Le symbole maçonnique
Tout le monde connaît l’étymologie du mot symbole qui, à l’origine désigne un objet coupé en deux selon une ligne sinueuse. La réunion des deux moitiés de l’objet permettant à deux personnes en détenant chacune une moitié de se reconnaître.
Tel n’est pas le sens que nous donnons en Franc-maçonnerie au mot symbole. Pour nous, maçons le symbole est bien plus qu’un signe de reconnaissance.
A ce propos Alec Mellor dans son Dictionnaire de la Franc-maçonnerie et des Francs-maçons se réfère au frère Gœthe (1749 – 1832) « La symbolique transforme les phénomènes visibles en une idée et l’idée en image, mais de telle-façon que l’idée continue à agir dans l’image et reste cependant inaccessible ; et même si elle est exprimée en toutes les langues, elle demeure inexprimable »
Cette citation de Gœthe concerne la symbolique et non le symbole lui-même. Cependant, retenons de la citation de Gœthe que l’idée qui agit à travers l’image d’un symbole reste inexprimable.
Histoire naturelle du symbole.
Comme il est écrit dans certains rituels d’initiation au grade d’apprenti : « Monsieur (ou Madame) ici tout est symbole. » Tout est symbole : L’accoutrement des frères ou des sœurs ou des Frères et sœurs, leurs gestes, les positions qu’ils occupent, leurs paroles, l’ameublement et la décoration du local… Tout est symbole et ces symboles sont des choses perceptible aux sens : elles peuvent être vues, entendues, goûtées ou sentie soit par le toucher soit par l’odorat.
Nous en conclurons donc que le symbole est un objet -ou un évènement- du monde sensible. Le monde sensible étant défini comme l’ensemble des choses perceptibles aux sens.
Il faut relever ici quelques éléments :
1 A propos du monde sensible :
Le concept de monde sensible ne recouvre pas celui de monde matériel. Ainsi, la voûte céleste qui est une illusion d’optique, n’est pas matérielle, mais, pouvant être vue, elle fait partie du monde sensible.
A l’inverse, les ondes hertziennes, bien qu’étant un phénomène matériel, ne sauraient faire partie du monde sensible, puisque les sens ne sauraient les percevoir. Il en est de-même des ultra-sons puisque nous ne pouvons les entendre.
2 A propos du symbole :
Tout peut être symbole. Ainsi, le triangle est une figure géométrique ; mais c’est aussi un symbole. De même le maillet est un outil, mais il est aussi un symbole, et le bruit produit en frappant une table ou autre chose avec un maillet est également un symbole.
Cependant quand le maillet est utilisé par un artisan ou un commissaire-priseur ou même quand le président d’une réunion de profanes frappe du maillet pour imposer le silence, le bruit du maillet alors n’est pas symbole ; et on peut en dire autant du maillet lui-même.
Une question de perception et d’état de conscience.
En un mot le triangle devient un symbole quand il est considéré comme le signifiant, d’une « idée inexprimable » comme l’écrivait Gœthe, autrement dit d’un mystère.
Nous choisissons pour ce mot la définition du dictionnaire de Moyen-français du Centre national de recherches lexicales [1]: « Ce qui n’est pas directement explicable, qui reste secret, caractère inexpliqué de quelque chose. »
Autrement dit le symbole est un objet ou un fait qui permet à l’observateur d’accéder non à une idée mais à un monde d’idées ayant toutes entre elles un unique point commun : celui de pouvoir être évoquées directement ou indirectement soit par l’objet ou le fait symbole soit par l’idée de cet objet ou de ce fait.
Par exemple quand nous écrivons « le triangle est symbole », Il s’agit du triangle accessible aux sens (dessiné ou peint ou…) mais aussi de l’objet géométrique que ce dessin représente imparfaitement. Or l’objet géométrique, comme nous le verrons par la suite est comme écrivait Euclide « un objet de l’esprit ». De même le maillet quand il est considéré comme un symbole n’est que la représentation matérielle du concept ou de l’archétype maillet.
Une question d’intégrité des sens.
« La lumière est un symbole qui évoque… » Elle évoque, à ceux qui savent pour l’avoir vue ce qu’est la lumière, parce que pour ceux qui ne l’ont jamais vue la lumière ne peut rien évoquer.
J’ai tenu un jour ce propos en loge. Cela souleva immédiatement l’indignation de tous et un frère qui a perdu la vue prit ma défense.
Il expliqua qu’il faisait partie d’associations de « mal voyants » et connaissait de nombreux aveugles de naissance. Je le cite : « pour eux, le mot jaune évoque le goût du citron ou celui du jaune d’œuf, la lumière, tout ce qu’ils en savent, c’est que ce mot désigne quelque chose dont ils n’ont pas l’expérience. Mes frères, quand vous dites que la lumière est un symbole, vous vous trompez ! Ce n’est pas la lumière qui est un symbole c’est l’expérience de la lumière. Si vous dites à un aveugle de naissance que vous allez lui « donner la lumière » il ne peut pas imaginer ce que vous allez lui donner, tout comme une personne qui n’aurait jamais eu le sens du goût ne pourrait comprendre la coupe d’amertume puisque le sucré comme l’amer lui seraient insipides et que ces mots même seraient, pour lui, dénués de sens. »
Pourtant le symbole est une chose simple
Le maçon qui perçoit un symbole ne se pose pas ces questions. Il perçoit le symbole et le symbole projette dans son esprit une partie des idées qui composent le nombre indéfini de sens qui sont les siens.
