jeu 31 octobre 2024 - 09:10

« Le chant des Italiens » : un hymne maçonnique

Ce qui est communément appelé par son incipit, Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), a pour titre original « Il Canto degli Italiani » (Le chant des Italiens). Une exégèse non superficielle du texte révèle clairement sa nature maçonnique et républicaine.

Avec la fraternelle autorisation du blog italien Delta6017.

Dans l’hymne, c’est avant tout l’unité de l’Italie qui est souhaitée, illustrée de manière détaillé par le rappel de moments historiques significatifs dans ses différentes régions, “des Alpes à la Sicile”. L’horizon dans lequel le texte se développe suggère que la “fusion” ne doit pas se traduire par un aplatissement qui oublie ou supprime le grand patrimoine des différentes réalités locales. Loin de là. C’est une union harmonieuse d’histoires, liées par un dénominateur commun, qui doit être rappelée et transmise.

Mazzini disait : “l’institution républicaine est la seule qui assure cet avenir” (La Giovine Italia, 1831). Goffredo Mameli, avec son hymne ouvertement républicain, soutient avec enthousiasme l’idée d’une telle forme institutionnelle. Publius Cornelius Scipio dit “Africanus”, la Ligue lombarde, Francesco Ferrucci, Giovanni Battista Perasso dit “Balilla”, c’est-à-dire les modèles d’action que Mameli énumère dans la quatrième strophe, sont certes des exemples de la lutte contre l’étranger, mais ils sont aussi un symbole de l’institution républicaine en lutte contre le gouvernement monarchique. En effet, parmi les gloires de Rome, rappelées avec une rhétorique vibrante comme l’exigeait l’esprit du temps, c’est le chef républicain Scipion “Africanus” (Scipio) qui est exalté, et non Jules César, Auguste ou tout autre empereur important.

D’un point de vue purement esthétique, l’hymne de Mameli présente des faiblesses évidentes, tant dans les paroles que dans la mélodie de Michele Novaro. Mais, malgré ses défauts artistiques, « Il Canto degli Italiani » réussit infailliblement à impliquer émotionnellement les auditeurs et à provoquer un sentiment de fierté d’appartenir à une nation qui découle d’une longue histoire commune et qui incite à surmonter les divisions et les oppositions. Giuseppe Verdi l’a bien compris qui, en 1864, l’a repris avec l’hymne national français La Marseillaise (écrit et mis en musique par Claude Joseph Rouget de Lisle) et l’hymne anglais God Save the Queen (d’Anonyme) dans son « Inno delle Nazioni » (hymne des nations). Aujourd’hui encore, plus de cent cinquante ans après sa naissance, avec la sincérité de ses intentions, son élan de jeunesse et l’émotion qu’il peut susciter, l’hymne de Mameli continue de toucher des cordes sensibles.

L’idéal fondamental qui animait le Risorgimento italien était la réalisation de l’unité de la patrie. Depuis la fin de l’Empire romain d’Occident, l’Italie avait été fragmentée en une myriade d’États plus ou moins grands, tantôt faibles et éphémères, tantôt puissants et durables, mais presque toujours désireux de défendre leurs intérêts particuliers ou de se livrer à de féroces luttes fratricides qui avaient affaibli l’idée même de nation et avaient inévitablement favorisé, quand elles ne l’avaient pas encouragé, l’occupation étrangère. En 1815, après la chute de Napoléon Ier, le Congrès de Vienne avait sanctionné la division du territoire italien en neuf États.

« Le Canto degli Italiani », dans sa version originale, contenait l’expression “Evviva l’Italia” (vive l’Italie) dans son premier couplet, un incipit banalement faible, caractérisé par un enthousiasme générique, stérile et étouffant. En revanche, l’expression “frères d’Italie” a pris une connotation très différente. Le terme “frères” est le nom que les francs-maçons se donnent entre eux, la fraternité étant, avec la liberté et l’égalité, le fondement éthique de la franc-maçonnerie. L’hymne est donc devenu une véritable proclamation exhortative qui a secoué les consciences de destinataires bien précis : les “frères” italiens de l’auteur.

L’hymne a été appelé par certains la “Marseillaise italienne”. Une association inappropriée, non seulement parce que La Marseillaise est un hymne de guerre composé pour fortifier les soldats français de l’armée du Rhin engagés dans la défense de la jeune république née de la révolution, mais surtout parce qu’il utilise le terme d’enfants – qui dans le langage courant signifie “fils” – et non celui de “frères”. La différence est fondamentale, car les enfants ont un statut qui les relie hiérarchiquement à un père et une mère qui les guident avec autorité, alors que le terme “frères” implique une union horizontale et égalitaire.
« Il Canto degli Italiani » a été qualifié d’hymne blasphématoire et antireligieux, alors qu’une analyse même superficielle du texte met en évidence la foi profonde de son auteur. La troisième strophe, en particulier, qui est la strophe centrale de tout l’hymne, est une synthèse de la vocation maçonnique et religieuse de son auteur. Le programme d’action que se fixent les francs-maçons est de s’unir et de s’aimer pour révéler au monde que les voies de Dieu sont l’union et l’amour universels.

