jeu 19 septembre 2024 - 06:09

« Les inventions de reliques » : Par Laurent Ridel

Du site de Laurent Ridel decoder-eglises-chateaux.fr

Ne vous méprenez pas. L’invention de reliques ne signifie pas la création de reliques de toutes pièces. Inventer, ça veut aussi dire « trouver, découvrir une chose qui existe, mais jusque-là inconnue ». On invente des trésors, au sens où on les découvre. Pour les reliques c’est pareil : à la faveur de travaux dans les églises, ou grâce à un signe du ciel, on tombe parfois sur des tombeaux et donc des restes de saints. Comme en l’an 386, quand l’évêque de Milan Ambroise met au jour les corps de martyrs Gervais et Protais, apparemment parfaitement conservés (mais un peu pâlots). 

Cependant le Moyen Âge invente bien des reliques au sens premier du terme. Autrement dit, il y a des fraudes. Les croyants, qu’ils soient hommes du peuple, hommes d’Église ou rois, recherchent tellement les reliques que des escrocs trouvent leur vocation. Le moine Raoul Glaber raconte l’histoire d’un homme qui ouvrait les vieilles sépultures pour en retirer les os, les placer dans des reliquaires et les vendre comme reliques de saints, martyrs ou confesseurs. Les clercs ne sont pas toujours dupes. Guibert de Nogent (1053-1124) est par exemple sceptique sur l’authenticité des reliques de la cathédrale de Laon, en particulier le « lait de la Vierge ». A-t-on vraiment pu en recueillir quelques gouttes ? Le reliquaire montrait une sorte de poudre blanche. Plutôt que du lait en poudre, n’était-ce pas un peu de calcaire gratté dans une grotte de Bethléem ?  Le même Guibert s’interroge sur les reliques de saint Jean-Baptiste. Étant donné qu’à son époque, la possession de sa tête est revendiquée à la fois par Constantinople et Saint-Jean-d’Angély, faut-il conclure que le saint était bicéphale ? Bref, le clergé se méfiait de certaines découvertes. Et les fidèles ? Ils adoptaient probablement une attitude pragmatique. Si les reliques avaient réputation d’avoir guéri, c’est qu’elles devaient être vraies. On était alors prêt à visiter les églises qui les abritaient. 
Les pièges dans les sculptures
Je reprends ma série sur ces images religieuses qui trompent les visiteurs. Saurez-vous bien les interpréter ? J’avoue m’être parfois fait piéger.  En entrant dans la cathédrale de Chartres par le portail nord, vous êtes accueillis par la Vierge et l’Enfant Jésus.

Que nenni ! Dès qu’on voit une femme tenant un bébé dans ses bras, on a le réflexe d’y voir Marie et Jésus. Mais cette interprétation facile ne marche pas toujours. À Chartres, c’est sainte Anne, la mère de Marie, qui vous accueille. Marie joue donc ici le rôle du bébé. La perte de sa tête ne nous aide pas à identifier son sexe aujourd’hui.

Tout aussi trompeur est ce groupe sculpté.

Œuvre du XVIe siècle, il se trouve dans la cathédrale de Nevers. Ce n’est pas la Vierge et l’Enfant. Alors sainte Anne et Marie ? Encore perdu. Je suis diabolique aujourd’hui. 

La cathédrale de Nevers est dédiée à saint Cyr et sainte Julitte. Il fallait donc s’attendre à une mise en valeur de ce duo dans l’église. Comme la Vierge et l’Enfant, Julitte et Cyr sont mère et fils. La posture et les visages avenants de la sculpture ne laissent pas soupçonner leur histoire tragique. Sous l’Empire romain, Julitte et son fils furent arrêtés comme d’autres chrétiens et amenés devant le juge.

