jeu 31 octobre 2024 - 09:10

Bible : quelques récents étonnements

Par recoupements avec d’autres sources, les historiens rétablissent une image crédible de ce qui s’est réellement passé lors de la naissance du peuple hébraïque et de sa religion. Les imports dans les légendes maçonniques sont eux aussi secoués.

La bible a longtemps été considérée comme à la fois livre religieux et historique. D’ailleurs il existe toujours des congrégations qui imposent une lecture au premier degré de tous les textes, d’où il ressort que le monde a été créé ex nihilo il y a environ 6000 ans. Heureusement, chez nous, tout n’ est que symbole.  Les historiens contemporains, eux, ont décidé de ne déclarer historique que les éléments que l’on a pu recouper avec d’autres sources. Ces autres sources sont les textes des peuples contemporains et voisins des tribus juives. Il y a d’abord les grandes puissances régionales, dont les peuples de taille plus modeste étaient souvent vassaux : l’Assyrie en Mésopotamie, relayée plus tard par Babylone, L’Egypte des pharaons, puis plus tard la Perse et enfin les grecs avec Alexandre le Grand et la période hellénistique. Mais les voisins plus modestes ont également des apports intéressants.

Par exemple, ils avaient des dieux tutélaires, avec leur cortège de légendes donnant d’éclairants parallèles avec la bible.  

Une immersive plongée dans cette époque, et dans le cheminement prudent de la pensée des historiens, est constituée par le livre «  l’invention de Dieu », de Thomas Römer, membre du Collège de France. Parmi les difficultés à ne pas négliger figurent l’écriture hébraïque ancienne, et son absence de transcription des voyelles, mais aussi les multiples recopies/traductions/remaniements qu’ont subi les textes. En effet,  les rouleaux de papyrus ou de peaux de chèvre ou de vache avaient une durée de vie limitée et leur contenu devait au bout de quelques décennies être recopié sur de nouveaux rouleaux. Il est néanmoins saisissant de suivre la progression de la pensée religieuse de ce peuple, sachant que pendant tout ce temps se déroulent des guerres, révoltes ou dominations avec à chaque fois des influences culturelles et cultuelles imposées. Au bout de tout cela fut inventée la notion de monothéisme, reprise par le christianisme et l’islam, quasiment inchangée depuis. La migration vers le monothéisme a nécessité beaucoup d’autres changements dans les pratiques et les mentalités, c’est l’objet de ce billet.

Offrons nous juste quelques arrêts sur image.

Yhwh se fait connaître lorsque Moïse, faisant paître le troupeau de son beau-père Jethro, se perd et arrive à une « montagne de dieu » appelée Horeb.  L’idée que le dieu Yhwh a une origine non israélite s’est assez vite imposée dans la recherche. Jethro était prêtre madianite, ce qui pointe la région sud avec notamment le Neguev. Autour des égyptiens gravitaient plusieurs peuples semi-nomades, dont les madianites, les Shasou et les Hapiru. Moïse était peut-être un révolté de l’un  de ces groupes. Une alliance est scellée entre Yhwh, qui se présente comme celui qui a vaincu les égyptiens, et le peuple de Moïse, et ratifiée par un rituel de sang. A noter que les sacrifices humains étaient courants à l’époque, chose que les transformations religieuses juives élimineront au cours du dernier millénaire avant JC, en parallèle de la marche vers le monothéisme.

D’autres dieux étaient vénérés à l’époque dont El ( ou El Elyon ), noms qui reviennent à plusieurs reprises dans la Genèse, par exemple en rapport avec Abram. On le retrouve aussi dans la dernière syllabe d’Israël , nom pris par Jacob après sa lutte.  

La véracité historique d’une victoire des révoltés conduits par Moïse sur les égyptiens est ébranlée depuis la découverte de la stèle du pharaon Merenptah, muette quant à un exode hors d’Egypte, mais indiquant que suite à une guerre «  Israël est détruit, sa semence même n’est plus ». Allez savoir.

Toujours est-il que ce dieu Yhwh a été introduit dans la région de Benjamin et Éphraïm où se trouve Israël. 

