mar 17 septembre 2024 - 23:09

Abraham, la geste abrahamique, une interprétation symbolique

Du site blog-glif.fr – Du Frère Jean G. de la GLIF

Notre Très Cher Frère Jean G. s’est penché sur la geste du Patriarche Abraham. Il en a déduit une vision originale au travers le regard du mythe. Compte tenu de la richesse du contenu, son texte est publié en deux parties. Il écrit :

Giovanni Francesco Barbieri (1657).

Abraham est le premier des Patriarches. À ceux-ci, succéderont les Juges puis les Rois. Ces Rois sont ceux de la terre. Ils prennent possession de la matière, en véritables gestionnaires, au risque de perdre l’Esprit caché derrière l’image de la terre. Et les Rois s’éteindront. La suite des Patriarches et des Juges correspond à une longue période de maturation, de réflexion voire d’hésitation, même peut-être à un refus d’accepter notre appartenance à ce monde, dans la nostalgie de l’Au-delà. En parallèle il y eût des Prophètes. Dès le début Abraham est accompagné par « le dire » prophétique. C’est Sarah qui prophétise dans de nombreuses circonstances. Les Prophètes disent, sans répéter stricto sensu la Parole du Livre. Leurs propos sont inclus dans le Livre mais y échappent aussi. Le prophète est plus habité par son dire, qu’il ne le contrôle intellectuellement. D’une certaine manière il ne sait pas ce qu’il dit. Il évoque constamment un Monde au-delà de lui-même. La geste d’Abraham est une sorte de procrastination, devant la fatalité de prendre pied dans la manifestation, d’accepter de quitter la seule spiritualité, de fonder l’Histoire.

Abraham dans l’Histoire.

L’existence historique d’Abraham semble infirmée par toutes les recherches. Sa saga aurait été créée vers le VIèmesiècle av JC dans une perspective post exodique, alors que les Juifs étaient déportés à Babylone. Dans cette optique le long chemin d’Abraham, d’Ur à Haran vers les sources de l’Euphrate, puis vers Sichem, puis en Égypte et retour vers Canaan (environ 3 500 km) serait paradigmatique du destin des Juifs exilés.

                       

Le périple d’Abraham.

Quoi qu’il en soit, l’historicité d’Abraham est une énigme, dont la résolution est hors de portée. Mais que les textes en fassent une histoire est d’importance. Ce qui importe est la charge de sens inépuisable de cette aventure, qui se confond en fait avec le destin de chacun.

Nous ferons « comme si » Abraham avait existé (pour s’accorder respectueusement avec le dogme) et de toute façon, nous chercherons quelle est la signification (uniquement à notre avis) de la geste Abrahamique. Nous relèverons de très riches symboles qui pour avoir été cités sans doute bien avant nous, sont intéressants à repérer, répéter ou à souligner.

Le contexte géographique.

La naissance d’Abraham se situerait vers 1800 av JC, selon la tradition juive. Il est né en territoire sumérien à Ur (Our) près du delta de l’Euphrate et du Tigre, à 150 kms à l’ouest de la ville de Bassora actuelle, en Irak, dans une région à l’époque fertile, dépendant des crues très variables, voire tumultueuses, des deux fleuves, luttant contre des marées parfois envahissantes de la mer du Golfe Persique. L’origine des peuples sumériens est inconnue. Ils viendraient des Monts Zagros situés à l’Est du delta des deux fleuves. Les sumériens ne sont pas des sémites comme les akkadiens.

D’autres hypothèses évoquent une parenté avec les peuples de l’Indus, dravidiens dont sont issus les habitants actuels du sud de l’Inde. Certains parlent pour ces populations d’une ascendance homo sapiens africaine qui aurait migré vers cette région de l’Indus il y a 60 000 ans. D’autres parlent d’un peuplement Kousch, c’est-à-dire éthiopien, s’appuyant sur la citation de la Genèse en 10, 8-12 « Kouch engendra aussi Nemrod, celui qui le premier fut puissant sur la terre. » Sargon 1er akkadien qui vainquit les sumériens vers 3000 avant notre ère, se proclame en parlant de ces derniers comme « souverain des têtes noires », ce qui pourrait confirmer une origine lointaine africaine, soit par le détour de l’Indus, soit par celui de l’Éthiopie. De nos jours le sujet dépasse les débats de l’Ethnologie ou des sciences, pour n’être pas exempt de passion plus ou moins communautariste. 

