(Michel de Ramsay (1686-1743) de l’écossisme comme roman familial)
« Penser, c’est avant tout vouloir créer un monde (ou limiter le sien, ce qui revient au même). C’est partir du désaccord fondamental qui sépare l’homme de son expérience pour trouver un terrain d’entente selon sa nostalgie, un univers corseté de raisons ou éclairé d ‘analogies qui permette de résoudre le divorce insupportable ».
Albert Camus (Le mythe de Sisyphe)
En France, tout commence par des blagues et finit en métaphysique ! Côté blague, un ami, non-Maçon, me disait dernièrement : « Vous les Maçons, vous êtes formidables : en vous réclamant d’idéaux républicains et laïques, vous avez retrouvé le moyen, dans certains grades, de créer une chevalerie-bidon qui est plus nombreuse que celle de l’Ancien Régime ! 1789. Au secours le bourgeois, se prend pour un gentilhomme dont il visait la place depuis longtemps ! ». Cette saillie qui, par certains côtés, n’est pas aussi fausse que cela, ne pouvait qu’attirer notre attention. En effet, quelle transformation interne amena la Maçonnerie à intégrer dans son vécu symbolique une idéologie qui lui était étrangère ? Cela nous amène, pour y répondre, à interroger la psychanalyse sur le phénomène classique de la mise en place d’un roman familial propre aux sujets et aux institutions, et de l’influence personnelle d’un personnage venu du catholicisme, avide lui-même de reconnaissance personnelle, André Michel « de »Ramsay (1686-1743), entré tardivement en Maçonnerie, inventeur de la filiation avec la geste totalement imaginaire de la chevalerie des croisades, créant ainsi un « ennoblissement » style « galerie des ancêtres », sur un monde lié à la Réforme protestante et aux entrepreneurs de la bourgeoisie britannique (Les origines sociales des Maçons conservés par les Archives maçonniques en Grande-Bretagne en font foi !).
Cette innovation faisait de la Maçonnerie l’illustration du « Bourgeois gentilhomme » tellement avide d’être reconnu par le « haut du panier », sans aucune chance d’ailleurs : il était peu probable que la noblesse reconnaisse comme interlocuteurs des personnes issues du commerce ou des classes-moyennes s’octroyant des titres qu’ils portaient depuis des générations ! Nous pouvions aussi nous poser la question de la concurrence générée par la création des « Hauts-Grades » avec les loges « bleues » restées dans une idéologie de l’artisanat. Et ce, à partir d’une fiction sortie des manques d’André Michel Ramsay.
I – Sur le divan, le fantasme d’une royauté perdue.
Pour amorcer notre réflexion, un détour par Freud et son concept de « roman familial » est nécessaire. Voilà l’affaire : l’expression créée par Freud-lui-même en 1909 et qui fut d’abord intégrée dans un ouvrage d’Otto Rank (1), fait état de fantasmes dans lesquels un sujet modifie ses liens généalogiques en s’inventant par un récit ou un fantasme une autre famille que la sienne. Otto Rank, reprendra et développera ce concept, dans un autre ouvrage (2). En 1898, Freud constatait, chez les névrosés, une idéalisation des parents et le désir de leur ressembler, mais rapidement se met en place un discernement critique et la rivalité sexuelle œdipienne. A ce stade, par peur de la castration que l’enfant craint de par sa révolte et de ses pulsions sexuelles incestueux, il remplace ses parents réels par d’autres, fantasmatiques, plus prestigieux. Donc la crise œdipienne trouve un arrangement : « puisque mes parents ne sont qu’adoptifs et que je suis le fils d’un prince, j’ai donc le droit de me révolter contre mon « père » et désirer ma « mère » adoptifs, en attendant de retrouver ma place à « la cour », sans risquer la castration ».
