au milieu du XIVème siècle. Les bases sont romanes, elles ont été remaniées et enrichies, du gothique primitif au gothique rayonnant, chaque époque complétant la précédente, mais aussi la remaniant, la corrigeant. Les XV et XVIèmes siècles ont apporté des touches Renaissance, Louis XIV lui-même y a imprimé sa marque.
Un peu de rococo au XVIIème siècle et puis voilà la Révolution. Notre-Dame a abrité pendant un temps le culte de la Déesse Raison. Il ne s’agit pas de restaurer cela non plus, personne n’aurait l’idée d’invoquer la Raison, aux temps de la post-vérité. Puis elle sert d’entrepôt pour le vin, le « service du vin », dirait Rabelais. Elle est laissée à l’abandon, la Révolution de 1830 lui porte de nouvelles dégradations, on envisage même de la démolir. C’est Victor Hugo qui la sauve. La parution de « Notre-Dame de Paris », en 1831 a un tel retentissement que les Parisiens prennent conscience de l’importance du monument. L’oubli, c’est pire que les flammes.
Nouvelle restauration en 1845 par Viollet-le-Duc à l’identique de ce qu’on connaît à l’époque, c’est-à-dire avec ce mélange de styles qui vont du XIIème au XVIIIème siècle. Mais avec quelques modifications. Certaines statues sont restaurées, d’autres ajoutées dans le style supposé des origines. Et puis on restaure, on reconstruit une flèche qui avait disparu depuis le XIIIème siècle, en s’inspirant de celle de la cathédrale Sainte Croix d’Orléans. On fait confectionner de nouveaux vitraux. Bref, on réaménage. Comme le dit Viollet-le-Duc lui-même « restaurer un édifice ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ». Paradoxalement, en restaurant « à l’identique », on est resté fidèle à la forme donnée par Viollet-le-Duc, mais on a trahi le fond de sa pensée.
Chaque restauration, chaque nouvel aménagement a voulu marquer son époque, à commencer par les agrandissements qui signaient l’augmentation de la population des croyants, ou encore marquaient la volonté de faire entrer la lumière, et aussi inauguraient un changement d’époque dans l’esprit de l’urbanisme du baron Haussmann. En 2024 on a restauré à l’identique, mais il y avait des projets alternatifs. Dans les jours qui ont suivi la catastrophe, des architectes du monde entier ont proposé une restauration de Notre-Dame qui témoigne aussi du XIème siècle. Le Parisien en a relevé dix. Deux faisaient entrer la nature dans la pierre. Elle y était déjà par ce qu’on appelait la forêt et qui était la charpente du toit, deux mille chênes environ. Pour le studio NAB de Nicolas Abdelkader, ce serait un véritable jardin de toit, une serre éducative.
Marc Carbonare quant à lui envisageait carrément de replanter une forêt sur le toit. Dans les deux cas, il s’agissait d’intégrer cette préoccupation majeure de notre époque : repenser la relation de la nature et de l’homme… à travers Dieu, en l’occurrence. D’autres visaient la transparence, celle de l’âge de cristal, par le studio Kuksas, ou la grande verrière de Godard et Roussel qui transformait le toit en mémoire de la cathédrale. D’autres enfin jouaient avec la lumière : le toit en vitraux d’Alexandre Fontozzi, ou le faisceau lumineux du studio Visum. Bien sûr, ils ont présenté ces propositions sans que personne ne leur ait rien demandé. Sans qu’on leur ait fourni un cahier des charges pour leur dire dans quelle direction chercher. Alors, bien sûr, ça part dans tous les sens. Mais justement, pourquoi n’a-t-on lancé aucune réflexion là-dessus, pourquoi tout s’est-il décidé dans de discrets conciliabules? Pourquoi la décision de restauration a-t-elle été seulement le fait du prince ?