Les Sumériens dépendaient intimement de l’eau. Ils avaient su drainer les terres par des canaux d’irrigation complexes. C’est sans doute la clef de leur prospérité. Mais c’est aussi une dépendance qui explique peut-être en partie leur chute. Le déluge qui apparaît pour la première fois dans une tradition écrite, en est un signe.

Le déluge narre une préoccupation vitale pour les sumériens, voire un événement en forme de catastrophe naturelle par submersion, inondation, tsunami, salinisation de terres fertiles par la montée des eaux de la mer ou au contraire retrait des eaux douces et des bassins d’alluvions.

Il est possible que la salinisation des eaux par la montée de la mer qui a dû se produire à cette époque géologique, ce qui semble attesté, entraîne une mise en danger de l’agriculture et de l’irrigation complexe à laquelle les sumériens devaient leur opulence.

La naissance d’un mythe.

Quand un sujet est tant évoqué par des hommes c’est qu’il les préoccupe et est imprimé profondément dans la mémoire collective même des siècles après. Un événement de type catastrophe écologique en rapport avec l’eau a possiblement marqué la vie des sumériens. Un mythe, est né, qui donne sens pour expurger toute la charge émotionnelle, mortifère et anxiogène. Les hommes ont vu dans le déluge la punition ou le courroux des dieux, justes ou pas, mais ils ont décidé de l’expliquer, sinon de le justifier.

            La XIème tablette de la version de Ninive de l’Épopée de Gilgamesh,

relatant le Déluge. British Museum.

Cette région prospère vit la naissance de l’écriture, dans un alphabet cunéiforme. Ainsi nous est parvenu le mythe de Gilgamesh créé à partir de l’histoire d’un roi attesté d’Ourouk dont la prospérité fut antérieure à sa voisine Ur vers 2500 ans av JC. L’Épopée de Gilgamesh nous livre une des premières théogonie et cosmogonie qui nous soient parvenues. La saga narre le passage de l’homme à la vie sédentaire, à l’agriculture, à la culture, à la fondation du concept de ville. En même temps s’organise un panthéon divin qui offre aux hommes une espérance face à l’angoisse de  mort qui torture le héros. Dans le récit est conté un déluge, fruit de la colère des dieux, dont est sauvé un ancêtre de Gilgamesh grâce à une embarcation qui protégera de l’extinction la vie humaine et animale en abritant des spécimens de chaque espèce.

Dans l’Épopée de Gilgamesh, les dieux anthropomorphes ne sont pas justes, ils sont capricieux, violents, lubriques et parmi eux règnent des figures exemptes de sagesse.

Généalogie d’Abraham.

Abraham est un sumérien, descendant de Noé par son père Terah. Il épousera Sarah, qui est, soit sa sœur, soit une demi-sœur (du même père) soit sa nièce, fille de Haran qui meurt dans un brasier, ayant refusé d’être idolâtre à l’instar de son père, haut dignitaire d’Ur.

Terah, dignitaire au service du roi d’Ur, adhère d’abord au culte local.

Si des exodes, d’Abram ou de peuples sumériens ont existé, quelles en sont les causes ? Autour de – 2500 ou – 2000, les cités sumériennes déclinent. Après Ourouk, Ur (ou Our), Éridou, les royaumes du sud s’affaiblissent. Babylone, plus au nord et Ninive s’affirment. Ces nouveaux peuples, dits akkadiens prennent le dessus sur les sumériens. Les Akkadiens viennent de Syrie, sont Amorites, peuple sémitique. Leur langue va se brasser avec le sumérien.

En tout cas les villes du sud sont supplantées par celles du centre du bassin de l’Euphrate, progressivement à partir du deuxième millénaire. Sont-t-elles balayées par la conquête militaire ? Il y a-t-il des changements écologiques importants ? Il y-a-t-il conjonction de plusieurs facteurs ?

Des envahisseurs ont peut-être profité de la situation. Ainsi les populations locales soumises à de nouveaux princes ou victimes de famines se sont-elles mises en marche pour chercher des terres plus hospitalières ou ont été déportées en esclavage ? Aujourd’hui nous parlerions d’immigration climatologique et de luttes ethniques de voisinage.

La conversion d’Abram.

