De notre confrère slate.fr – Jean-Christophe Piot — Édité par Louis Pillot
Si l’image d’un commandement nazi versé dans la magie noire a fait les beaux jours de la pop culture, elle ne repose en réalité pas sur grand-chose. Commençons par le plus simple: en dépit du fatras de légendes et de mythes qui entoure le Troisième Reich, Adolf Hitler n’a pas pratiqué de sombres rituels dans le secret de sa chancellerie berlinoise.
Pas de pentacles, pas de magie noire, pas de rituels obscurs, et pourtant: portée par des dizaines de romans, de bandes dessinées, de jeux vidéo et –hélas– d’ouvrages «historiques» plus ou moins épouvantables, la légende d’un Reich voué aux puissances infernales traine dans nos imaginaires.
Fatras mystico-historique
Commençons par la rumeur la plus simple à démolir: celle qui tourne autour de la Vril-Gesellschaft, ou société du Vril. Active dans le Berlin d’avant-guerre, cette sorte de loge noire aurait réuni la fine fleur des dignitaires nazis autour d’une croyance commune: l’existence du Vril, une mystérieuse énergie ouvrant à la pratique de la télépathie ou de la télékinésie. Le hic? Aucun travail d’historien n’est jamais venu confirmer l’existence d’une société du Vril, à Berlin ou ailleurs.
D’où vient la légende? D’abord de Willy Ley, un ingénieur allemand exilé en 1933 aux États-Unis reconverti dans la littérature fantastique. Dans un récit de 1947, l’homme affirme avoir été sérieusement approché par la fameuse société du Vril, une thèse qui passe royalement inaperçue jusqu’en 1960, lorsque le journaliste Louis Pauwels et le chimiste Jacques Bergier publient un ouvrage tiré à un million d’exemplaires en France, qui va marquer les esprits: Le Matin des magiciens.
Dans ce pavé de 500 pages qui prétend poser les bases du «réalisme fantastique», les auteurs exposent un fatras de théories plus foireuses les unes que les autres, en mélangeant joyeusement l’Atlantide, les extraterrestres, la magie noire, les grimoires oubliés, la pierre philosophale et les nazis. Une thèse en ressort: Hitler n’aurait été qu’une marionnette, le jouet de différents cercles occultes réunis pour dominer le monde et modifier la nature même de l’humanité. Parmi elles, la fameuse société du Vril, simple émanation de l’organisation-reine, la société Thulé. Précisons au passage que l’ouvrage ne cherche en rien à atténuer ou à relativiser les crimes du nazisme: Bergier était lui-même un ancien déporté, revenu vivant de Mauthausen.
Seul hic: le Vril n’a jamais existé en dehors d’un monde de fiction, celui de l’auteur anglais Edward Bulwer-Litton. Dans La Race future, en 1871, l’auteur en avait fait l’énergie nécessaire aux technologies avancées d’une nouvelle espèce de créatures souterraines. L’épisode en dit long sur la manière dont fonctionne Le Matin des magiciens, qui ne cesse d’entrelacer le vrai et le faux. L’existence de la société Thulé, elle, est bien attestée. Mais elle n’a rien de secret.
Groupuscule raciste
Née en 1918 à Munich dans la foulée de la défaite allemande, la société Thulé doit son nom à une île mythique, située quelque part entre la Grande-Bretagne et l’Islande par l’explorateur grec Pythéas et siège semi-légendaire de la glorieuse race aryenne pour certains nazis. Elle n’est surtout pas plus secrète que le Deutsche Arbeiterpartei, le parti dont Hitler fera plus tard le NSDAP, toujours à Munich.
Surtout, Thulé –sans doute forte de 250 membres à peine– n’a rien d’ésotérique: la Gesellschaft (association) n’est qu’un des innombrables groupuscules racistes de la galaxie völkisch, un mouvement «ethno-nationaliste» (le mot est réputé intraduisible, mais l’historien Christian Ingrao propose cette équivalence) qui donne dans la nostalgie d’un passé germanique très largement mythifié, folklorique et romantique.
Son créateur, Theodor Fritsch, qualifié par l’auteur de Mein Kampf de «vieux maître de l’antisémitisme allemand», est un théoricien raciste déjà âgé qui a certes joué un temps le rôle de mentor après du jeune caporal Hitler, mais sans beaucoup se frotter à l’occulte. Entre le NSDAP et Thulé, des liens réels existent: le journal du parti, le Völkischer Beobachter (L’Observateur populaire), appartenait à la société Thulé, à qui le parti nazi emprunta quelques éléments symboliques comme le svastika ou le «Sieg Heil!» (salut à la victoire).
Surtout, le parti et la société partagent une triple conviction. Fondés tous deux sur l’idée que les juifs veulent dominer le monde, ils prônent un antisémitisme absolu, une haine viscérale de la démocratie et la volonté affichée de mettre fin à la république de Weimar, trois points qui n’ont strictement rien d’original dans la galaxie völkisch que Theodor Fritsch rêve d’unifier.
