On ne rappellera jamais assez, pour reprendre le titre du livre classique de Jean Baylot, que la « voie substituée » est, régulièrement, une tentation de certaines obédiences de l’Ordre maçonnique. Dès-lors elles trahissent leur mission et donc perdent ce que l’on peut nommer, dans le sens fort de ces termes, leurs « titres maçonniques ». D’où la nécessité pour les esprits libres de faire preuve de discernement. Ce qui dans la tradition philosophique se nomme la « discretio » permettant de saisir la vérité de l’Ordre maçonnique en question.
À savoir ce qui est ORIGINEL et donc AUTHENTIQUE.
Il faut donc reconnaître que dans la foulée des Lumières puis des systèmes sociaux socialisants ou marxisants élaborés tout au long du 19e siècle, une certaine conception d’un humanisme restreint dénia le rôle du symbolique, de l’invisible, du sacré. Se détourner du ciel afin d’avoir pour seul objectif de conquérir la terre. La sentence cartésienne : « l’homme comme maître et possesseur de la nature » peut résumer une telle prétention. Descartes, lui-même nuança, compléta, rendit plus subtil, son propos. Mais l’idéologie cartésienne appliqua à la lettre un tel propos, ce qui conduisit de la « possession » à la dévastation du monde. Ce dont les saccages écologiques contemporains sont la tragique expression.
D’une manière incidente, et sans le développer outre mesure puisque je m’en suis expliqué en divers ouvrages je considère que certaines institutions se réclamant de la Franc-maçonnerie sont sont égarées de la voie traditionnelle étant la sienne, en faisant fond sur cet humanisme dégradé et quelque peu paranoïaque. À l’image de la démarche ésotérique, telle celle des pythagoriciens, des mystères d’Eleusis ou des Templiers, la dimension symbolique est le cœur battant de l’initiation maçonnique. Et en oubliant cela, en prenant une « voie substituée », la communauté spirituelle se mue en parti « politique ». C’est le cas en France de l’institution nommée le Grand Orient ayant totalement perdu l’impulsion originelle et originale de la démarche maçonnique. C’est ainsi qu’avec mon regretté ami et collègue Bruno Étienne nous nous sommes employés à montrer qu’en devenant une institution se contentant de rassembler des « clubs », cette obédience mimait, d’une manière simiesque, l’ordre maçonnique traditionnel.
Bruno Étienne, professeur à l’Institut d’études politiques d’Aix en Provence, fin connaisseur de la chose politique, a, le premier, utilisé le terme de « club » pour rendre attentif à la dégradation de cette obédience se contentant de prendre la place des partis politiques ou des syndicats dont on connaît en France la décrépitude. À propos de ce qu’il nommait « le clubisme du G.O », il notait avec quelques nostalgies : « mon principal regret concerne ma paroisse : le GODF est en train de manquer le tournant du siècle/millénaire qui aurait pu faire de la FM une piste comme elle le fut en d’autres temps » (Une grenade entrouverte, éd. de l’Aube, p 368). C’est pourquoi ces « clubistes » momifient la réalité symbolique, la réduisent à l’économie, à la politique, au sociétal et ce au détriment de l’initiation spirituelle devant être toujours en devenir. Sans aller plus avant, je renvoie les lecteurs intéressés à quelques livres faisant la critique de cette lente, mais sûre dégénérescence d’une institution qui au nom d’une civilisation finissante, s’emploie à lutter, d’une manière inquisitoriale, contre une culture de fond, éternelle, et renaissante chez les jeunes générations. Ce que l’imaginaire ne manque pas de souligner[1]. Et ce en montrant l’importance de la culture classique. La prégnance de la culture antique. D’où l’invariance des archétypes et de leur enracinement religieux. Je rappelle à ce propos les analyses de Gilbert Durand et de Jean Servier, tous deux ayant eu une longue expérience maçonnique. Ils rappelaient que contre les obédiences purement préoccupées par la chose politique, « filles bâtardes » du symbolisme maçonnique, il convenait de rappeler, ce que ce grand maçon qu’était Joseph de Maistre nommait la structure « métapolitique » d’un chemin initiatique authentique. Et ce en référence aux Constitutions d’Anderson[2].