Selon le Midrash Bereshit Rabbah 38 19, Abram n’adhère pas à la religion des idoles et du feu, à laquelle son père Thera et son ami et souverain Nemrod (ou Nimrod) adhèrent. Abram brise les idoles et son père le dénonce au roi. Ce dernier jette Abram dans le feu, qui en ressort miraculeusement indemne. Le frère d’Abram Haran[1] se jette dans le feu pour prouver qu’il partage les idées de son frère plus jeune. Il est brulé. Thera et Abram, Loth le fils d’Haran et leurs commensaux partent. Ils gagnent Haran (curieuse homonymie avec le nom du frère). C’est là que Thera mourra, faisant d’Abram, alors âgé de 70 ans, le chef de famille. À ce moment, Dieu se manifestera pour la première fois à Abram.

Dans la Genèse, Abram, « le Père est exalté » deviendra Abraham, « père d’une multitude de nations »

Le passage du nom : d’Abram à Abraham.

Le terme Abram est en rapport avec l’exaltation, soit pour lui-même soit vis-à-vis d’un Père exalté ou à exalter. Ce mot est d’une grande force et polysémique.  C’est à la fois élever, parfois au point de risquer, la démesure, le délire, voire la folie peut-être. « Contrôlée », l’exaltation a une dimension prophétique. Dans une acception chimique voire alchimique, c’est augmenter l’activité d’une substance sous l’action d’un catalyseur (cela n’identifie pas la nature de ce catalyseur, le divin peut-être). C’est aussi s’élever en esprit.

Abram devenant Abraham, le père d’une multitude, accède à un espace de réalité quasi matérielle. Il s’agit d’expandre sa « trace » sur la terre et de prendre possession de celle-ci. La réalisation est une nécessité, un passage obligé, mais ne constitue-t-elle pas une diminution de la dimension de notre héros ? D’Abram à Abraham n’y-a-t-il pas rétrécissement de l’amplitude des domaines, un passage de la puissance à la substance, du divin à l’humain ?

Ce passage de l’un à l’autre, longtemps refusé à Abraham par dieu lui-même comme s’il voulait le retenir ou nous faire comprendre que la vérité et la grandeur étaient dans Abram et non dans Abraham, dans l’esprit plus que dans la matière, se produit en plusieurs étapes et par l’entremise du féminin, dans sa dimension prophétique.

Alors qu’une grande descendance est promise à Abraham puis à Isaac, leur femme respective sont stériles. Alors qu’une terre est promise, ils restent nomades et plus ou moins chassés des pays qu’ils convoitent. Avant de devenir Abraham, l’homme est dans le manque (de terre, de descendance). Il n’est pas accompli, pas réalisé (au sens strict, c’est-à-dire pas de plein pied avec la réalité) ou plutôt a quitté paradoxalement la plénitude de l’exaltation.

Fin de la 1ère partie de la Geste abrahamique.

JG, 2024/07.

*

[1] Haran a été trouvé dans 6 verset(s) :

Gn 11 ; 26 : Térach, âgé de soixante-dix ans, engendra Abram, Nachor et Haran (Haran).

Gn 11 ; 27 :  Voici la postérité de Térach. Térach engendra Abram, Nachor et Haran (Haran). -Haran (Haran) engendra Lot.

Gn 11; 28 : Et Haran (Haran) mourut en présence de Térach, son père, au pays de sa naissance, à Ur en Chaldée

Gn 11 ; 29 : Abram et Nachor prirent des femmes : le nom de la femme d’Abram était Saraï, et le nom de la femme de Nachor était Milca, fille d’Haran (Haran), père de Milca et père de Jisca.

Gn 11 ; 31 : Térach prit Abram, son fils, et Lot, fils d’Haran (Haran), fils de son fils, et Saraï, sa belle-fille, femme d’Abram, son fils. Ils sortirent ensemble d’Ur en Chaldée, pour aller au pays de Canaan. Ils vinrent jusqu’à Charan, et ils y habitèrent.

1 Chroniques 23 ; 9 : Fils de Schimeï : Schelomith, Haziel et Haran (Haran), trois. Ce sont là les chefs des maisons paternelles de la famille de Laedan.

2 Commentaires

  1. Captivant, c’est le moins que l’on puisse dire.
    Cela permet de recadrer certains éléments et aux diverses interrogations tant historiques que religieuses que l’on se pose.
    En attente avec impatience de la suite.

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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