Cependant ces « idées » ne sont pas formulées en phrases, elles sont perçues mais non comprises ! C’est simple, naturel et inexplicable ce qui faisait écrire à Henri Corbin dans « l’Orient des pèlerins abrahamiques » [2] :
« Les symboles ont la vertu d’être inépuisables et la diversité de leur interprétation n ‘implique point contradiction. On ne saurait les réfuter ni les discuter comme on discute une démonstration logique.
On les déchiffre ou on ne les déchiffre pas, et ce déchiffrage n’est jamais achevé.
L ‘erreur historique serait de croire qu’on en terminerait en découvrant ce que les premiers rédacteurs avaient en tête, alors que par essence, la portée d’un symbole dépasse dès l’origine les intentions ou prévisions de celui qui les configura »
Pour l’initié qui est « entré dans le symbolisme », c’est clair, évident. Pour celui à qui cet espace est resté fermé, c’est incompréhensible.
Le symbole : des sens précis
Le « déchiffrage d’un symbole n ‘est jamais achevé. » En effet, le symbole a un nombre indéfini de sens, mais le terme « déchiffrage » ne convient pas : le symbole n’est pas chiffré et contrairement au chiffre, il ne cache rien au contraire il révèle.
Le symbole a une multitude de sens, mais ces sens, pour celui qui les explore sont semblables aux couches d’un oignon : tous les sens du triangle sont des objets de l’esprit qui, bien qu’étant sans forme, ont une parenté avec le triangle ; de-même tous les sens du maillet, bien que n’ayant pas de nature, sont de la nature idéale du maillet. Le symbole a un nombre indéfini de sens, mais l’homme ne peut pas lui donner n’importe quel sens !
Le symbole et le ciel
Bien malin qui pourrait dire si l’homme a projeté les symboles sur le ciel ou si inversement c’est le ciel qui a donné ses symboles à l’homme ? Trois étoiles forment évidemment un triangle, mais les anciens n’ont donné le nom de « triangle » qu’à une seule constellation. A l’inverse, quand on observe les étoiles à l’œil nu, on croit souvent voir des étoiles a cinq branches. Est-ce imagination ? Est-ce illusion d’optique ? En réalité nous le savons tous, ces étoiles, comme le soleil d’ailleurs sont des sphères… Cependant le fait est que, quand nous parlons d’un astre nous disons, nous pensons « étoile » … et le plus souvent étoile à cinq branches.
Cependant les planètes tracent au cours de leurs révolutions des figures dans le ciel et ces figures sont venues enrichir le sens de certains symboles.
Il existe donc un double mouvement : parfois l’homme projette un symbole ou un mythe sur la sphère céleste… Inversement les astres, par leur mouvements projettent des figures et des nombres symboliques dans l’esprit de celui qui les observe… Mais là encore, cette étude des Phénomènes[3] ne fait plus partie de la culture contemporaine.
Le symbole et le pythagorisme
L’antiquité ne connaît pas les nombres décimaux ! Et pour cause, n’en déplaise aux mathématiciens qui ont travaillé sur l’ensemble des nombres décimaux (noté D en mathématique) ; ces derniers ne sont rien d’autre qu’un artifice d’écriture facilitant le calcul littéral[4]. Voir le site web cité en note[5].
Les mathématiciens de l’antiquité ne s’intéressent qu’aux nombres entiers et à leur signification métaphysique. Pour eux, l’arithmétique et la géométrie sont bien plus intimement liées qu’on ne nous l’a enseigné… Quant à la maçonnerie et à ses rapports avec le pythagorisme, pour les mettre en évidence il suffit de rappeler que dans les anciens devoirs tantôt Pythagore[6], tantôt Euclide sont cités comme des fondateurs du métier de maçon ayant enseigner l’art de géométrie aux Égyptiens.
Qu’ils s’agissent des âges du maçon aux différents grades, du delta lumineux, de l’étoile flamboyante ou des divers polygones rencontrés dans les hauts grades, tout cela fait référence au pythagorisme… Mais pas seulement !
Cela dit, pour tous les symboles numériques ou géométriques, la référence pythagoricienne est fondamentale.
[1] Dictionnaire en ligne accessible à partir de la page : https://www.lexilogos.com/francais_dictionnaire.htm Nous avons choisi cette définition parce qu’elle ne se réfère pas aux religions.
[2] Texte paru dans Cahier de l’Université Saint Jean de Jérusalem N°4, Paris 1978 – Les pèlerins de l’Orient et les vagabonds de l’Occident – Éditions Berg international
[3] Œuvre de l’astronome grec Aratos de Soles 315 – 245 av J.C Disponible en version bilingue grec-français sur Google Books ()
[4] Le calcul en écrivant les nombres sur un papier appelé « littéral » par opposition au calcul à l’abaque ou au boulier.
[5] https://www.maths-et-tiques.fr/index.php/histoire-des-maths/nombres/les-decimaux
[6] Souvent appelé Peter Gover