ven 23 août 2024 - 06:08

Le cri de révolte de Edward Sexby : Une lecture maçonnique de “Tuer n’est pas assassiner”

« Qui peut lire ce livre et penser qu’un tyran doit vivre ? » écrivait Edward Sexby…

L’été est souvent une période de lectures diversifiées, où l’on alterne entre les œuvres légères et les textes plus profonds, aptes à susciter la réflexion et à nourrir l’esprit. Tuer n’est pas assassiner d’Edward Sexby se situe résolument dans cette seconde catégorie.

Malgré sa brièveté, ce pamphlet historique offre une densité de pensée et une intensité émotionnelle qui en font un choix idéal pour ceux qui souhaitent profiter de leur temps libre pour plonger dans des réflexions politiques et philosophiques intenses.

Sa lecture permet de redécouvrir les tumultes de l’Angleterre du XVIIe siècle tout en offrant des perspectives sur des questions éternelles de pouvoir, de justice et de légitimité.

Dans l’œuvre d’Edward Sexby, Tuer n’est pas assassiner, se dessine une fresque poignante et désabusée de la révolte et de la justice face à la tyrannie. Ce pamphlet, rédigé avec une passion indomptable et une logique implacable, transcende son époque pour résonner à travers les siècles, rappelant à chaque génération que la lutte contre l’oppression est à la fois éternelle et nécessaire.

Jacques Carpentier de Marigny

L’auteur, soldat et niveleur, incarne la voix des désabusés et des trahis de la révolution anglaise, celle qui porta Oliver Cromwell (1599-1658) au pouvoir. Edward Sexby, sous le pseudonyme de William Allen, dévoile dans ce court mais incisif texte, une analyse profonde de la légitimité du pouvoir et du droit à la rébellion. La traduction fluide de Jacques Carpentier de Marigny parvient à capturer l’essence furieuse et désenchantée de l’original, offrant aux lecteurs français une fenêtre claire sur les tumultes de l’Angleterre du XVIIe siècle.

Comprendre le contexte historique du XVIIe siècle

C’est essentiel pour saisir pourquoi la franc-maçonnerie, souvent désignée comme le “Centre de l’Union”, a émergé au XVIIIe siècle. Le XVIIe siècle fut une période de turbulences politiques, sociales et religieuses en Europe, marquée par des guerres civiles, des révolutions et des transformations profondes des structures de pouvoir.

Oliver Cromwell par Samuel Cooper

L’Angleterre, en particulier, connut des bouleversements significatifs. La Guerre civile anglaise (1642-1651) opposa les forces royalistes fidèles au roi Charles Ier aux parlementaires dirigés par Olivier Cromwell. Cette guerre aboutit à l’exécution de Charles Ier en 1649 et à l’établissement d’un gouvernement républicain sous la direction de Cromwell, qui devint lord-protecteur en 1653. Cependant, ce régime républicain, loin d’apporter stabilité et démocratie, se transforma rapidement en une dictature militaire, avec Cromwell exerçant un pouvoir autoritaire jusqu’à sa mort en 1658. Son régime, bien qu’il ait tenté de moderniser le pays, se caractérisait par la répression des opposants, la censure et un contrôle rigide sur la société.

Ce contexte de luttes pour le pouvoir, de renversements politiques et de quête de nouveaux systèmes de gouvernement a profondément marqué les esprits. Les idéaux de liberté, d’égalité et de justice furent au cœur des débats, et de nombreux penseurs et activistes cherchaient des moyens de restructurer la société sur des bases plus équitables et morales. C’est dans cette atmosphère de quête de réformes et de stabilité que la franc-maçonnerie a commencé à prendre forme.

signature d’Oliver Cromwell

Au début du XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie moderne, telle que nous la connaissons, commença à se structurer officiellement. En 1717, quatre loges maçonniques de Londres se réunirent pour former la première Grande Loge de Londres et de Westminster, marquant le début de la franc-maçonnerie spéculative. Cette nouvelle forme de franc-maçonnerie, distincte de ses origines opératives, se voulait un « centre de l’union », un espace où des hommes de différentes croyances, classes sociales et opinions politiques pouvaient se rencontrer en harmonie et travailler ensemble à l’amélioration de l’humanité.

Caricature hollandaise représentant Oliver Cromwell en monarque

L’apparition de la franc-maçonnerie à cette époque peut être vue comme une réponse aux divisions et aux conflits du siècle précédent. Elle offrait un cadre structuré et symbolique où les idées de fraternité, de tolérance et de progrès pouvaient être cultivées. La franc-maçonnerie se proposait de transcender les clivages sociaux et politiques en mettant l’accent sur des valeurs universelles et humanistes.

