(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
Depuis le décalogue[1], les Dix paroles, comme disent les juifs ou les protestants – tandis que les catholiques préfèrent l’expression : les Dix commandements –, la parole source est une parole sacrée. Et toute parole digne de ce nom devrait s’en inspirer[2].
Pour autant, ce que nous entendons n’est qu’une parole accessible à l’homme, en l’occurrence une parole transmise par Moïse à son peuple. Dans la Tradition, elle est la marque de l’Alliance. Le souffle divin s’y transmue ou la transmue, comme on voudra.
Quant à ceux qui n’ont pas la foi, d’une manière ou d’une autre, ils ne peuvent pas en avoir moins foi en la parole. Certes, ils font leur la pensée de Lichtenberg: « Il existe une manière de ventriloquie transcendante qui fait croire aux gens qu’une chose vient du Ciel qui a été dite sur terre[3] » ; mais ils s’accordent sur le fait que seule la parole édicte les lois fondatrices de toute société humaine et qu’ainsi, les lois issues de la Parole ne sont pas simplement retranscrites de la Nature. La parole devient dès lors l’instrument de la transcendance. Cette parole qui a la puissance de dicter les actes fonde la conscience et la responsabilité.
Quand, en franc-maçonnerie, nous prononçons des mots sacrés, nous en devenons les porte-parole, c’est-à-dire que nous nous mettons entièrement à l’écoute, à la disposition et au service de la parole qu’ils recèlent. Les mots sacrés ont pour première vertu de nous nettoyer de nos intentions usuelles pour nous rendre réceptifs à des vérités supérieures et nous transformer autant que faire se peut en leurs agents.
Nous cherchons alors à nous améliorer, sachant qu’il y a toujours une réserve ésotérique dans l’approche du sens, une vision qui s’inverse et se répand, englobant ce qui nous paraissait contraire, clos ou interdit. Peu à peu, une parole se dévoile et se façonne en nous. Puis, mûrie dans les profondeurs du silence, elle émerge dans la clarté de la vie, avec la force de l’amour. Plus cette parole grandit, plus elle nous institue. Il faudrait alors que toute parole fût une parole… donnée.
Même si, de longue date, infuse en moi l’idée qu’on entretient son honneur en respectant sa parole, comme j’aimerais, dans une béatitude nostalgique, être encore habité par l’ardente candeur de l’enfant que je fus et qui s’engageait gravement à ne point mentir ou à promettre avec certitude, quand il s’exclamait : Parole d’homme !
[1] En grec : Δεϰάλογος, de δέϰα, dix, et λόγος, parole.
[2] Les propos initiaux de cette chronique doivent beaucoup aux analyses du Professeur Christian Hoffmann. Il s’y reconnaîtra – ce qui, bien entendu, ne m’exonère d’aucune responsabilité, aussi bien en ce qui m’en rapproche qu’en ce qui m’en distingue. En toute hypothèse, je le remercie chaleureusement de son apport.
[3] Citation tirée des Aphorismes du philosophe rationaliste allemand de l’Aufklärung Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), qui vécut donc en plein siècle des Lumières.