Toujours pas de pentacles et surtout pas la moindre trace d’une adhésion du Führer lui-même à une société qui n’est pas plus ésotérique que secrète.
L’ésotérisme de Thulé se limite à la glorification de l’homme aryen et, pour citer l’historien Ian Kershaw, Thulé se résume à «un Who’s Who des premières personnalités nazies» dans le Munich dans les années 20. Un club, mais rien de plus, même si de futurs dignitaires nazis sont incontestablement passés par les rangs de la société Thulé, à commencer par Alfred Rosenberg et Rudolf Hess.
L’un d’entre eux, le théoricien et universitaire raté Dietrich Eckart, a même exercé une certaine influence sur Adolf Hitler qui remercie ce «père spirituel» et cet «ami paternel» dans Mein Kampf. Mais toujours pas de pentacles et surtout pas la moindre trace d’une adhésion du Führer lui-même à une société qui n’est pas plus ésotérique que secrète. L’influence d’Eckart prend d’ailleurs rapidement fin, pour l’excellente raison que l’homme, d’ailleurs fâché avec Hitler à cette date, meurt en 1923.
Le nazisme non, des nazis oui
Si le nazisme et son idéologie mortifère n’ont pas été marqués par l’ésotérisme, les arts occultes ou à l’alchimie, il n’en est en revanche pas de même pour certains dignitaires nazis de premier plan. Deux d’entre eux ont fréquenté de près certains cercles mystiques: Rudolf Hess et surtout Heinrich Himmler, maîtres des SS. Si le rôle du premier reste limité après 1933, le poids du second est indéniable.
Fasciné par les mythes germaniques et le néopaganisme, Himmler s’intéresse indéniablement à l’occultisme, au «sang pur», aux runes, à l’Atlantide ou à la réincarnation. Que gravitent autour de lui quelques mages autoproclamés ne fait aucun doute, mais comme l’écrit l’historien Johann Chapoutot: «Leur réel pouvoir se bornait aux goûters partagés avec leur ami, esprit faible porté sur le mystère. Himmler induisait de ses conversations des idées fulgurantes (…) dont il faisait immédiatement part à ses services sous la forme d’instructions aussi urgentes que comminatoires. Lesquels services répondaient poliment que oui, bien sûr il en serait fait selon ses désirs avant de glisser la dernière lubie de leur chef dans le tiroir dévolu à cet effet.»
Les petites manies du patron des Schutzstaffel se sont pourtant traduites sur le terrain avec l’intégration en 1940 de l’Ahnenerbe à la SS. Fondée en 1935, cette mission archéologique devient alors la branche scientifique de la SS avec une idée: donner du corps à son idéologie raciale en allant dénicher un peu partout des preuves de l’ancienne grandeur nordique. Himmler finance notamment une branche nouvelle de la «science» nazie, la science des runes ou runologie. On en trouve la trace dans la fameuse rune «Sig», en forme d’éclair. Dédoublée, elle orne le col des officiers SS, mais aussi leurs drapeaux, leurs dagues ou leurs médailles.
Dans cet État dans l’État qu’est la SS, l’envergure de l’Ahnenerbe n’est pas neutre. À son sommet, elle compte plus de soixante-dix centres de recherche et finance des expéditions d’envergure comme celle de l’ethnographe Ernst Schäfer au Tibet, en 1938. Mais comme beaucoup d’autres, Schäfer utilise surtout l’Ahnenerbe pour mobiliser des fonds, refusant tout net d’emmener avec lui les «spécialistes» d’Himmler, censés démontrer que la race aryenne trouvait ses origines dans les montagnes tibétaines.
Déjà plombée par les réticences d’une bonne partie de ses membres pour les thèses fumeuses de leur patron, l’influence de l’Ahnenerbe se révèle surtout passablement limitée au sein du Reich. Le vernis d’antiquité germanique que le chef des SS souhaite donner à ses convictions se limite à quelques symboles, à des «découvertes» sans lendemain et à des quêtes absurdes comme celle d’Otto Rahn, un archéologue autoproclamé qui a eu un temps la faveur de Himmler.
Modèle des archéologues nazis cinglés de la saga Indiana Jones, Rahn a vraiment réussi à faire financer sa quête du Graal par l’Ahnenerbe. Pendant quatre ans, Rahn mène un peu partout en Europe des recherches toujours plus foireuses dont il publie des comptes-rendus enthousiastes dans la revue des SS, Das Schwarze Korps (Le Corps noir). Il en tire même un livre en 1937, Le Tribunal de Lucifer –une parfaite guignolade qu’Himmler aime assez pour en faire tirer séance tenante 5.000 exemplaires de luxe, destinés aux officiers SS. La plupart s’en servent aussitôt pour caler leur table de chevet préférée.