Freud et Rank vont utiliser l’expression roman familial pour désigner une construction inconsciente dans laquelle la famille inventée ou adoptée par le sujet est parée de toutes les gloires fournies par le souvenir des parents idéalisés dans l’enfance. Rank va poursuivre ses recherches sur le roman familial et va étudier les légendes des grandes mythologies occidentales sur la naissance des rois et des fondateurs de religion. En général ce sont des enfants trouvés ou abandonnés (par exemple, Moïse, Romulus, Pâris, Œdipe). Destinés à mourir, ils sont en général recueillis par une famille nourricière de classe sociale inférieure et, à l’âge adulte, ils retrouvent leur identité d’origine, se vengent de leur père et reconquièrent leur royaume. Il est intéressant de constater, dans le mythe d’Œdipe que ce dernier, au-delà des orientations infantiles est véritablement l’objet d’une tentative de meurtre et que ses parents sont effectivement nobles. Sa vengeance s’effectuera donc dans le « réel » et non de manière symbolique conduisant à l’acceptation de la « vraie famille ». Dans le mythe, les situations sont inversées. Dans le roman familial commun et incontournable pour les névrosés ou non, c’est l’enfant qui se débarrasse de sa famille pour en adopter une autre plus conforme à son désir, tandis que dans le mythe c’est le père qui abandonne le héros, lequel est recueilli par une famille adoptive qui est, en général, moins prestigieuse !
La notion de roman familial fut utilisée par Freud dans ses principaux ouvrages de psychanalyse appliquée : Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci », « Totem et Tabou », « Moïse et la religion monothéiste ». « En dehors d’une technique pour aménager le passage dans le » Complexe d’Œdipe » (sauf chez les névrosés qui s’y installent), le roman familial fait intervenir également des éléments narcissiques et de représentations : n’oublions pas qu’en allemand « représentation » se dit « Vorstellung », « poser-devant », une représentation débutante du masque social, mis en œuvre pour se protéger de l’autre, de le rabaisser ou de le séduire.
Bien entendu, la psychanalyse ne va pas manquer de s’intéresser aux structures humaines qui, comme les sujets, naissent, se développent, fusionnent, essaiment ou meurent. Avec la tentation d’observer le même processus de roman familial dans ces structures. Ce que fera Karl Abraham (3) dans un certain nombre de ses études (4). Puisque nous en sommes arrivés là, tentons le coup, d’appliquer ce concept à la Franc-Maçonnerie qui n’a pas échappé au processus et ce, à-travers l’histoire d’un homme et de ce qu’on va appeler l’ « Écossisme »…
II – Inventons, inventons, il en restera toujours quelque chose !…
Les Hauts-Grades relèvent d’une nette influence catholique : nous possédons des « Mémoires » de Ramsay dans son « Histoire de la vie de Fénelon » et où il fait part au lecteur de ses inquiétudes religieuses et des cheminements qui vont aboutir au catholicisme grâce à Fénelon dont la renommée l’avait attiré en France. Il se présentera toujours comme un « jeune Écossais de qualité », mais ses origines roturières sont évidentes : la « biographie anglaise » de Sidney, le désignera comme « fils de boulanger ». Il lui faudra attendre 1723 pour porter le titre de chevalier que le Régent lui conférera pour services rendus. Ses origines roturières ne seront pas sans conséquences sur son orientation psychologique : il va développer l’idée qu’il lui faut être toujours du côté des « grands », tant que comme précepteur de leurs enfants que comme intermédiaire politique le cas échéant, tout en étant à la recherche de ceux à qui il voudrait ressembler. Toute sa vie il va être à la recherche d’une famille de substitution dont il serait le « digne descendant ». Ce qui le conduira après la disparition de Fénelon et de madame Guyon à enter en Maçonnerie en lui inventant une filiation totalement imaginaire à-travers son fameux Discours.