De plus, la franc-maçonnerie s’inspirait des Lumières, un mouvement intellectuel qui prônait la raison, la science et l’amélioration de la condition humaine. Les loges maçonniques devinrent des lieux de discussion et de diffusion des idées éclairées, jouant un rôle crucial dans la propagation des idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité qui culmineraient plus tard dans les révolutions américaine et française.

Ainsi, en comprenant le contexte tumultueux du XVIIe siècle, on peut mieux appréhender pourquoi la franc-maçonnerie a émergé au XVIIIe siècle comme un centre de l’union. Elle représentait une aspiration à l’unité et à la reconstruction sociale sur des bases plus justes et éclairées, en réponse aux excès et aux injustices du passé.

À qui s’adresse Edward Sexby ?

L’auteur s’adresse directement aux soldats et officiers, ceux-là mêmes qui avaient rêvé de liberté et se retrouvent désormais les instruments d’une tyrannie qu’ils avaient combattu. Il s’adresse aussi au peuple, le souverain véritable de la République, avec une série d’arguments qui frappent par leur rigueur et leur pertinence : Cromwell est-il un tyran ? Oui, car il a usurpé le pouvoir par la force et trahi la cause de la révolution. Est-il légitime de tuer un tyran ? Oui, car la justice humaine ne peut se soumettre à une injustice divine. Ce meurtre est-il nécessaire à la République ? Absolument, car la survie de la liberté dépend de l’élimination de ceux qui la menacent.

 
Portrait posthume de Nicolas Machiavel, détail – Santi di Tito,
Étienne de La Boétie

L’ouvrage, au-delà de son contexte historique, se place dans une tradition littéraire de critique de la domination, rejoignant les œuvres de Machiavel et de La Boétie (relire analyse du Discours de la servitude volontaire). La puissance de son argumentation et la clarté de son propos en ont fait un texte de référence, réédité à maintes reprises pour dénoncer d’autres tyrannies, d’autres usurpations. Chaque réédition est un rappel de la pertinence intemporelle du combat contre l’oppression, qu’elle prenne le visage de Cromwell, de Robespierre, de Lénine, ou d’autres figures du pouvoir illégitime.

La traduction de Jacques Carpentier de Marigny, frondeur et pamphlétaire, ajoute une dimension supplémentaire à cette œuvre. Elle montre que la dénonciation de la tyrannie et la lutte pour la justice transcendent les frontières et les époques. Carpentier de Marigny, en exil et en rébellion contre le Cardinal Mazarin, voit dans l’œuvre de Edward Sexby une justification de sa propre lutte, appliquant les arguments contre Cromwell à son propre adversaire.

En somme, Tuer n’est pas assassiner est une lecture indispensable pour quiconque s’interroge sur la nature du pouvoir, la légitimité de l’autorité et le droit à la rébellion. C’est une œuvre qui résonne profondément avec l’esprit des révolutionnaires de tous les temps, rappelant que la quête de justice et de liberté ne s’achève jamais, mais se renouvelle constamment face aux nouveaux visages de la tyrannie. Edward Sexby nous invite, avec une audace et une conviction inébranlables, à ne jamais cesser de lutter pour un monde plus juste et plus libre.

Alors, Tuer n’est pas assassiner toujours d’actualité ?

En abordant la pertinence actuelle de cet ouvrage, force est de constater que l’ouvrage demeure d’une actualité frappante. Les thèmes abordés par Edward Sexby, notamment la légitimité de l’autorité, le droit à la rébellion et la dénonciation de la tyrannie, trouvent encore aujourd’hui une résonance particulière. Dans un monde où les abus de pouvoir et les gouvernements autoritaires ne sont pas rares, les arguments de Edward Sexby sur la nécessité de résister à l’oppression continuent d’inspirer et de provoquer la réflexion. Le pamphlet offre une perspective historique qui éclaire les débats contemporains sur la démocratie, les droits humains et les responsabilités citoyennes face à l’injustice.

Pour un franc-maçon, la lecture et l’interprétation de Tuer n’est pas assassiner revêtent une dimension particulière. La franc-maçonnerie, fondée sur des principes de liberté, d’égalité et de fraternité, encourage ses membres à rechercher la vérité, à défendre la justice et à lutter contre la tyrannie. Dans ce contexte, l’œuvre de Edward Sexby peut être perçue comme une illustration historique de ces idéaux maçonniques. Un franc-maçon pourrait voir dans ce pamphlet un appel à la vigilance et à l’action contre toute forme de despotisme, une exhortation à ne jamais se résigner face à l’injustice.