L’hymne fait également référence à l’histoire religieuse européenne, en particulier aux événements des mouvements paupéristes du 13e siècle. À cette époque, le besoin de renouvellement du clergé, relâché, corrompu et sclérosé, se faisait fortement sentir. Il est devenu sourd aux besoins de survie de larges couches de la population qui souffrent de la misère, de la désolation et de l’abandon. Dans le nouveau climat spirituel, les pauvres deviennent des frères qui ont besoin d’autres frères pour leur venir en aide. Il s’agit d’une véritable révolution intérieure, aux répercussions sociales indéniables, où la métaphore des “frères” a l’énergie de dépasser les clivages sociaux et de rendre leur dignité aux pauvres. Il n’est plus le foudroyé de Dieu, porteur d’on ne sait quelles fautes, en tout cas l’icône du mal présent dans le monde aux prises avec un destin auquel il semble devoir se résigner. Il est simplement l’autre compris comme un prochain à aider, donc non pas un étranger mais un frère. Les exemples de la chevalerie, des cathares, de François d’Assise et de Pierre Valdo, dans leur diversité, sont peut-être les plus significatifs. Il est surprenant de constater la nécessité pour les mouvements spirituels d’aider leurs frères pauvres. Ce sont des frères qui se consacrent au soin d’autres frères. En ce sens, l’harmonie d’une famille est rétablie, non pas au sens naturel des liens biologiques, mais au sens spirituel, fortement imprégné d’idéalité. Le terme “frère” est typique du XIIIe siècle, bien que le mot latin frater ait acquis une connotation religieuse dès le IVe siècle.

Il est à noter que, tant dans la franc-maçonnerie que dans les mouvements paupéristes médiévaux, le terme qui les caractérise est celui de “frère” et “sœur” et non d’autres, tels que: ami, camarade, associé, collègue qui caractérisent l’engagement politique, les unions commerciales, les sociétés qui ont une fonction plus nettement matérielle et moins spirituelle. La franc-maçonnerie y a ses racines profondes, mais elle est aussi indubitablement liée aux Lumières européennes du 18e siècle Tous ceux qui, au nom de la raison éclairée, entendent combattre les ténèbres de l’ignorance et de la superstition sont reconnus comme des “frères” et s’apportent à ce titre une aide mutuelle et une assistance bienveillante. Une sorte de fraternité morale, de cosmopolitisme fraternel. Par essence, les francs-maçons visent à répandre “l’amour fraternel entre les hommes” dans le respect des croyances religieuses de chacun. La recherche de la vérité et de la fraternité doit en effet servir à réunir l’humanité en combattant l’ignorance et le fanatisme.

Le concept de fraternité inhérent à la franc-maçonnerie s’apparente à un “lien mystique fraternel”. Il est certain, au-delà des interprétations et des déviations historiques, que même dans ce cas le terme “frère” prend une connotation de type idéal et moral. La fraternité maçonnique se comprend donc comme une extension, une transfiguration du lien biologique et familial et s’élève à un mode de relation caractérisé par l’entraide jusqu’au dévouement de la vie. Si, à notre époque, la figure du frère biologique est ternie et risque de perdre de sa valeur, la figure idéale de la fraternité comprise comme un lien exemplaire demeure.

Il est intéressant de noter que dans les relations avec le Mal, avec Satan, le terme de frère n’est jamais utilisé, mais celui de fils-esclave, de soumis. Et ce, non seulement par ceux qui identifient Satan comme l’antagoniste, mais aussi par ses propres adeptes. En définitive, dans le satanisme, c’est le besoin de montrer une relation de soumission qui domine, alors que dans la fraternité, qui découle de la filiation divine commune qui n’asservit pas mais rend libre, la relation est égale. En ce sens, les enfants de Satan se distinguent des enfants de Dieu, les enfants des Ténèbres des enfants de la Lumière.

Mameli était franc-maçon, pas athée. Toutes les références religieuses et divines de l’hymne le prouvent. L’anticléricalisme maçonnique du XIXe siècle ne doit pas être confondu avec l’incroyance, qui ne voulait pas avoir et n’avait pas une connotation purement antireligieuse, mais avait une valeur idéologico-politique évidente. C’est la fin du pouvoir temporel des papes qui était l’objectif des francs-maçons et des libéraux irrédentistes, la fin d’un dogmatisme asservissant et non la fin du christianisme en tant que tel. Inversement, la croyance en l’inséparabilité de la nature du chef religieux et du souverain temporel attribuée par le catholicisme à la personne de l’évêque de Rome rendait blasphématoire l’objectif des patriotes italiens.

Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui encore, même dans l’étroitesse territoriale de son État, le pape est un monarque absolu. Si aujourd’hui le pape a gagné en autorité spirituelle et morale, même aux yeux des non-catholiques, il le doit à la perte de son importance en tant que monarque politique, en tant que chef d’un État en proie à des luttes de pouvoir temporelles. Paradoxalement, on peut dire que le 20 septembre 1870, jour de la prise de Rome par les « Bersaglieri » du général Alfonso La Marmora, lui aussi franc-maçon, a été une date faste non seulement pour l’Italie, mais aussi pour l’Église catholique, libérée du pouvoir temporel. Mais le chemin vers la libération des prétentions monopolistiques et dogmatiques sur la Vérité et l’affirmation de la liberté de la recherche spirituelle est encore long.

Extrait des archives du Delta6017.it (M. M.)

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Nicola Gentile
Nicola Gentile
Nicola Gentile né en Italie en 1968 obtient un Diplôme de 3ème cycle en Psychologie à l’Université de Padoue (1996). Après quelques expériences de travail et études à l’étranger, notamment à Londres et à Bruxelles, Nicola continue ses études en France où il obtient un DESS toujours en psychologie (Nice 1998). Premier pas en tant que praticien en cabinet et en même temps enseignant formateur en langue italienne. Traducteur en libéral il fonde sa première agence en 2000 à Nice (Studio Gentile) à laquelle s’ajoute une deuxième en 2012 à Monaco, les deux sont toujours en activité pour des projets de traduction, sous-titrage, interprétariat plurilingues. Traducteur assermenté, formateur d’italien pour adultes au sein de Grandes Ecoles et d’Université. Nicola est né à la loge Hélios à l'Or∴ de Beausoleil en 2015.

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