Le fait que Yhwh ne soit devenu le dieu du peuple d’Israël qu’au tournant du deuxième et du premier millénaire avant notre ère est conforté par les toponymes judéens ou israélites. Israël, étant le royaume du Nord, jouira de la prospérité avant la Judée, royaume du sud, et finira par prendre Samarie comme capitale. Mais le polythéisme régnait. A côté de El et Yhwh il y avait aussi un Baal, dieu de l’orage, similaire au Baal phénicien. Et les Baal étaient représentés par des taureaux…de là à voir Yhwh représenté par un taureau, il n’y a qu’un pas. Car oui, les statues n’étaient pas interdites à l’époque. L’imagerie pouvait aussi être une représentation stylisée : c’était le cas d’Ashérah, parèdre de Yhwh ( mentionnée dans la bible ). Et des pierres levées furent également utilisées, par exemple dans les sanctuaires de plein air des petites bourgades. C’est donc un autre point de la révolution monothéiste : l’élimination progressive, mais pas lente, de ces représentations pour obtenir l’aniconisme que nous connaissons.

Ceux qui ont surtout tenu la plume de l’écriture des textes bibliques provenaient du royaume judéen, et ils ont chargé la mule de la culpabilité du royaume du Nord.

C’était une explication nouvelle ( le storytelling, il n’y que ça qui marche ! ) : les échecs ont été provoqués par Yhwh en instrumentalisant nos ennemis, pour punir les juifs des irrégularités commises. La première de celles-ci est l’adoration d’autres dieux que Yhwh, dieu jaloux. Le veau d’or semble s’être situé à Samarie plutôt qu’au Sinaï. Le fervent yahwiste Jéhu a dû néanmoins se soumettre aux Assyriens et reconnaître du coup la suprématie de leurs dieux. Ceci a ouvert la porte à l’essor du royaume du Sud, notamment par déplacement d’une partie de la population du Nord.

Concernant le royaume de Judée, l’existence de la « maison de David » est attestée par une inscription araméenne retrouvée à Tel Dan. Les territoires de David se trouvent dans la zone d’influence des Philistins et David est représenté comme ayant été l’un de leurs vassaux.

Plusieurs épisodes concernent l’arche, protection mobile de Yhwh. 

Main sur la Bible lors du serment

(« Yhwh a dit qu’il voulait habiter dans l’obscurité. »)  La construction (ou rénovation) du temple vient ensuite, fort détaillée. Dans ce temple, serait réservée une sorte de chapelle latérale, un deuxième dĕḇîr, pour Yhwh. Le sanctuaire abriterait donc non pas un mais deux dieux !! N’est-ce pas étonnant ?

Je ne comprends pas pourquoi nos exégètes maçonniques ne se sont pas emparés de cette question vitale.

Ils étaient sans doute trop occupés à se quereller au sujet de l’obligation ou non de croire en un dogme révélé ( Laurence Dermott, si tu nous regardes… ).

Même à Jérusalem, Yhwh n’a pas été vénéré seul.

Bible et 3 grandes Lumières
Bible ouverte avec équerre, compas dans le Temple. Serment

À Moab au fil du temps les membres du panthéon cananéen s’effacent quelque peu derrière le dieu dynastique qui prend de plus en plus de place. Un développement similaire a sans doute eu lieu à Jérusalem.  Dans le cadre du culte royal, on a dû assez rapidement affirmer la supériorité de Yhwh sur la divinité solaire. L’importance du culte solaire à Jérusalem peut, entre autres, s’expliquer par l’influence égyptienne.

Contrairement au royaume du Nord, le Yhwh de Jérusalem a été fréquemment imaginé assis sur un trône flanqué de chérubins ou entouré de séraphins ( également courants dans l’iconographie assyrienne ).  Des trônes avec des chérubins figurent aussi sur le sarcophage du roi phénicien Ahiram ( tiens ? ) , daté entre le IXe et le VIIe siècle av JC.

Pendant que je vous tiens sur ce sujet, sachez que le seul Hiram de Tyr historiquement attesté se trouve sous le nom de Hirammu dans les annales du roi assyrien Tiglath-Piléser. Voilà, moi aussi je suis érudit.