La première raison d’avoir opté pour une restauration conservatrice tient au prince lui-même puisqu’il s’est emparé de cette question et en a fait son affaire personnelle. Sans vouloir spéculer sur ses motivations secrètes ou verser dans la psychologie de bazar, cette décision dit quelque chose de lui. La deuxième raison tient aux paradoxes de la Loi de 1905. Elle a fait de l’Etat le propriétaire en titre de la cathédrale, elle a fait de son représentant, le décideur. Mais comment le président d’une république laïque peut-il décider statuer sur ce que doit être une cathédrale au XXIème siècle ? C’est la première fois dans l’histoire du christianisme que cette question se pose. Du temps de Viollet-le-Duc, le roi Louis-Philippe puis l’empereur Napoléon III n’étaient pas laïcs. Encore bien moins l’évêque Maurice de Sully au lancement de la première construction, en 1163. Ils pouvaient décider de ce qui allait être conservé et de ce qui allait être modifié. Au nom de la séparation des églises et de l’Etat, l’Etat ne peut pas concevoir ni faire construire un bâtiment religieux. Il ne peut pas non plus confier le projet à l’Eglise car elle aurait alors à gérer de l’argent public et notamment les 846 millions d’euros réunis par 340 000 donateurs venus de 150 pays. Ce budget est entre les mains d’un établissement public, donc laïc. Mais il y a mieux. Les cathédrales représentent un puissant élan de foi qui s’exprime dans la pierre, d’abord tourné vers l’intime, l’intérieur, avec le style roman directement inspiré des basiliques romaines, puis dirigé vers le ciel avec un style architectural de plus en plus vertical, de plus en plus aéré, laissant entrer la lumière, de plus en aérien. Il faut une foi inébranlable pour soutenir une aventure dont on ne verra jamais la fin, deux cents ans pour la cathédrale Notre-Dame de Paris (1163-1345), trois cents pour Saint-Jean-Baptiste de Lyon (1175-1481) et même quatre cents pour Saint-Julien du Mans (1060-1430) Mais nous, en 2024 en quoi croyons-nous ? Quelle est notre foi, quelle est notre espérance ? Y’a-t-il un souffle capable de nous porter pendant des siècles ?
Ces questions sont éminemment maçonniques ou devraient l’être. Le formidable chantier de reconstruction de la cathédrale ramène les francs maçons vers leurs origines, celle des francs-maçons opératifs, leur rapport à la matière, leur capacité à travailler le réel, l’idéal qu’ils portaient dans leurs mains, la haute idée qu’ils se faisaient du métier, la valeur du travail, le mariage de la force et de la beauté. Il interroge aussi sur ce qu’ils cherchaient à dire à leurs contemporains, à travers le symbolique. « Fallait-il reconstruire à l’identique d’autrefois ? » Cette question entre en résonance directe avec une autre problématique maçonnique : détruire-reconstruire le temple, est-ce le même temple qu’on reconstruit sans cesse ? Il semble bien que le Temple dit de Salomon, (mais édifié sur les plans du roi David), n’ai pas été rebâtit tout à fait à l’identique, près de cinq ans ans plus tard quand a été édifié le Second Temple de Jérusalem. On ne peut pas faire comme si la parole n’avait pas été perdue. Alors, quand nous parlons de reconstruire, de quoi parlons-nous ? De reproduire à l’identique ? Ou de bâtir des temples pour aujourd’hui ? Cela revient à se poser directement la question de la raison d’être de la franc-maçonnerie. Après trois cents ans d’existence, elle a souvent tendance à se pencher sur son passé. Mais à l’origine, elle n’a pas été voulue pour ça. Les francs maçons sont-ils des restaurateurs de patrimoine ou des bâtisseurs d’avenir ?
Merci pour cet article, merci surtout pour la dernière phrase, écrite sous forme de question, mais qui contient la réponse !!
Je suis le premier à déplorer que trop de Francs-maçons (selon les Obédiences) soient principalement, voire exclusivement, tournés vers le passé, en ne se préoccupant quasiment pas de construire le présent et l’avenir (sauf éventuellement les leurs propres)…Certes, les t(T)traditions sont utiles à étudier, à découvrir, à mon sens principalement pour les symboles qu’elles nous offrent à étudier et à méditer, et en même temps, il me semble, surtout dans l’époque actuelle, si troublée et si incertaine et dangereuse, que vit l’humanité, il me semble que le devoir des Francs-Maçon(ne)s est, d’urgence, de fabriquer, et d’y travailler en loge, profitant de cet espace-temps sacré, un avenir nouveau et un monde vivable pour nos enfants et toutes les futures générations…
Fraternellement vôtre,
Jérôme Lefrançois (43ème année de Maçonnerie)
Merci pour cet article qui donne beaucoup à penser.