André Michel Ramsay est né à Ayr, ville côtière de l’Écosse en 1686, de père calviniste et de mère anglicane. Il fera des études en Lettres et en Philosophie à l’université d’Édimbourg et commence des études de théologie à Glasgow, puis retourne à Édimbourg pour les terminer. Il va, à la fin de ses études, devenir précepteur des deux fils du duc de Weymiss. A 19 ans, il va rejoindre un groupe unitarien, c’est-à-dire antitrinitaire. Nous apprenons aussi que Ramsay va tâter de la chose militaire : il participe à la campagne anglaise aux Pays-Bas vers 1706. Nous le perdons ensuite de vue entre 1706 et 1709 : il nous dit qu’il se livre à l’étude à Londres où il s’applique à la langue française et se découvre une attirance pour les écrits et la pensée de Fénelon. En fait, beaucoup d’historiens pensent que, du fait de sa conversion au catholicisme, il s’est mis discrètement au service de la cour des Stuart catholiques, réfugiés à St. Germain-en-Laye. En 1709, il quitte Londres et passe en Hollande : on peut avancer l’hypothèse que ses activités secrètes pour les Stuart ne sont pas découvertes et qu’il est plus prudent de quitter la Grande-Bretagne ! Enfin, en 1709, il se rend en France pour rencontrer Fénelon. Comme St. Paul sur le chemin de Damas, soudain la lumière et la voix du père symbolique tellement souhaité !
François Solignac de la Mothe Fénelon (1651-1715) est un grand seigneur, Archevêque de Cambrai, penseur politique et théologien hardi. Il est porteur d’une longue tradition mystique qui va être renforcée par sa rencontre avec Jeanne-Marie Bouvière de la Motte, connue sous le nom de madame Guyon (1648-1717), grande mystique, interprète de la lecture de l’Evangile à-travers les orientations du Quiétisme (5) Elle sera l’autrice de trois ouvrages fondamentaux pour ce courant : « Le moyen court et très facile pour l’oraison », « Les torrents spirituels », « Le sens mystérieux de l’Ecriture Sainte ». Bossuet, l « Aigle de Meaux » (6) va l’attaquer sur ses écrits et déclencher ainsi une querelle théologique entre lui et Fénelon. Madame Guyon va continuer à publier ses écrits et elle va être arrêtée et enfermée à Vincennes en 1695, puis deux fois à la Bastille. Elle sera libérée en 1702 et se retire chez son fils près de Blois, où elle écrit son autobiographie. Fénelon va poursuivre le combat sur un front spirituel en approfondissant la notion d’être et propose la tentative de dépassement du moi qui met en cause le concept même de l’individu et incite comme but du pèlerinage terrestre la déification de l’homme. Il écrit : « C’est par l’anéantissement de mon être propre et borné que j’entrerai dans mon immensité divine ». Madame Guyon surenchérira dans cette tendance : « Ici, l’âme ne doit plus faire de distinction de Dieu et d’elle, Dieu est-elle et elle est Dieu ! ». Cela conduira à ce qu’elle appellera la « Sainte Indifférence ». Fénelon se livre aussi à une réflexion politique : c’est dans les « Aventures de Télémaque », écrit pour le jeune duc de Bourgogne en 1695, qu’il donnera sa pensée politique, où il critique le pouvoir absolu et où la société serait basée sur la « République » de Platon. En fait, un idéal de monarchie constitutionnelle !