Les récits de construction de temple sont nombreux dans les textes assyriens, et celui dans la bible leur ressemble mucho mucho…

La catastrophe de la destruction de Jérusalem et de l’exil par les Babyloniens en 587 a été expliquée par une ou des statues de Yhwh, ce qui a précipité l’interdiction des représentations. Le chandelier se substituera à la statue. Yhwh accompagnera les exilés à Babylone. « On ne dira plus : “Arche d’alliance de Yhwh.” Cet oracle substitue à l’arche, en tant que trône de Yhwh, la ville de Jérusalem qui tout entière devient le « siège » du dieu d’Israël, le centre du monde.

Être le seul vrai dieu n’autorise guère de partenaire, aussi Ashérah fut, malgré les résistances, « exfiltrée » comme relevant d’un culte non yahwiste.  En Mésopotamie, la « maison d’Ishtar » peut aussi désigner le bordel, et il existe sans doute un lien entre prostitution et culte d’Ishtar. L’interdiction de la prostitution dans les lieux de culte fut une autre des innovations bibliques.

Yhwh devient le dieu « un » et Jérusalem le seul endroit légitime pour pratiquer le culte sacrificiel. 

L’insistance sur l’unité de Yhwh s’accompagne de l’exigence d’un amour total et sans partage pour la divinité.  La fermeture (au moins théorique) des boucheries dans les sanctuaires locaux nécessite maintenant la permission d’un « abattage profane ».

La prise de Babylone par Cyrus en 539 avant notre ère permit le retour des exilés avec autorisation de pratique de leur culte.  Yhwh est certes le dieu qui règne sur tous les peuples, néanmoins, il entretient une relation particulière avec Israël.  Cependant, Israël ne doit pas « profiter » de cette connaissance, d’où l’interdiction, qui se précise durant la seconde partie de l’époque perse, de prononcer le nom de Yhwh. Satan apparaît sous l’influence mazdéiste du dualisme perse. Le remplacement des sacrifices animaliers par un sacrifice d’encens peut également refléter une influence perse car le mazdéisme préfère les sacrifices végétaux aux sacrifices sanglants.

Vu tout cet historique, le monothéisme yahwiste ne s’enracine plus dans l’idéologie royale, mais est une réaction à la disparition de la royauté et à l’écroulement de la religion nationale traditionnelle. 

Un des premiers gouverneurs de Yehud semble avoir été Zorobabel, un déporté, d’ascendance royale davidique et commis par les Perses.

Bible maçonnique
Bible maçonnique

Ceux-ci pensaient sans doute que son pedigree royal convaincrait la population autochtone de collaborer avec lui.  La disparition très soudaine de Zorobabel dans la Bible suggère cependant que les Perses l’ont démis de ses fonctions pour empêcher des attentes messianiques.

C’est le Pentateuque qui se substitue aux institutions politiques, mais aussi au pays, de sorte qu’il devient, pour reprendre une expression célèbre du poète Heinrich Heine, une « patrie portative » qui permet au judaïsme de vénérer Yhwh en conservant les lois qui se trouvent dans la Torah et qu’on peut lire partout où il y a des synagogues. Lorsque Pompée entre en 63 avant notre ère dans le temple de Jérusalem, il découvre avec stupéfaction qu’il est vide, ce qui paraît une chose inconcevable.

La transformation de Yhwh en dieu unique est achevée par le refus du judaïsme de l’appeler par son nom et, surtout, par la traduction de la Torah en grec, ce qui permet alors au monde entier (vu de la perspective gréco-romaine) de le découvrir et, éventuellement, de se tourner vers lui.

Ce trop court survol d’un millénaire particulier doit nous faire réfléchir au processus de formation des croyances, religieuses ou idéologiques. Comment ne pas voir que toutes ont été construites par « cherry-picking » d’éléments captés alentour ? Et en cela la franc-maçonnerie a fait strictement pareil.

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Patrick Van Denhove
Patrick Van Denhovehttps://www.lebandeau.net
Après une carrière bien remplie d'ingénieur dans le secteur de l'énergie, je peux enfin me consacrer aux sciences humaines ! Heureux en franc-maçonnerie, mon moteur est la curiosité, et le doute mon garde-fou.

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