jeu 14 novembre 2024 - 06:11

Me Too ? Oui mais avec la Justice aux commandes

Caroline Fourest se lance, avec son dernier opus «  le vertige Metoo », dans un plaidoyer pour le discernement entre délits et crimes, entre présomption d’innocence et présomption de véracité : raison et justice au lieu d’émotions et narcissismes. Délicat mais salutaire exercice !

Steven Pinker in 2023 by Christopher Michel

Steven Pinker nous l’expliquait il n’y a pas si longtemps : la civilisation progresse en zig-zag. Et des retours en arrière sont fréquents lorsque les inconvénients du changement apparaissent. Pour autant, le changement en question peut garder de l’intérêt, d’où l’expression «  ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Il s’ensuit alors un peaufinage du dispositif afin de conserver le positif et éliminer autant que possible le négatif. C’est à cette tâche que s’est attelée Caroline Fourest dans son « le vertige Me Too ».

Caroline Fourest au rassemblement organisé par l’Inter-LGBT place Baudoyer à Paris pour fêter le vote de la loi instituant le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe en France.

On y découvre un florilège de tout ce qui peut tourner mal depuis que la parole s’est libérée autour des cas d’emprise toxique ( car il y a des emprises bénéfiques, Pygmalion, si tu  nous regardes…). Chaque possibilité est illustrée par des cas célèbres, décortiqués afin de pouvoir servir en toute généralité. Evidemment, au passage, se trouve fort malmenée notre fainéantise intellectuelle. Ah bon ? Oui, celle qui nous donne envie de juger en 5 minutes, d’enfoncer le protagoniste qui ne nous plaisait déjà pas, et de nous apitoyer sur la pauvre victime.

Pas de chance pour le manichéisme, l’humain est et reste complexe.

Tout ce qu’il raconte est farci de chausse-trapes. Tiens, le verbe raconter. Dorothée Dussy, qui a interviewé plein de pédocriminels, l’a bien capté : tous se racontent une histoire qui les « autorise » à agir comme ils le font. Les jeunes en garderont une mémoire traumatique, susceptible plus tard d’entraîner une répétition traumatique. C’est ce phénomène qui déclenche des retours « incompréhensibles » vers le criminel : l’esprit blessé vient chercher cette part de lui-même qu’on lui a arraché. 

La pédocriminalité reste pour ces raisons le berceau de l’enfer, et a été également touchée par la libération de la parole dans l’espace public du monde adulte. Cela s’y est traduit aussi par le cri « on te croit », compréhensible après tant de siècles d’omerta. Toute une frange des associations et des professionnels veut appliquer le «  on te croit » de manière pure et dure, ou en confondant raison et émotion. Pourtant l’affaire Outreau a montré que le mensonge des jeunes comme des adultes, cela existe. Il est donc impératif d’en rester au « je t’écoute », en complément au « je te protégerai ».

Autre désir qui hante beaucoup de nos contemporains : le complotisme, si actif sur les réseaux sociaux. Le plaisir d’étaler aux yeux de monsieur tout-le-monde des « secrets » pleins de turpitudes commises par les « élites » fait que certains sites se spécialisent dans les rumeurs « croustillantes », bien sûr vite instruites et uniquement à charge.

Et, dans la même série, citons l’attrait des idéologies clivantes, au nom desquelles on décernera promptement le brevet de victime à ceux de notre camp et l’opprobre sera jeté sur tout membre « d’en face ».

Quel bon job que commissaire politique pour régler ses comptes !

Fine observatrice du monde d’aujourd’hui, Caroline souligne que la marche vers la notoriété ( et l’autorisation de se montrer agressif ) passe par la case « victime ».  C’est pourquoi le terme de « narcissisme plaintif » peut caractériser certaines postures surjouées dans le monde médiatique.

Une manifestante brandissant un panneau arborant le hashtag #MeToo, à la marche des femmes de New York, en janvier 2018.

Ce qui n’empêche que la liste de personnes mises en cause dans les mondes du spectacle, du cinéma, des médias, est effarante, et occasionne un « rattrapage » avec des allures de raz-de-marée. On ne pleurera pas les monstres qui en ont profité trop longtemps.

Mais nos nouvelles pratiques ne se maintiendront durablement que si on évite les dérives vers l’intransigeance illimitée. On ne peut classer sous le même vocable une insistance lourde en phase de drague avec un passage à l’acte avec menaces ou coups et blessures.

Lors du lancement du mouvement Me Too et son corollaire Balance ton Porc, tout à son désir de se démarquer des anciennes pratiques, le grand public avait raillé Catherine Deneuve et son « droit à importuner ». Rétrospectivement, on peut voir dans la prise de position de C Deneuve un agacement devant le succès de la victimisation dans notre société. Caroline en déduit un vœu :  «  moins de victimes, plus de battantes ».

Bref, il s’agit de réintroduire de la raison et de la précision dans ce paysage dominé par les émotions.

Comme toujours, il est question de chercher un équilibre : de la présomption d’innocence avec la présomption de véracité, notamment. Les outils juridiques peuvent eux aussi être améliorés, mais pas à la va-vite. On parle beaucoup du consentement, actuellement absent de l’arsenal juridique en France. Mais, une fois introduit, la question du consentement présent ou absent deviendrait centrale dans les procès, d’où des pressions des avocats sur les victimes, déjà si bousculées comme nous le savons. Autre paramètre sensible : le délai de prescription. S’il devient infini comme pour les crimes contre l’humanité, une barrière qui retient les violeurs d’assassiner leurs victimes tombe…

Au terme de son panorama de la société actuelle, Caroline égrène une vingtaine d’astuces « ne pas ceci ou cela… »  résumant son plaidoyer pour introduire nuance et précision dans le débat.

Et nous les maçons ? Une grosse partie du livre nous est directement utile. Cela commence par la recherche de la vérité et l’usage de la raison aux commandes. On se reconnait aussi dans la méfiance par rapport aux amalgames : tout est à peser au cas par cas, et pas question de se substituer à la justice. On ne l’ouvre que si l’on sait, et il faut traiter ses souhaits intimes avec circonspection. Il est important de ne pas céder pas à ses mauvais penchants, même couverts par l’impunité du pseudo.  L’écoute est toujours due, et s’efforce de passer avec bienveillance par-dessus les divergences de vues en fonction des âges ou catégories sociales. Allons-y !

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Patrick Van Denhove
Patrick Van Denhovehttps://www.lebandeau.net
Après une carrière bien remplie d'ingénieur dans le secteur de l'énergie, je peux enfin me consacrer aux sciences humaines ! Heureux en franc-maçonnerie, mon moteur est la curiosité, et le doute mon garde-fou.

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