C’est dans ce milieu mystico-politique que Ramsay va vivre des années et exercer sur lui une influence déterminante. Ce n’est nullement la Maçonnerie qui jouera un rôle dans sa vision du monde, mais le quiétisme fondamentalement. Réduit à la défensive, Fénelon va conseiller à Ramsay de prendre contact avec madame Guyon, à Blois. Il va rester trois ans auprès de celle qui est considérée comme une « sainte » par les uns et une « folle hystérique » par les autres ! Ramsay vient ainsi de se reconstituer une famille symbolique, noble, qui serait ses « vrais » parents, dans la logique du roman familial non dépassé et dont il doit transmettre l’idéal, comme un héritage. Mais le drame intime va bientôt survenir : Fénelon décède en 1715 et madame Guyon en 1717. Il est devenu véritablement orphelin. Pour vivre, il devient le précepteur du fils du Comte de Sossenye en quittant Blois. Il exercera cette fonction durant 7 ans. Parallèlement, il va beaucoup écrire et nous pouvons constater que l’immense majorité de ses écrits (Y compris ceux qui relèveront de la Franc-Maçonnerie plus tard) sont profondément inspirés de Fénelon, madame Guyon et des auteurs du Quiétisme. (7). La gloire personnelle, mais insuffisante, va arriver pour lui : en raison de ses services discrets et secrets, le Régent le crée Chevalier de Saint-Lazare en 1723, avec une pension de 2000 livres sur l’Abbaye de Signy.
III – La franc-maçonnerie pour Ramsay : un aboutissement, un refuge, une tentative pour y introduire le quiétisme ou une manœuvre politique ?
Chronologiquement, Ramsay fait la connaissance de la Maçonnerie très tardivement : à l’époque il a 42 ans et a passé plus de 21 ans dans l’intimité de Fénelon et du milieu quiétiste et il ne passera qu’une quinzaine d’années dans la Maçonnerie. Il sera initié vers 1728, mais cela reste incertain et nous ignorons, faute de trace, dans quelle loge cela s’est déroulé. Dans ses demandes formulées, nous savons qu’il sera éconduit d’emblée de la Grande Loge d’Angleterre en tant que catholique jacobite. Initié, il revient en France, pour y développer un système de hauts-grades chevaleresques qui serait une manière d’introduire le catholicisme en Maçonnerie, en utilisant une histoire totalement inventée, ne reposant sur aucune donnée sérieuse ou une tentative, personnelle ou politique, de hâter une réconciliation entre la maison de Hanovre et les Stuart. Nous pouvons aussi avancer l’idée que Ramsay voit dans la Maçonnerie le lieu possible de la création d’une sorte d’Eglise quiétiste encadrée par des « nobles » symboliques, et ainsi retrouver totalement cette pseudo-famille dont se nourrit, de manière névrotique, son roman familial.
Depuis 1726, il appartient au « Club de l’Entresol », où il rencontre Montesquieu. Il décide de se réconcilier avec l’Angleterre hanovrienne et, en 1728, il traverse la Manche et va jeter à Londres les fondements de son « Ecossisme », il publie à Edimbourg quelques poèmes de facture quiétiste dont le célèbre : « Le pur amour et la souveraine beauté ». Et, comble d’honneur pour lui, il devient membre de la « Gentlemen’s Society », où se côtoyaient de nombreux archéologues et Francs-Maçons ! Bien entendu, il va tirer profit de ce qu’il entend des découvertes scientifiques pour les insérer dans une histoire d’héritage historique maçonnique des plus douteuses !