La démarche de Edward Sexby, consistant à s’adresser directement au peuple et aux soldats, peut être interprétée par un franc-maçon comme un acte de courage moral et de fidélité à des principes supérieurs. De plus, la fraternité et la solidarité entre les révolutionnaires, évoquées par Edward Sexby, résonnent avec les valeurs maçonniques de soutien mutuel et de cohésion communautaire. Enfin, la question centrale de la légitimité de l’autorité et du droit à la révolte peut susciter des débats enrichissants au sein des loges maçonniques, où les membres sont encouragés à explorer et à discuter des idées philosophiques et politiques.

Ainsi, Tuer n’est pas assassiner d’Edward Edward Sexby, en plus d’être une lecture captivante et stimulante pour l’été, reste un texte d’une actualité indéniable. Pour les francs-maçons, il offre une source précieuse de réflexion sur les valeurs de liberté et de justice, et sur le rôle que chaque individu peut jouer dans la lutte contre la tyrannie et pour la préservation de la démocratie.

« Idem velle, ac idem nolle », soit « Les mêmes désirs et les mêmes répugnances ». Cette citation de Salluste est la devise des éditions Allia.

Les Éditions Allia

Nées en 1982 sous l’impulsion de Gérard Berréby, elles se distinguent comme une maison d’édition française ancrée au cœur de Paris (IVe arr.), au 16 rue Charlemagne. Leur nom, emprunté avec une certaine malice à un fabricant de toilettes et d’urinoirs, présage déjà d’une audace et d’un esprit non conformiste. Les débuts furent modestes, avec seulement une dizaine de titres publiés en six ans. C’est en 1988 que la maison prend véritablement son envol, marquée par la publication de “Histoire de ma fuite” de Casanova, une œuvre emblématique qui amorce une nouvelle ère pour Allia.

Drapeau du Commonwealth d’Angleterre – Ordonnance du 12 avril 1654

Au fil des ans, les Éditions Allia se sont forgé une identité forte, traversée par un thème récurrent : la révolte. Qu’il s’agisse des révolutions politiques portées par Karl Marx ou Boris Souvarine, des avant-gardes artistiques du début du XXe siècle avec Dada, Michel Larionov ou Raoul Hausmann, ou encore de l’Internationale situationniste incarnée par Guy Debord, Michèle Bernstein et Ralph Rumney, la maison d’édition ne cesse de s’affirmer comme un bastion de la pensée contestataire et avant-gardiste. La musique, et en particulier l’esthétique du rock, trouve également sa place dans ce panthéon éditorial avec des auteurs comme Nick Tosches et Nik Cohn, tandis que les dystopies contemporaines sont explorées par des plumes telles que Bruce Bégout, Mike Davis, Michel Bounan et Francesco Masci. En 2002, l’œuvre Rapport sur moi de Grégoire Bouillier reçoit le prestigieux prix de Flore, consolidant la réputation d’Allia dans le paysage littéraire.

Portrait de Comwell, c. 1649

Aujourd’hui, le catalogue des Éditions Allia compte plus de 1000 titres. Chaque ouvrage se distingue par une esthétique singulière, avec des couvertures soignées, un papier de qualité et une rigueur typographique exemplaire. Ces caractéristiques ne sont pas de simples choix esthétiques, mais un reflet de l’engagement de la maison pour l’excellence et l’originalité éditoriale. En célébrant la révolte sous toutes ses formes, Allia continue de défier les conventions, invitant ses lecteurs à une réflexion profonde et souvent subversive sur le monde qui les entoure.

Tuer n’est pas assassiner

Edward Sexby – Traduit de l’anglais par Jacques Carpentier de Marigny

Éditions Alia, 2024, 80 pages, 7 €

Pièce de monnaie d’Oliver Cromwell, 1656

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti est directeur de la rédaction de 450.fm. Il a fait l’essentiel de sa carrière dans une grande banque ancrée dans nos territoires. Petit-fils du Compagnon de l’Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis (UC) Pierre Reynal, dit « Corrézien la Fraternité », il s’est engagé depuis fort longtemps sur le sentier des sciences traditionnelles et des sociétés initiatiques. Chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France (IMF) et médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie (Musée de France), il collabore à de nombreux ouvrages liés à l’Art Royal et rédige des notes de lecture pour plusieurs revues obédientielles dont « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France et « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain ou encore « Le Compagnonnage » de l’UC. Initiateur des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, il en a été le commissaire général. En 2023, il est fait membre d'honneur des Imaginales Maçonniques & Ésotériques d'Épinal (IM&EE).

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