Du site gallica.bnf.fr – Par Chantal Puech
Si les femmes utilisent les armes depuis l’antiquité pour se défendre, ce n’est qu’à la fin du dix-neuvième siècle qu’elles vont pouvoir pratiquer l’escrime, ce jeu sportif apparu à la Renaissance en Europe. Les escrimeuses participent pour la première fois aux Jeux Olympiques de Paris en 1924.
Un peu d’histoire
Les femmes se sont approprié des valeurs liées aux armes et au combat depuis l’antiquité comme en Egypte. Dans la mythologie grecque, les amazones utilisent les armes. Ces femmes qui ne laissent pas pousser leur sein du côté droit et se couvrent l’autre sein d’une plaque d’acier pour combattre, généralement avec un arc. Rome a vu combattre des gladiatrices.
Au Moyen-Âge, c’est l’époque des duels entre chevaliers. Entre le XIIe et le XVe siècle, les activités physiques qui participent aux apprentissages guerriers sont présentées comme exclusivement masculines. Il y a toutefois des exceptions comme l’italienne Marie de Pouzzole qui, au XIVe siècle, a une passion pour les armes. Ou Jeanne d’Arc qui est souvent représentée avec son épée. Certaines femmes ont pu prendre les armes pour protéger leurs logis ou défendre les villes en l’absence des hommes.
Pendant la Renaissance, des Académies nobiliaires se développent dans l’entourage des principales cours européennes, principalement d’Espagne puis d’Italie, et font la promotion de jeux sportifs comme l’escrime aux côtés de l’équitation et de la danse. Le contenu de l’éducation académique se structure donc sur la base des anciens sports chevaleresques. Ces jeux deviennent des « arts » – art équestre, art de l’épée puis du fleuret avec leurs règles. Une telle évolution rend enfin envisageable la réunion des hommes et des femmes dans certains jeux d’exercice.
L’école française d’escrime naît officiellement en 1567, année où Charles IX autorise la création de l’Académie des maîtres d’armes de France.
Les pratiques du jeu, perdant peu à peu leurs caractéristiques initiales exclusivement viriles et guerrières, s’ouvrent aux nouvelles pratiquantes. Certes, ces femmes de l’aristocratie ne sont pas les égales de leurs homologues masculins, mais le fossé qui les tenait éloignées des sports du gentilhomme commence à se rétrécir. Julie d’Aubigny dite Mademoiselle de Maupin pratique l’escrime au XVIIe siècle.
Les traces progressivement plus variées de mixité sont donc apparues à la toute fin de l’ère moderne, mettant en présence des femmes dans des jeux d’exercice traditionnellement masculins.
L’escrime opère sa mutation vers le sport à la fin du XIX siècle. Les armes deviennent plus légères et équilibrées permettent des prouesses techniques en toute sécurité, les maîtres d’armes, au sommet de leur science, transmettent et codifient l’art du fleuret. Ils seront à la source du rayonnement de l’escrime française et italienne. Dès lors, les femmes vont commencer à pratiquer ce sport et l’escrime devient le sport féminin à la mode à Paris.
Devant cet engouement, les écoles de formation et des salles d’armes s’ouvrent peu à peu afin de former les escrimeuses.
Stade Pershing, 8/5/21, fête du printemps [escrimeuses] / [Agence Rol], 1921
L’École normale de Gymnastique de Joinville-le-Pont ouvre ses portes le 15 juillet 1852 sur le site de la redoute de la Faisanderie du Bois de Vincennes. Passée la Guerre de 1870, la vocation de l’École de Joinville évolue. C’est une école militaire, elle élargit d’abord son champ de compétences à l’escrime et devient l’École normale de gymnastique et d’escrime de Joinville en 1872. En 1925, elle est rebaptisée l’École supérieure d’éducation physique. Elle participe à la féminisation du sport.
Déjà présentes en Amérique, les salles d’armes pour femmes apparaissent à la toute fin du dix-neuvième siècle à Paris et connaissent un succès grandissant. Cette activité physique en vogue se démocratise et devient alors un sport féminin à la mode. En 1894, on trouve Le cercle d’escrime des Dames au 92 rue de la Boétie Paris. Leur devise est Ludus pro forma = Jeu pour la forme.
En 1896, s’ouvre la salle d’armes Alexandre Bergès réservée aux dames dans le quartier de l’Opéra à Paris. Il est l’auteur du livre L’escrime et la femme .
Madame Gardère et son mari ouvrent , en 1919, la salle Gardère au 137 avenue Victor Hugo à Paris, nommée aussi Cercle d’escrime Victor Hugo. Cette salle d’armes devient mondialement connue dans les années 1920-1930.
En 1922, le professeur d’escrime A. Lacaze ouvre un cours de fleuret pour dame à Dinard puis à Paris. Il écrit dans la revue L’escrime et le tir :
Il semble que, jusqu’ici, les maîtres d’armes français aient pensé trop peu à l’escrime féminine… Mais des faits assez nouveaux et très significatifs nous montrent la voix contraire, par exemple… le mouvement en faveur de l’escrime féminine que l’on constate dans la plupart des pays scandinaves, au Danemark notamment.
Les différents sports de l’escrime
Les trois disciplines de l’escrime moderne sont le fleuret, l’épée et le sabre. Chaque discipline utilise un type de lame différent et a ses propres règles. Ces trois armes sont sexuées.