Quand il rentre en France en 1730, le duc de Sully est mort depuis un an et son nouveau protecteur sera le comte d’Evreux qui lui confie l’éducation de son neveu, le jeune duc de Château-Thierry qui mourra au bout de deux ans. Donc, Ramsay va s’occuper de l’éducation du Prince de Turenne, dont la famille avait des relations avec les Stuart. Ces expériences pédagogiques li serviront à publier, à Londres, un « Plan d’éducation avec un jeune Prince ». En revanche, il échouera dans sa candidature à l’Académie Française. En contrepartie, un grand événement va intervenir dans sa vie privée : en 1735, il se marie à Lyon. Il a 40 ans et sa femme 25 ans. Elle est la fille du baron de Mairne, un écossais jacobite réfugié en France. Il dit s’unir « par un lien conjugal à une fille de condition qu’il regardera toujours autant comme sa fille que comme sa femme ». Intéressante déclaration ! C’est dans les années suivantes qu’il aura sa plus grande activité maçonnique. En 1724, on lui prête la fondation de la société des « Gormogons » qui était une société secrète fondée en réalité par le duc de Wharton qui voulait parodier la Grande Loge d’Angleterre avec laquelle il s’était brouillé après en avoir été Grand-Maître en 1723. Wharton va se convertir au catholicisme et manifester une grande sympathie aux Jacobites. Mais, Ramsay est de moins en moins dans les jeux politiques anti-hanovriens : il prend de plus en plus en compte son idéologie maçonnique et de faire de l’institution un outil au service du quiétisme. C’est à cette époque qu’il rédige son célèbre « Discours ». Il le prononcera la première fois, le 26 décembre 1736, à la loge Saint-Thomas. Discours dont il existerait deux versions différentes : la première, qui disparaît en 1737, où Ramsay fait un parallèle entre la Maçonnerie et le judaïsme jusqu’à la destruction du second temple par Titus, en 70 (Ce qui alimentera plus tard le concept de « judéo-maçonnisme » !), version destinée aux catholiques jacobites ; la seconde version se voulait plus politique et consistait à ménager les Maçons hanovriens, de tendance anglicanes ou calvinistes de Paris. On passe d’une histoire de la Maçonnerie liée à l’Ancien Testament puis à la croisade, à une vue plus séculaire de l’ordre, puisque dans cette deuxième version on insiste sur la rédaction d’un « Dictionnaire universel des arts libéraux et des sciences utiles ». Dans la deuxième version que nous connaissons, Ramsay va, à la fois, poser la filiation entre Maçonnerie et chevalerie, mais surtout imaginer que la Maçonnerie pourrait devenir une religion universelle ayant une base noétique. Nous pouvons facilement en conclure que, dans son esprit, cette nouvelle religion aurait pris largement racine dans le quiétisme !
Ramsay prononcera aussi son discours le 24 juin 1738 à Lunéville qui est alors le Versailles d’une Lorraine encore étrangère à la France. C’est aussi une mesure de précaution par rapport à Fleury (8) à qui il a présenté son discours le 20 mars 1737, en recherchant son approbation. Mal lui en pris : fin mars 1737, Fleury déclare les réunions maçonniques interdites ! Il connaissait naturellement qui unissaient Ramsay à Fénelon et madame Guyon et il comprenait que son Discours était une sorte de « cheval de Troie » du quiétisme. Pour lui, la Maçonnerie devient porteuse d’une hérésie. Pour Rome, à juste titre, elle est un instrument du protestantisme, mais pour Fleury les hauts-grades de Ramsay et de son écossisme sont des agents du quiétisme. De respectée dans certains milieux, la Maçonnerie est contrainte de rentrer dans l’ombre.
En 1742, Ramsay défend Pope (9) contre Racine. De Pontoise, il écrit à Louis Racine, le 28 avril 1742, où il défend le « catholicisme » de Pope. A la fin de sa vie il souffre de terribles crises d’asthme. Pendant ses convalescences, il évoquait volontiers la différence entre ce qu’il appelait « le christianisme du coeur et le christianisme de la tête ». Le duc de Bouillon lui fait accorder une pension de mille écus et lui donne une maison à Pontoise. Il va s’éteindre à Saint-Germain-en-Laye, le lundi 7 mai 1743. Son corps sera inhumé dans l’église paroissiale et son cœur transporté dans une chapelle des religieuses du Saint-Sacrement à Paris. Il est intéressant de constater que la seule descendante qu’il eut entrera, en 1753, au couvent des Bénédictines anglaises de Pontoise. Pour Ramsay, l’aventure continuera : en 1766, l’église paroissiale fut démolie et il ne reste plus de trace de sa sépulture…
IV – Conclusions : arlequin franc-maçon !
