lun 16 septembre 2024 - 09:09

Tolstoï et la franc-maçonnerie dans la guerre et la paix – par Chantal Fantuzzi

De notre confrère suisse ticinolive.ch – par Chantal Fantuzzi

Le jour de la Saint-Jean, le 24 juin 1717, la Grande Loge Unie d’Angleterre, « Mère du Monde », est née à Londres, début et pierre angulaire de la franc-maçonnerie moderne. Aucune source certaine n’est connue sur l’appartenance du plus grand écrivain russe (et pas seulement) à la franc-maçonnerie. Ce qui est sûr, c’est que le monde maçonnique a certainement très bien connu Léon Nicolaevic Tolstoï.

Chantal à Poestate. « Mariée de glace »

Dans Guerre et Paix, son chef-d’œuvre, avec Anna Karénine, le protagoniste Pierre, après s’être violemment séparé de sa femme Hélène, belle et dissolue, coupable de l’adultère chuchoté avec Dolochov, rencontre, en voyage, un franc-maçon libre, Oss’p Alksèevic’ Bazdeev, qui, conscient du malheur vécu par le jeune homme, l’invite à réfléchir et à se purifier. Ainsi Pierre commence son voyage de purification, avec le Comte Villarski, à la cour duquel il rencontre de nombreux autres représentants bien connus de la noblesse russe que Pierre n’aurait jamais imaginé appartenir à la Franc-Maçonnerie (en son temps, par l’Auteur ? Qui sait… ). Tolstoï décrit avec une froideur lucide (et peut-être une pointe d’ironie) l’initiation angoissante du jeune noble qui, déshabillé, est conduit à travers un long couloir sombre, où, à la faible lumière de quelques bougies, l’Évangile, un cercueil brillant rempli d’os et d’un crâne. « Dieu, la mort, l’amour et la fraternité » pense Pierre, ce à quoi l’initiateur répond :  « La sagesse suprême n’a pas pour seul fondement le raisonnement, ni ces sciences profanes, comme la physique, l’histoire, la chimie, etc., dans lesquelles le rationnel la connaissance est brisée. La sagesse suprême est une. La sagesse suprême n’a qu’une seule science : la science de tout, la science qui s’applique à l’explication de l’univers tout entier et de la place qu’y occupe l’homme. Pour se rendre capable d’une telle science, il est essentiel de purifier et de renouveler notre individu intérieur, et donc, avant de connaître, il faut croire et se perfectionner. Et pour atteindre ces objectifs, une lumière divine a été placée dans notre âme que nous appelons conscience.

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Alexander Beyer incarne Pierre dans Guerre et Paix, 2007.

Le symbolisme maçonnique est ainsi expliqué par Tolstoï, toujours à travers Pierre :
Le cœur battant à couper le souffle, Pierre s’approcha du rhéteur.
« Pour quelle raison êtes-vous venu ici ? Pour quoi, vous qui ne croyez pas aux vérités de la lumière et ne voyez pas la lumière, pourquoi êtes-vous venus ici, que voulez-vous de nous ? Sagesse, vertu, illumination ?
Une demi-heure plus tard, le rhéteur était de retour pour transmettre à l’aspirant ces sept vertus, correspondant aux sept degrés du temple de Salomon, que tout franc-maçon devait cultiver en lui-même. Ces vertus étaient : 1) la discrétion, c’est-à-dire le maintien du secret de l’ordre ; 2) l’obéissance aux plus hautes hiérarchies de l’ordre ; 3) les douanes ; 4) l’amour pour l’humanité ; 5) le courage ; 6) la générosité ; 7) l’amour de la mort.

Pierre avoue alors ses péchés véniels, et se sent presque renaître.

A la fin du rituel, Pierre reçoit une paire de gants blancs, à offrir à la fille pure qu’il sentira vraiment aimer. Femme qui, évidemment, ne sera pas Hélène.

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Helen et Dolochov (Guerre et Paix, 2007)

Pierre tente donc d’échapper à la vile mondanité dans laquelle il retombe pourtant périodiquement, avec la « pureté » du rituel maçonnique. A travers la franc-maçonnerie, il retrouve une partie de lui-même, combative et culturelle, perdue à cause de ses vices, et c’est précisément grâce à la franc-maçonnerie qu’à la fin du roman colossal il se retrouvera dans un Moscou dévasté et déserté, avec l’intention de tuer celui qui, selon lui, est responsable de la destruction de la Russie : Napoléon. mais, comme l’enseigne Tolstoï, l’histoire n’est pas écrite par des individus, mais plutôt par le destin qui les attend. Ainsi, coupable et en même temps acquitté, Napoléon ne sera pas tué par Pierre, qui est pourtant fait prisonnier, et en prison, entre la faim et le risque constant de mourir, il redécouvre, dans la simplicité d’un paysan injustement déporté, Platon , la pureté qu’il avait tant espérée, en vain. Pureté qui se termine avec le mariage, après le suicide d’Hélène, entre Pierre et la douce et souffrante Natasha, une fille qui a perdu l’essence de l’enfance, à cause de deuils et d’une trahison dont elle fut sans le savoir et douloureusement l’auteur. Pierre lui donne symboliquement les gants de cette franc-maçonnerie dont il est désormais issu, recomposant ainsi ce cycle initiatique de son voyage intérieur, de recherche personnelle vers l’essence de la vie tranquille.

Guerre et Paix 2

Andrei et Natasha (Guerre et Paix, 2007)

Et qui sait si Tolstoï a participé à la franc-maçonnerie, étant donné que l’idée du don de gants, symbole d’amour dans la franc-maçonnerie, est également proposée par le premier prétendant de Natasha, le vertueux et malheureux prince Andrew, dont le nom n’est cependant pas mentionné ailleurs comme appartenance à la franc-maçonnerie.

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Si, comme le dit Luis Borges, « chaque écrivain raconte d’abord sa propre histoire, même si elle commence par « il était une fois un roi qui avait trois fils » » et que Tolstoï lui-même se refléterait à la fois dans le prince Andrei et chez Pierre Bezuchov, qui ont tous deux accompli un processus de conversion, peut-être que l’auteur lui-même appartenait également à la franc-maçonnerie ou peut-être plutôt considérait-il seulement en faire partie, car, comme le conclut la morale de Guerre et Paix, la franc-maçonnerie n’est pas nécessaire pour atteindre Dieu, mais la pureté seulement, de la vie quotidienne. Comme le dit l’adaptation cinématographique de 1956 : « Celui qui aime la vie aime Dieu ». 

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Adaptation cinématographique de 1956

sur la photo Helena (à gauche) et Natasha (à droite)

Un livre étudie cependant la relation entre Tolstoï et la franc-maçonnerie : l’ alambic de Léon Tolstoï  – Guerre et Paix et la franc-maçonnerie russe de Raffaella Faggionato, série La Storia, Thèmes, 44.

1 COMMENTAIRE

  1. Débile comme tout ce qui s’écrit ces derniers temps, assaisonné d’ignorance.
    Les grands du passé ne laissent pas tranquilles les zéro-talent actuels 😡
    Rien qu’à voir les navets anglosaxons cités comme illustrations, c’est éloquent. Pas le courage d’écrire le nom de Sergei Bondartchouk, russophobie aidant, le seul fidèle à Tolstoï dans le film magnifique qu’il a réalisé.

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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