[Concours internationaux d’escrime] : Pal (1855-1942). Illustrateur, 1900
Le fleuret est une discipline olympique depuis 1896 pour les hommes et 1924 pour les femmes. Il utilise une arme légère d’estoc de convention à la lame à base carrée. Il est ainsi appelé car il est moucheté comme une fleur. Le but est de toucher l’adversaire au tronc avec la pointe de la lame.
L’épée est une discipline olympique depuis 1900 pour les hommes et 1996 pour les femmes. Elle utilise une arme plus lourde. On peut toucher tout le corps.
Le sabre est une discipline olympique depuis 1896 pour les hommes et 2004 pour les femmes. Le sabre est une arme légère de pointe à la lame tranchante et contre-tranchante.On peut toucher uniquement le haut du corps.
Les trois disciplines se disputent sur une piste de 14 mètres de long et de 1,5 à 2 mètres de large.
L’escrime est un sport de combat dans lequel deux athlètes utilisent des armes blanches pour s’attaquer et se défendre dans le but de porter des touches à son adversaire et, donc, de marquer des points. Il s’agit de toucher un adversaire avec la pointe ou le tranchant (estoc et taille) d’une arme blanche sur les parties valables sans être touché. Les assauts sont donnés à l’aide de l’épée ou fleuret. Le combat peut aller jusqu’à neuf touches. Le premier qui a acquis 5 touches est victorieux.
Si un combattant recule jusqu’à sortir en-dehors de l’extrémité de la piste, il concède un point à son adversaire. Chaque touche équivaut à un point et chaque combat est divisé en trois périodes de trois minutes (avec une pause d’une minute entre chaque période). Le premier combattant à atteindre 15 points, ou l’athlète menant le combat à la fin de la troisième période, est déclaré vainqueur.
Escrime féminine à la maison des étudiants / [Agence Rol], 1925
L’escrime est l’un des sports où le français est la langue officielle : chaque pays utilise sa langue pour les compétitions nationales, mais le français est obligatoire pour l’arbitrage dans les compétitions internationales : « En garde ! », « Prêts ? », « Allez ! », « Halte ! ». L’arbitre dispose, en plus, d’un code de signes pour expliquer chaque phrase d’armes.
Quelques célèbres escrimeuses
Madame Gardère est professeur de fleuret. Elle est la première femme brevetée de l’Académie d’armes de Paris. Son mari est aussi escrimeur ainsi que ses enfants, les champions André et Edward Gardère. En 1916, elle quitte les Vosges pour Paris. Elle devient professeur à l’Académia avec quelques jeunes filles pour les former au maniement des armes. Elle est aussi professeur au lycée Jules Ferry dans le 9ème arrondissement à Paris. En 1919, elle ouvre avec son mari, de retour de la Grande guerre, la salle Gardère au 137 avenue Victor Hugo nommé Cercle d’escrime Victor Hugo. Cette salle d’armes devient mondialement connue dans les années 1920-1930. Elle forme de nombreuses championnes internationales de fleuret.
Elle organise des tournois féminins d’escrime. Selon elle, le fleuret améliore la femme. Ses élèves sont âgées de 4 à 60 ans. Soucieuse de son apparence, elle porte des cheveux courts et la culotte avec la jupe par-dessus de couleur noir. La majorité des escrimeuses de cette époque porte un haut blanc et une jupe noire, rarement la culotte.
Les épreuves d’escrime s’ouvrent aux femmes lors des Jeux olympiques d’été de 1924 à Paris, soit plus tôt que d’autres disciplines du sport féminin.
Quelques figures féminines championnes Olympiques comme la danoise Ellen Osiier ou la britannique Gladys Davies.
Aux JO 1924 à Paris, les femmes ont pu concourir pour la première fois à une épreuve individuelle de fleuret. Il y a 25 concurrentes représentant 9 nations. C’est la danoise Ellen Osiier qui est championne olympique cette année-là. L’anglaise Gladys Davis est deuxième.
L’allemande vivant à San Francisco, Helen Mayer (1910-1953), est championne olympique en 1928 à l’âge de 17 ans. Elle est sélectionnée pour les JO de 1936 à Berlin malgré ses origines juives. Sa famille a quitté l’Allemagne pour les Etats-Unis fuyant le Troisième Reich. Elle répond au Comité Olympique allemand qu’elle n’irait aux JO de Berlin qu’à la condition de voir ses coreligionnaires réintégrés dans leurs droits civiques. En vain. Si elle refusait, elle ne pouvait participer aux JO. Elle finit deuxième, battue par la hongroise liona Eleck Schacherer. En 1937, elle est championne du monde de fleuret au Palais des sports à Paris et reçoit la coupe Marie Claire.
Plus proche de nous, Laura Flessel, est quintuple médaillée olympique à l’épée. Elle est Ministre des sports entre 2017 et 2018. Ce qui illustre que la politique est un sport de combat.
Les femmes se sont imposées relativement tôt dans la pratique de l’escrime en comparaison aux autres sports. Elles peuvent concourir dès 1924 aux JO de Paris au fleuret.
Pour aller plus loin
Les femmes et les sports du gentilhomme de l’époque médiévale à l’époque moderne / Serge Vaucelle in Clio. Femmes, Genre, HistoireOpenAIRE, 2006-04-01
Il était une fois l’escrime… féminine / site ABLOCK
Une longueur d’avance ! : Ecole de Joinville, l’invention du sport contemporain (1852-1939). Exposition du 17/10/2023 au 31/07/2024 au Musée Nogent sur Marne
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