Il ne faut pas croire que l’arrivée de la Franc-Maçonnerie va bouleverser le paysage spirituel français : elle est un produit secondaire, un peu snob, de l’ « anglomania » que les philosophes des Lumières avaient lancés et qui se termine dans la majorité des cas, par de grands éclats de rire ! Ainsi, nous voyons toute une production théâtrale voir le jour, où les Maçons sont brocardés, comme par exemple « Arlequin Franc-Maçon » qui fait rire tout Paris, en particulier devant les prétentions nobiliaires de bons bourgeois avides d’assimilation aux classes dirigeantes et qui n’aspirent nullement à faire la révolution. Cela est assimilé à un type littéraire où les personnages « Y croient » et ne se contentent plus, en fonction de leurs manques, de vaguement vivre autour d’un symbolisme de carton-pâte, ce qui fait rire les enfants, quand ils s’aperçoivent que le roi est nu ! Beaucoup de Bourgeois gentilhomme et de madame Verdurin peuplent nos institutions…
Les réactions hostiles du cardinal Fleury contre la Maçonnerie étaient évidemment politiques et de deux sortes : lutte contre la maison protestante des Hanovre et dérive quiétiste des fameux hauts-grades. Sur un plan maçonnique, cela amenait dans une Maçonnerie protestante, même si elle était d’origine hérétique aux yeux de l’Église, une présence catholique, tenue à l’écart jusqu’à présent. La Maçonnerie, dans le système de l’écossisme, quittait le domaine de la « libre interprétation » réformée et de la « Gloire au travail » pour un ordre de « chevalerie » complètement factice, en récusant l’idée du « Maçon libre, dans une loge libre ». Psychologiquement parlant, il était comique que la Maçonnerie qui se voulait de plus en plus républicaine et démocratique adopte une idéologie de l’Ancien Régime, justifiant l’entreprise néocoloniale des croisades, sous prétexte de la délivrance du tombeau d’un Ressuscité, donc vide ! Cette belle orientation « religieuse » de l’histoire et les intérêts économiques de l’occident, permettaient surtout l’encadrement d’une noblesse dangereusement indépendante des pouvoirs royaux. Tant qu’aux « comportements nobles », en lisant les chroniques d’époque, nous pouvons émettre quelques doutes sur leur existence et, précisément, l’idéal chevaleresque n’était là que pour calmer les ardeurs anarchistes et guerrières des protagonistes !
En Maçonnerie, depuis Michel de Ramsay, existent deux courants : celui de ses origines protestantes qui s’est glissé dans les habits du Compagnonnage (qui était en voie de disparition à l’époque par la conséquence de l’industrialisation) et de la Royal Society, et celui d’une orientation néo-catholique, hiérarchisé et pyramidale, manifestant de façon régulière sa vocation à diriger l’ensemble ! Nos FF. et SS. sentent fort bien d’ailleurs le passage d’une loge bleue où règne une ambiance que nous pourrions qualifier de laïque, au sens large du terme, à un ordre qui est hostile à la libre interprétation et assez souvent à la raison et à la culture du réel. L’imaginaire est l’arme par excellence de maniement des sujets et, si l’on n’y prend garde, peut très rapidement glisser vers la secte…
Bon, nous avons assez pensé : je retourne à la prise de Jérusalem. Le temps d’enfiler mon armure !
NOTES
– (1) Rank Otto : Le mythe de la naissance du héros. Paris. Editions Payot 1983.
– (2) Rank Otto : Don Juan et le double. Paris. Editions Payot. 1973.
– (3) Karl Abraham (1877-1925). L’un des hommes-clefs de la naissance de la psychanalyse. Créateur de la Société de psychanalyse de Berlin en 1910, dont il viendra président jusqu’à sa mort.
– (4) Abraham Karl : Psychanalyse et culture. Paris. Editions Payot. 1966.