Pendant l’interrogatoire de sa mère, le jeune Cyr, âge de 3 à 5 ans selon les sources, s’exclama courageusement : « Moi aussi, je suis chrétien ». Cette déclaration mit le juge Alexandre dans une colère noire. Il tenta alors de faire taire l’enfant, mais celui-ci continua à proclamer sa foi. Fou de rage, le juge saisit violemment l’enfant par les pieds et le projeta contre les marches du tribunal. Cyr mourut sur le coup. Après avoir assisté à la mort brutale de son fils, Julitte fut à son tour torturée et martyrisée. Leur histoire a profondément marqué la chrétienté, faisant de saint Cyr l’un des plus jeunes martyrs chrétiens.

Au final, vous devriez rarement confondre les couples Cyr-Julitte et Marie-Jésus. Les premiers sont beaucoup moins figurés que les Vierges à l’Enfant. Surtout, dans les représentations que je connais, saint Cyr n’est jamais dans les bras de sa mère comme l’est Jésus. Il est debout.

Terminons par une image encore destinée à vous égarer. Vous allez me détester.

Dans ce bas-relief exposé au musée des Beaux-Arts de Lille, le repas est présidé par le Christ, reconnaissable à son visage barbu, son geste de bénédiction et son auréole timbrée d’une croix. Avant la lecture de cette infolettre, beaucoup d’entre vous auraient identifié la Cène, le dernier repas du Christ. Certes, le nombre d’apôtres n’y est pas, mais faute de place, les sculpteurs ne les représentent pas toujours au complet. À bien y regarder, il y a cependant trois intrus. Déjà les chiens qui s’amusent autour d’un os (mais ils n’ont aucune utilité dans notre essai d’interprétation). Ensuite une femme parmi les convives. Enfin une seconde au pied de la table. C’est elle qui est la clé de la scène. 

Elle essuie les pieds du Christ avec ses cheveux. Ce qui renvoie à un épisode de l’Évangile de Jean : « Six jours avant la Pâque, Jésus arriva à Béthanie, où était Lazare, qu’il avait ressuscité des morts. Là, on lui fit un souper ; Marthe servait, et Lazare était un de ceux qui se trouvaient à table avec lui.Marie, ayant pris une livre d’un parfum de nard pur de grand prix, oignit les pieds de Jésus, et elle lui essuya les pieds avec ses cheveux ; et la maison fut remplie de l’odeur du parfum ».  Vous ne regardez donc pas la Cène mais un épisode moins connu du Nouveau Testament : le repas chez Lazare. La femme nommée Marie est souvent assimilée à Marie-Madeleine en dépit de l’absence de liens.  Avec ces quelques exemples, je vous ai rendu sûrement plus prudent sur l’interprétation des saints et des scènes. Heureusement, la plupart du temps, vous tomberez sur des cas plus évidents. Ne soyez donc pas découragé.
Le livre « Décoder les abbayes et monastères de France »
Il y a deux mois, je vous informais de mon projet d’écrire un livre numérique sur les abbayes. Sa rédaction a pris du retard, car j’ai dû revoir ma copie. En effet, dans mon dernier sondage, vous avez choisi en majorité d’avoir un livre plus infographique que narratif.  Le deuxième chapitre est presque terminé. 12 d’entre vous sont actuellement en train de relire le premier chapitre. La machine est bien lancée pour que le travail soit terminé le mois prochain. Je réitère mon appel : si vous connaissez des romans ou des films qui se déroulent largement dans des monastères ou des abbayes, je les insérerai dans la bibliographie. 
Passez un bon état. A dimanche prochain
Laurent Ridel, le décodeur d’églises et de châteaux 

1 COMMENTAIRE

  1. Une formidable relique…une relique de rêves….la tête de St Denis..dans le bouclier de clovis..ou ” la coruption découverte et la punition..sont prix à payé…avec le symbolique vase de soisson et quoi qu’on en dise..” lutter contre la corruption ” contre la division..pour rester fort et unies..la vraie liberté étant dans la vérité…vous savez….Le seul bon chemin..

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