Umberto Eco, dans la somme tout à la fois romanesque et on ne peut plus documentée qu’est Le Pendule de Foucault, fait de subtiles analyses sur les Templiers, les Rose-Croix et divers ésotérismes. Bien évidemment les Francs-Maçons n’échappent pas à sa docte et quelque peu ironique faconde. C’est ainsi qu’il note que « ces marchands du Grand Orient, qui ne croient en rien, ont un cérémonial. »[3] Comme je viens de l’indiquer, ils « miment », ce sont des tricheurs. Ils détournent ainsi le « grand jeu symbolique » qu’est tout chemin initiatique. Nous eûmes une discussion à ce propos dans sa maison d’Émilie-Romagne. Et comme il savait que j’avais, dans la foulée de Gilbert Durand, quelques connaissances concernant la maçonnerie, la discussion fut des plus animée.
Pour Umberto Eco, les rites maçonniques étaient avant tout burlesques. En se rappelant que « burla », en italien, c’est la farce, la plaisanterie. C’était bien vu si l’on se souvient que le propre du burlesque consiste à détourner des choses nobles et sérieuses. Ce qui est bien la « voie substituée » d’un Grand Orient devenu, à l’encontre de la Tradition maçonnique, un micro parti politique ou un syndicat sans horizons !
Ainsi, au-delà d’un humanisme purement rationaliste ou sociétal, l’Ordre maçonnique pour reprendre une expression de Jacques Maritain, est un « Humanisme intégral » mettant l’accent sur la primauté du spirituel.
Ce qui revient à savoir garder le sens de la Tradition. Le sens des choses et le dépôt sacré qui le constitue. C’est bien ce « dépôt » que les maçons authentiques savent garder : ce qui est en jeu dans l’âme éternelle de l’humaine nature. Ce qui est non réductible à l’économie, au politique, au social. Ce qui les conduit à prendre au sérieux cet essentiel substrat humain qu’est le « sacral ». Et à être ainsi les tenants d’une authentique spiritualité humaine. Cette manière d’être et de penser est la cause ou l’effet d’une vie vécue en son entièreté. Ce qui est, au sens fort du terme, une véritable restauration. Restauration d’une conception organique du monde. Au-delà de la mécanicité propre à la modernité en voie d’achèvement, l’accent mis sur l’entièreté rejoue la solidarité organique, l’échange, la participation, en un mot la fraternité. C’est en étant attentif à cela que la Franc-Maçonnerie pourra être en phase avec l’époque post-moderne en gestation.
Comme l’a assuré, avec constance, ce grand franc-maçon qu’était Gilbert Durand, c’est la correspondance existant entre le symbolique et le sacré qui, au-delà des époques de décadence, assure la perdurance de l’espèce humaine.
Ce dont le chemin initiatique est la plus authentique expression. Ce qui est exactement la conception du « bien commun » ne se réduisant pas à un « sociétal » d’obédience politiste ou syndicale. La légitimité des diverses obédiences de l’Ordre maçonnique vient de leur conformité à la loi naturelle qui au-delà des droits rappelle l’importance de ce Simone Weil nommait les « obligations ». Au-delà du « droit-de-l’hommisme » propre au « wokisme », héritier direct de la philosophie des Lumières, ce sont les « devoirs », naturels et anthropologiques, dont les « landmarks » sont la plus pure expression, qui constituent le « trésor caché » d’une franc-maçonnerie authentique.
[1] Cf. B. Etienne, La Spiritualité maçonnique, Dervy 2006, et Une Grenade entrouverte, ed. de l’Aube, 1999. Cf. également Jean Baylot, La Voie substituée, recherche sur la déviation de la Franc-Maçonnerie, (1968), réed. Dervy, 2024. Pour ma part je développe cela dans M. Maffesoli, Le Grand Orient, les Lumières sont éteintes, éd. Trédaniel, 2023 et Le trésor caché. Lettre ouverte aux francs-maçons. Ed Leo Scheer 2015.
[2] Gilbert Durand, Les Mythes fondateurs de la Franc-maçonnerie (1999), ed. Dervy, 2024 ; Jean Servier, L’Homme et l’invisible, éd. Laffont, 1964.
[3] Umberto Eco, Le Pendule de Foucault, éd. Grasset, 1990, p. 288
J’ai écouté ce matin sur France Culture, Nicolas Penin, grand maître du Grand Orient de France (GODF) et j’ai noté avec intérêt sa volonté de développer encore plus la notion de “Faire Communs” de l’obédience, de l’international et des différentes loges, car on peut partager du commun (un siège social, des temples, des valeurs), sans faire communs.
