Le sémantisme latin *lim-exprime, sans surprise, l’idée de limite, c’est-à dire la ligne qui matérialise un changement entre deux espaces, un passage, au risque d’une transgression. De toute façon une cohabitation entre deux entités différentes, disparates, limitrophes.
Le limes historique, dans la géographie romaine antique, c’est le chemin qui borde un champ, puis l’espace entre deux cultures, celle de la romanité face à la menace de l’assaillant germanique potentiel, ou celle des occupants des brumes nordiques. On peut encore en voir la matérialisation dans le mur que l’empereur Hadrien, vers l’an 120 de notre ère, fit ériger entre l’Angleterre et l’Ecosse, en rempart contre les Pictes au Nord.
Une zone-tampon, no man’s land entre deux douanes, un paradis pour les lapins qui pullulaient entre les deux espaces berlinois, avant la chute du Mur.
*Limen, c’est le seuil, dont on élimine tout intrus. Les préliminaires permettent une approche sans heurts entre deux interlocuteurs, un sas de dédramatisation et d’apaisement, avant le franchissement du seuil, le passage sous le linteau, matériel ou symbolique.
Le seuil, même s’il a perdu son ancienne valeur symbolique, exprimait initialement le début – ou la fin – de quelque chose, la « limite marquant le passage à un autre état ». Se placer sur le seuil, avant d’entrer, c’est se mettre sous la protection du maître de maison. Lieu très craint, respecté, habité de divinités sourcilleuses, voire agressives, enclines à se sentir violées parce que piétinées par un étranger.
Divinités gardiennes d’une porte, qui participe du sémantisme de l’« épreuve » à traverser, parfois impossible comme l’aporie philosophique. Incursion toujours empirique dans un domaine encore inconnu. Potentiellement périlleux.
Bien imprudent quiconque fait fi du risque physique et magique que constitue le franchissement des limites.Risque de la « transgression », le fait de marcher à travers, vers un au-delà de la limite. Qui fait, même inconsciemment, changer de statut.
Nos sociétés contemporaines ont, dramatiquement, oublié les valeurs et la nécessité incontournable de la limite. Entre le silence de l’intime et sa divulgation bavarde, entre la pensée lentement mûrie et son immédiate expression sans frein. « Bah, c’est que des mots ! », entend-on à l’envi, à titre de justification décomplexée de tout excès verbal.
Parce qu’on n’a pas conscience du sublime !
*Limis, en latin, signifie « oblique », reprenant ainsi l’idée d’un mouvement qui n’est pas vertical, direct et sans obstacle. Parce que la limite existe, même symbolique.
Ainsi faut-il se méfier du message subliminal, sous la limite de la conscience, qui induirait des actes litigieux.
Le sublime désigne ce qui s’élève en pente, monte en ligne oblique, suspendu en l’air. Dans la décantation alchimique, c’est l’élément volatil qui se dissocie de l’ensemble de la matière, sous l’effet de la chaleur.
Sensation d’une dissociation dans la légèreté par rapport à la pesanteur de la réalité. Métamorphose vers un horizon qui permet de dépasser la pusillanimité du quotidien, la répétition sans grâce de l’ordinaire, ce qui offre la perspective d’une espérance propre à soulever l’insurmontable. Un envol lumineux, une utopie en marche, pourquoi pas ?
« Je voudrais que cette assemblée n’eût qu’une seule âme pour marcher à ce grand but, à ce but magnifique, à ce but sublime, l’abolition de la misère ! »
Victor Hugo, Discours sur la misère à l’Assemblée nationale, 9 juillet 1849
Annick DROGOU
Pour décrire la beauté, nos mots seront-ils toujours insuffisants, trop petits, en retard au rendez-vous infiniment espéré avec la beauté ? Et pourtant on ne cesse de vouloir contempler cette beauté, l’atteindre dans sa splendeur qui est sublime jusqu’à tutoyer les étoiles. Jusqu’à la limite. Jusqu’à se substituer à toutes les actions, à les sublimer.
Sublime, comme un en-dessous qui est déjà au-dessus. Un trop qui dit encore assez. Un lieu que l’intelligence réflexive ne peut atteindre. Un lieu où on ne peut que se projeter sans en connaître la réalité, au-delà de nos possibilités d’expression. Toucher au sublime, c’est envisager l’horizon de la fine pointe de l’âme.
Accéder au sublime comme à une sorte de supra-sensible, comme on parle des différentes couches de l’atmosphère. Pour le comprendre, on empruntera une métaphore aéronautique : le sublime est le contraire du rase-motte, c’est le haut vol, pas forcément de la voltige mais une altitude supérieure à toute mesquinerie. Là où on entrevoit la perfection dont la sagesse nous dit pourtant qu’elle n’est pas de ce monde. Là où le beau est la révélation sensible du bien, souverain. Alors, accéder au sublime, c’est déjà croire au ciel.
En chimie , le passage de l’état SOLIDE à l’état GAZEUX se nomme UNE SUBLIMATION. L’aspect symbolique de ce phénomène peut aider à imager le passage parfois complexe de la REALITE au SENTIMENT que l’on ressent lorsque l’on a l’impression d’avoir atteint un IDEAL. La SUBLIMATION est le le PASSAGE DIRECT de l’ETAT SOLIDE à l’ETAT GAZEUX ; Le symbolisme de ce changement d’état est ,semble-t-il, assez parlant pour comprendre le passage parfois énigmatique du CONCRET à l’ABSTRAIT de certaines choses.
Merci pour ce magnifique texte qui permet de mieux sentir le fameux texte « ….accéder au sublime grade de… ».
“S’élèvant en pente, montant en ligne oblique, suspendue en l’air…
“, “sensation d’une dissociation dans la légèreté par rapport à la pesanteur de la réalité” , la vasque des jeux olympiques de Paris ne serait qu’un pléonasme de sublime ? 😉