sam 27 juillet 2024 - 01:07

La Bible, une histoire de frères ennemis (Par Laurent Ridel)

Du site de Laurent Ridel decoder-eglises-chateaux

L’Ancien Testament s’étale sur plusieurs milliers d’années, remplit plusieurs centaines de pages d’où une profusion de personnages à l’intérieur. Certains sont obscurs à moins que la Bible soit votre livre de chevet.  Or, en tant que visiteurs d’églises ou de musées, vous vous retrouvez peut-être devant des œuvres mettant en scène un de ces personnages. Comment s’y retrouver ?  L’historien de l’art Jean Wirth propose une première clé : lire l’Ancien Testament comme une succession d’histoires de frères qui ne s’aiment pas ou que Dieu favorise ou maudit.  L’idée, provocante, a quelques fondements.  
Les frères ennemis les plus connus.
Commençons par les deux enfants d’Adam et Ève : Abel et Caïn. Leur conflit a pour origine une offrande à Dieu, comme le rappelle ce chapiteau roman.
À droite, l’agriculteur Caïn (son nom se devine dans le coin au-dessus) offre une gerbe de blé de mauvaise qualité tandis que l’éleveur Abel remet un agneau, le premier-né de son troupeau. Dieu accepte ce dernier don. Sa main sort des nuées pour bénir l’éleveur. L’offrande de Caïn est par contre refusée. Sur le chemin du retour, Caïn, jaloux, tue son frère.  C’est le premier meurtre de la Bible. 
Un échangisme qui tourne mal
Tournons les pages pour arriver à Abraham. Ce patriarche se désespère de ne pas avoir de descendance avec sa femme Sara. Se croyant stérile et approchant de la vieillesse, cette dernière se résout à laisser sa place au lit à la servante Agar. Son sacrifice fonctionne : Agar donne naissance à Ismaël.  L’affaire se complique lorsque Dieu permet finalement à la vieillissante Sara d’enfanter à son tour. Abraham se retrouve avec deux fils : Ismaël et Isaac. Forte de son statut d’épouse et de mère, Sara oblige le patriarche à chasser la servante et son fils. Ils erreront dans le désert.
Anonyme, La Répudiation d’Agar, musée du Prado, Madrid, XVIIe siècle
La tromperie de Jacob
Sur ce chapiteau de l’abbatiale de Vézelay, on retrouve à gauche Isaac, le fils d’Abraham. Il est devenu vieux et aveugle (regardez ses yeux bridés). À sa droite, son fils Jacob qui est en train de le berner sous les yeux de sa mère.  Profitant de la cécité de son père, Jacob se fait passer pour son frère aîné Ésaü. Isaac le bénit, lui conférant la prospérité et la domination sur son frère. Lorsqu’Ésaü découvre la supercherie, il est trop tard. Furieux d’avoir été lésé de son droit d’aînesse, il jure de tuer Jacob. Mais l’histoire ne termine pas comme entre Abel et Caïn. L’imposteur fuit chez son oncle et sauve sa vie.
Joseph et ses 11 frères
Une fratrie si nombreuse risque de devenir un panier de crabes. Les 12 sont précisément les enfants de Jacob qu’on vient de quitter. Parmi eux se distingue Joseph, le préféré et enfant d’un second lit. Les ingrédients sont là pour susciter la jalousie.  Les frères complotent pour se débarrasser du jeune Joseph. Après avoir pensé à le tuer (décidément !), ils se résolvent à l’enfermer dans une citerne. Cet épisode se devine sur le vitrail de la cathédrale de Chartres : Joseph est glissé dans un trou. 
Ayez une pensée pour l’embarras du peintre-verrier : représenter les 12 frères dans un petit compartiment de vitrail. Il y a renoncé 🙂. Ensuite, selon les versions de la Bible, le malheureux Joseph est soit vendu soit secouru par des marchands.  Les frères s’en retournent auprès de leur père Jacob. Pour cacher leur forfait, ils lui justifient l’absence de Joseph en avançant l’hypothèse d’un meurtre. À l’appui de leur version, ils tendent sa tunique ensanglantée. En vérité, le sang d’un bouc leur a servi à fabriquer cette preuve. 