Pour cela, il nous a parlé d’une innovation, la création d’un pôle de « vie obédientielle », complétée par la mise en place d’une « fabrique des idées » une société de pensée à l’intérieur de l’obédience, qui aura pour mission de générer encore plus au sein de l’Obédience cette réflexion maçonnique et sociale, ouverte sur le monde avec des intervenants, initiés ou non, pour « penser demain » et surtout l’universalisme.
Nous pouvons espérer que nous pourrons tous participer en tant que profane ou initié à ces réflexions.
A quoi peut bien servir l’initiation ?
Ceux qui critiquent l’auteur parce qu’il critique, ceux qui le juge intolérant parce qu’ils ne tolère pas ses points de vue, ceux qui répondent par l’insulte de « réac » valent-ils mieux que l’auteur ?
Merci à Michel MAFFESOLI de secouer le cocotier… La FM aurait pu (dû ?) être le conservatoire de l’ordre symbolique pérenne, langage originel de toutes les Révélations. Mais elle a reçu ses propres rites comme des “symboles” infra-réels. Cette option nominaliste en a fait le meilleur vecteur de “l’esprit des lumières”, relativiste, sceptique, source du “désenchantement du monde”.
“Humain, trop humain”, et finalement, par réduction, inhumain.
Il est indéniable que le discours officiel du godf ne comporte que des incantations sur la république , la laïcité , le rn…..Le jour ou ce discours de parti politique nfp et lfi bis changera il y aura moins de critiques …
La FM n’a pas été créée pour lutter contre tel ou tel parti ou se mêler des affaires de l’état mais pour aider a corriger ses propres défauts et non ceux des autres…Cette obédience pourrait se passer de rituels et décors ..des bistros ou salles des fêtes pourraient abriter leurs débats et incantations sur la marche de la république …
Etre, pour, ou contre Maffesoli ne devrait pas remuer autant le marigot maçonnique (en particulier G’;O’;tiste. Et même si ces échanges me rappellent ce proverbe africain disant qu’ : “Il ne faut pas
se moquer du crocodile avant d’avoir traverse le marigot”. De tels propos acerbes ne devraient pas émaner de Frères qui, sans doute plus aveuglés par leurs passions, qu’ “avancés” dans la connaissance des “choses” dont il est question, tentent d’abord de s’ériger en défenseur dogmatique d’un point de vue. En réalité tous auront compris qu’il existe encore beaucoup de vieux crocodiles, Rois du marigot, qui souhaitent garder le “temple” en triant plutôt qu’en rassemblant. Leur “ire” contre le ci-devant Maffesoli ne leur permettra, ni de garder un pouvoir en fuite, ni de garder le “contrôle” de leur clientèle. Tout change (très vite) en ce moment … ils oublient que le réchauffement inéluctable des eaux finira par les faire sortir de leur bac protecteur. Alors ……?
Et allez ! Encore une couche bien acide sur le GO. Ça devient pénible tous ces reacs qui n’ont que tolérance à la bouche mais ne supportent pas le fait que l’on ne pense pas comme eux !
Lamentable !
Ah les bagarres familiales !!! Lamentable de voir les fils de la veuve s’échapper….Humilité ne serait elle pas une vertu en maçonnerie ? La rivalité aurait-elle remplacé la complémentarité ?
Maçonnerie…. Votre conn… plutôt !
Ah ! La légendaire tolérance des maçons qui prétendent ‘réunir ce qui est épars” mais qui commencent pas flinguer tout ce qui ne colle par exactement à leur conception des choses. Se réunir entre clones est toujours plus simple que d’accepter la diversité.
Heureusement que nos anciens ont su trouver ce qui rassemblait au delà des différences sinon, la FM n’aurait tout simplement jamais existé.
Tout ça pour se ” payer” une fois de plus le GO…c’est très court et de parti pris évident. La pièce maîtresse de la pureté maçonnique c’est le serment dont l’obédience doit etre la gardienne farouche. Alors pourquoi ne pas intégrer la GLNF à l’analyse, alors que cette obédience affairiste piétine le serment au nom d’un Ordre universel…qui n’existe que dans la megalo de son chef suprême auto proclamé.