– (5) Quiétisme : Du terme latin « quietus », calme. Mouvement mystique qui a émergé au sein du catholicisme au 17em siècle sous l’influence du Jésuite Michel de Molina. Le protestantisme vivra un courant similaire avec la naissance des Quakers. Ces mouvements prônent l’amour pur et la contemplation, avec la mise en place d’une distance avec le clergé. Cette mystique s’accomplit par un désintéressement vis-à-vis du salut personnel. Le pape Innocent XII condamnera le quiétisme et en particulier Fénelon et madame Guyon. Leur grand contestataire sera Bossuet.
– (6) Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704) : Homme d’Église, Évêque de Meaux, prédicateur célèbre, notamment pour ses oraisons funéraires. Théoricien de la monarchie absolue, il sera le grand adversaire de Fénelon, porté sur le projet d’une monarchie constitutionnelle.
– (7) Quelques ouvrages de Ramsay :
– Essai philosophique sur le gouvernement civil selon les principes de Fénelon (Londres. 1721).
– Histoire de la vie et des ouvrages de Fénelon (La Haye. 1723).
– Les voyages de Cyrus avec un discours sur la mythologie et une lettre de Fréret sur la chronologie de cet ouvrage (Londres et Paris. 1727).
– Vie du Prince de Turenne (1735).
– Philosophical Principles (1751).
– (8) André Hercule de Fleury (1653-1743) : Véritable force de la nature, il fut cardinal et aussi homme politique. Arrivé au pouvoir à l’âge de 73 ans, il va exercer jusqu’à sa mort, 17 ans plus tard, une autorité absolue. Il rétablit l’économie et, grâce à lui la monnaie sera stabilisée jusqu’à la Révolution Française. Il encourage l’industrie et le commerce, notamment avec les Antilles. Sur un plan religieux, il déteste le jansénisme et oblige les Parlements à enregistrer la bulle « Ugenitus » (1732) qui condamne ce courant. Son aversion pour le quiétisme est similaire, bien que ce dernier soit contre le jansénisme. Il va accentuer sa pression sur le Saint-Siège pour la condamnation de la Maçonnerie. L’apogée du rejet et sa condamnation, le 29 mai 1738, par la bulle « In Eminente » de Clément XII sera la grande victoire de Fleury.
– (9) Alexander Pope (1688-1744) : L’un des plus grands poètes classiques britanniques. Il s’inscrit dans le romantisme. Catholique, il restera un peu marginal en Angleterre.
BIBLIOGRAPHIE
– Chemama Roland : Dictionnaire de la psychanalyse. Paris. Editions Larousse. 1993.
– Delplanque Albert : Fénelon et ses amis. Paris. Editions J. Gabalda. 1940.
– Freud Sigmund : La naissance de la psychanalyse. Paris. PUF. 1956.
– Laplanche Jean et Pontalis Jean-Baptiste : Vocabulaire de la psychanalyse. Paris. PUF. 1998.
– Madame Guyon : Discours sur la vie intérieure. (2 tomes). Mers-sur-Indre. Editions Paroisse et Famille. 2016.
– Roudinesco Elisabeth et Plon Michel : Dictionnaire de la psychanalyse. Paris. Editions Fayard. 1997.
– Varillon François : Fénelon et le pur amour. Paris. Editions du Seuil. 1957.
Je ne comprends pas que les Suprêmes Conseil n’enterviennet pas sur ce type d’article, aujourd’hui l’on met tout dans la psychanalyse dénaturant l’initiation. De degré en degré la FM accélèrent notre évolution interne et donc mentale-spirituelle. Cette transmutation ne peut s’opérée que par l’instruction dans ces degrés, ce vécu intérieur.
Nous sommes tous émané de l’Être Suprême, ce qui fait de nous tous des frères en humanité. De cette émanation nous sommes des Esprits divins faisant une expérience humaine. La FM nous fait revivre intérieurement par ses enseignements cette réalité.
La confusion vient que certains ont une vison externe de l’initiation et dans ce cas l’initiation est virtuelle. Nous devons vivre intérieurement chaque enseignement, chaque personnage y compris les mauvais compagnons comme de chevaliers et dans ce cas l’initiation est réelle.