Alors que Jacob pleure ce fils adoré, Joseph se retrouve esclave en Égypte. Heureusement, ses qualités d’administrateur et d’interprète de rêves le font remarquer du pharaon. Il sauve notamment le royaume d’une famine grâce aux importants stocks de grain qu’il a commandé lors des années fastes.  Justement, un jour, Joseph voit arriver à la Cour ses frères menacés à leur tour par la pénurie. Aucun ne le reconnaît. Joseph en profite pour leur faire subir quelques épreuves. Il glisse par exemple une coupe dans les bagages d’un frère puis le fait arrêter pour vol. 
Finalement, touché par la solidarité entre les frères, Joseph se fait reconnaître et accueille toute sa famille en Égypte, la mettant à l’abri de la famine.
Un geste à la source d’une discorde
À la génération suivante, les conflits reprennent. À son tour, Joseph a deux fils : Manassé et Ephraïm. Les deux frères semblent s’entendre. Aucun ne cherche à se débarrasser de l’autre. Enfin ! Mais le grand-père Jacob met un peu de fiel dans la relation. Au moment de les bénir, il pose sa main droite sur la tête du cadet, Ephraïm, et sa main gauche, sur la tête de l’aîné Manassé. Or la main droite prime toujours symboliquement.  Regardez la bénédiction croisée de Jacob sur cette sculpture de la cathédrale d’Amiens. 
Si on ne connaît pas l’histoire, on ne peut pas comprendre ce geste apparemment maladroit (Jacob semble agir comme un DJ qui mixe). En fait, par ce geste à l’encontre de l’ordre généalogique, Jacob favorise volontairement le cadet. Cela peut vous sembler anodin, mais il y a des conséquences : la descendance et la tribu d’Ephraïm seront effectivement plus prospères que celle de Manassé.  Ces cinq histoires fraternelles, voire fratricides, vous font entrer dans les nombreux imbroglios familiaux de la Bible et vous dessinent quelques branches d’un foisonnant arbre généalogique. Cet angle laisse par contre dans l’ombre les femmes. À ma connaissance, l’Ancien Testament ne rapporte aucun conflit entre sœurs, aucune sororicide (le terme existe). Avez-vous des contre-exemples ?
Décoder les abbayes et monastères : point d’avancée du livre
Le mois dernier, je vous ai promis de partager le processus d’écriture de mon livre consacré aux abbayes et monastères.  12 relecteurs m’accompagnent dans ce projet. Nous nous sommes réunis au cours d’une visioconférence. Actuellement, ils discutent de ma table des matières. Leurs premières remarques m’incitent à faire comme certains candidats de « Qui veut gagner des millions ? » : demander l’avis du public. Sur certains points, je ne suis pas sûr de la direction à prendre et vous allez m’éclairer.  Mieux, vous allez résoudre ma crise existentielle d’auteur. Dimanche dernier, je me suis en effet interrogé sur la forme et le style du livre. Il était temps : j’en avais écrit environ 20 % ! Pour le moment, je rédige à la manière de ce que vous lisez habituellement dans cette infolettre et mes articles : de la narration et des images. Mais peut-être préférez-vous une autre recette que j’avais expérimenté sur un précédent livre numérique, Comment regarder les sculptures médiévales.  Dans ce livre, l’écriture est plus descriptive et efficace que narrative. Surtout, la mise en page est plus graphique. En voici deux pages :

2 Commentaires

  1. J’ose donner un avis puisque vous le sollicitez. Personnellement, je préfère qu’on me raconte une histoire … et donc la version plutôt narrative. Merci déjà pour ce texte sur les fraticides et les images qui l’enrichissent ! Je vous souhaite une belle réussite pour votre travail.

  2. Personnellement, ayant une mémoire visuelle privilégié, j’avoue que les graphiques me parlent plus 🙂
    Mais vous aurez bien sur les 2 versions qui se valent et il faudra faire votre propre choix, celui qui va vous permettre de mieux exprimer votre cheminement.

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