L’agacement d’Hitler
Au-delà des foucades d’Himmler, reste à mesurer l’influence de cet ésotérisme à la sauce SS. Hitler lui-même se montre passablement agacé par les manies d’Himmler, comme par celles de la mouvance völkisch en général. Dès 1923, il écrit: «J’ai trop bien appris à connaître ces gens-là pour que leur misérable comédie ne m’inspire pas le plus profond dégoût.»
En 1936, dans un discours à Nuremberg, il proclame: «Nous n’avons rien à voir avec ceux qui ne comprennent le national-socialisme qu’en termes de rumeurs et de sagas (…) et qui font maintenant porter leurs recherches sur une culture atlante nordique.»
L’attirail historique et symbolique mobilisé par le Reich doit bien davantage à l’Antiquité classique, grecque et romaine, qu’à la mobilisation d’un légendaire germanique qui gênait Hitler aux entournures.
Himmler, présent dans la salle, a dû en avaler sa salive, d’autant que le Führer ne se prive pas de se moquer publiquement de son obsession pour un passé germain ambigu. Et pour cause: plus le chef de la SS finance de fouilles le long du Rhin ou en Scandinavie, plus les accomplissements germains font pâle figure au regard des merveilles du monde grec ou romain: «À quoi cela sert-il sinon à montrer que nous n’avons pas d’histoire?», enrage Hitler à plusieurs reprises.
Dans un de ses ouvrages, l’historien du nazisme Johann Chapoutot a largement mis en évidence le fait que l’attirail historique et symbolique mobilisé par le Reich doit bien davantage à l’Antiquité classique, grecque et romaine, qu’à la mobilisation d’un légendaire germanique qui gênait Hitler aux entournures.
Le mythe et la fable
Reste à comprendre pourquoi le mythe d’un nazisme féru d’occultisme et de magie noire s’est enraciné dans la mémoire collective. On a déjà cité le poids du Matin des magiciens, de Pauwels et Bergier (1960). Paru dans la pourtant prestigieuse maison Gallimard, le Matin est une invraisemblable collection de thèses qui relèvent pour la plupart de la pseudo-histoire quand elles ne frôlent pas le complotisme. Pris au sérieux, le livre s’avère d’autant plus toxique qu’il conduit constamment ses lecteurs sur une ligne de crête qui ne distingue jamais la réalité de la fiction.
Ce n’est pas le cas de la pop culture dont la puissance de frappe est en revanche redoutable. Trois des cinq films de la saga Indiana Jones surfent ainsi sur la vague du mysticisme archéologique revisitée à la sauce nazie: la quête de l’Arche d’alliance d’abord (Les aventuriers de l’arche perdue, 1981), le Graal ensuite (La dernière croisade, 1989) et la machine d’Anticythère enfin (Le cadran de la destinée, 2023). David Brin, avec D-Day, le jour du désastre (2004), s’inspire après Spielberg d’un autre artefact biblique, la lance de Longinus en l’occurrence (avec laquelle le légionnaire éponyme a percé le flanc du Christ en croix), qui permet à Hitler de s’opposer aux superhéros américains.
Et le grand écran n’est que la face émergée d’un iceberg qui lorgne aussi du côté des jeux vidéo (Wolfenstein, BloodRayne) et des comics: Crâne Rouge, chez Marvel, est un ancien responsable de la société Thulé. Hellboy, de Mike Mignola, surfe déjà sur la thématique en faisant des nazis des initiés de la même organisation, bombardée au rang de puissante organisation occulte.
Pourquoi ce portrait du nazi en mage noir est-il si tenace? Sans doute pour deux raisons. La première renvoie au manque d’intérêt des universitaires pour un sujet jugé à juste titre mineur, et donc peu traité par les historiens –ce qui a laissé la place à des auteurs à sensation, moins soucieux du respect de la méthode historique que de leurs chiffres de vente.
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Sans aller jusqu’à l’Antiquité, , la référence aux Chevaliers Teutoniques a par contre été une constante de l’armée Prussienne ; cette référence va suivre la destinée des Hohenzollern jusqu’au début du XXème siècle. Elle sera reprise par Hitler et c’est ainsi que les panzers de la Wehrmacht et les avions de la Luftwaffe arborèrent la Croix de l’Ordre ; c’est ainsi également qu’une des divisions SS parmi les plus prestigieuses du IIIème Reich, pris le nom de : ” Division Hermann Von Salza” , du nom d’un des plus illustres Grand Maître de l’Ordre Teutonique. Cette référence fait un peu frémir car les Chevaliers Teutoniques étaient loin d’être des enfants de cœurs ! ( la branche militaire de cet Ordre Teutonique a été depuis déjà bien longtemps dissoute et on ne peut que s’en féliciter. )