ven 22 novembre 2024 - 08:11

Quelques phénomènes lumineux mystérieux : par Laurent Ridel

Du site de Laurent Ridel decoder-eglises-chateaux.fr

En dehors de la cathédrale de Chartres et de Rennes-le-Château, des phénomènes analogues illuminent des autels, des sculptures (chapiteaux) ou le sol à des moments précis de l’année. Le cas le plus connu est peut-être le « chemin de lumière » dans la basilique de Vézelay. Chaque solstice d’été, vers le 21 juin, l’allée centrale de la nef est « tachée » de lumière.
Intérieur de la basilique de Vézelay – Maison du visiteur Même phénomène surprenant lors du solstice d’hiver, mais dans la cathédrale de Sées : le 21 décembre, vers 13 h 45, le soleil projette la rose sud sur le mur opposé, exactement en dessous de la rose nord.
L’année dernière, à l’occasion d’une conférence, une autrice m’a offert son livre Au cœur de l’art roman normand. Abbatiale Saint-Georges de Boscherville. Visitant régulièrement l’église, Sylvie Dusanter-Thoumyre a été très attentive à repérer ces manifestations du soleil à des dates particulières du calendrier. Par exemple, lors de l’équinoxe, c’est-à-dire aux moments de l’année où les durées du jour et de la nuit s’équilibrent, les rayons du soleil levant pénètrent par une fenêtre du chœur puis frappent exactement la porte à l’autre extrémité de l’abbatiale. Fascinant ! Et ce n’est pas tout. Dans la nef, un chapiteau semble représenter un lion, animal symbolisant parfois le Christ. La lumière du soleil l’éclaire seulement vers Noël. Un hasard ?
À l’inverse, des sculptures figurées dans l’église restent toute l’année dans l’ombre. Comme si elles représentaient des démons ou des divinités païennes.
Mes doutes
Que faut-il penser de tous ces phénomènes lumineux ? Si vous me suivez depuis quelque temps, vous connaissez mon esprit sceptique. Or, quelques indices me font douter de l’intentionnalité de ces anomalies. Commençons en douceur. Revenons sur le chapiteau au lion dans l’abbatiale Saint-Georges-de-Boscherville. D’abord est-ce un lion ? Difficile à dire. C’est un masque animal tout au plus. Admettons néanmoins l’hypothèse féline. Dans ce cas, ce lion peut symboliser le Christ dans l’art chrétien. Mais, comme beaucoup de symboles, il est ambivalent. Dans la sculpture romane, le lion peut aussi représenter les forces maléfiques ou la sauvagerie. Dans cette perspective, il est difficilement concevable que les bâtisseurs aient voulu le « mettre en lumière ». Mais ce n’est pas le plus important. Mon principal argument à l’encontre d’une vision symbolique des phénomènes lumineux concerne la faisabilité technique. Il est très difficile de calculer l’impact d’un rayon lumineux à telle date et telle heure dans un monument. À Vézelay, le procédé pour créer le « chemin de lumière » est à s’arracher les cheveux. Les bâtisseurs devaient anticiper la position du soleil vers le 21 juin vers 14 h, calculer l’angle des rayons traversant les fenêtres hautes de manière à ce que des taches de lumière s’alignent exactement au milieu de la nef. Ce n’est pas impossible. Les hommes du Moyen Âge avaient une certaine connaissance des mouvements du soleil et de leur impact. Regardez le fonctionnement des cadrans solaires. Cependant, dans le cas de Vézelay, l’ambition était autrement plus élevée. Les bâtisseurs ne devaient pas se tromper sur l’orientation de l’église puis sur la hauteur des fenêtres hautes. De même, calculer l’impact du soleil sur un chapiteau à telle date nécessite une connaissance astronomique et géométrique impressionnante. N’y a-t-il pas plus de chances que ces phénomènes lumineux soient fortuits ? Vu le nombre d’églises dans le monde, vu le nombre de fenêtres à l’intérieur, vu le nombre de fêtes chrétiennes dans le calendrier, la course du soleil provoquera fatalement des anomalies à des dates symboliques. Il suffit d’être attentif et visiter régulièrement le lieu. Autrement dit, à mes yeux, ces phénomènes relèvent surtout du hasard, ou plus exactement de situations non anticipées par les bâtisseurs. Ma vision est confortée par un exemple célèbre dans la cathédrale de Strasbourg
Le rayon vert de Strasbourg
L’année dernière, des internautes se sont plaints d’une restauration menée dans la cathédrale. Elle avait mis fin au rayon vert.
À chaque équinoxe, un rayon de soleil passait par un vitrail et illuminait en vert un crucifix. Le phénomène provoquait émerveillement chez les visiteurs qui, parfois, se déplaçaient exprès pour assister au spectacle à la date attendue. Beaucoup y voyaient un clin-œil des bâtisseurs médiévaux, en particulier des maîtres verriers. Quand d’autres allaient même jusqu’à parler d’une trace d’anciens cultes solaires antérieurs au christianisme. Ce phénomène perd beaucoup de sa magie à partir du moment où on connaît deux informations :le vitrail à l’origine du rayon n’est pas médiéval. Il date de 1875.le phénomène du rayon vert est apparu fortuitement vers 1970 à cause du remplacement d’un morceau du vitrail par un mauvais verre. Autrement dit, le phénomène du rayon vert a surgi de manière fortuite après une restauration récente et maladroite. Il a logiquement disparu en 2023 lorsqu’on a retiré et remplacé ce mauvais verre. (Merci à Jonathan de m’avoir envoyé l’article de Louis Tschaen qui précisait l’histoire du vitrail). En fin de compte, les phénomènes lumineux sont-ils les fruits du hasard sur qui nous essayons de coller notre soif de significations cachées ? Autrement dit, circulez, y’a rien à voir. En bon Normand, je ne ferme pas totalement la porte à l’hypothèse d’une intentionnalité. Dans certains cas, je crois à un symbolisme à rebours. Je m’explique. On construit une église. On s’aperçoit que le soleil frappe telle zone à telle date symbolique. Alors on y met quelque chose : une statue ou un autel. Ce genre de circonstances me semble plus envisageable. J’y trouve l’explication du rayon du soleil qui touche la Vierge dans l’église romane d’Orcival (Puy-de-Dôme) à l’Assomption.

4 Commentaires

  1. Assidu lecteur des articles de Laurent Ridel au long de ses publications dominicales, j’apprécie ses commentaires érudits à travers lesquels j’avais cru percevoir l’affirmation, le ressenti d’une symbolique transcendant le matériel.
    Mais ici, son avis sur les origines des “rayons de lumière” plus que supposés puisque constatés, ne fait pas que me surprendre.
    L’intelligence des constructeurs ne peut pas n’ être que matérielle: elle procède d’une “illumination” spirituelle (excusez le jeu de mot!”), inspirée . Laurent, expliquez nous votre scepticisme, votre aveuglement vous condamnant à refuser de percevoir la volonté de l’artiste inspiré utilisant la lumière du jour pour “illuminer”! notre recherche spirituelle.
    Volonté de matérialiser les signaux que nous adresse l’Esprit. Les “phénomènes” lumineux ne sont pas fortuits. L’incident du “rayon vert” n’est pas contre exemple capable à lui seul de détruire une réalité qui bien que souvent cachée, s’impose à nous. Affirmer “”les phénomènes lumineux sont-ils les fruits du hasard sur qui nous essayons de coller notre soif de significations cachées ?” est -t-il une condamnation condescendante de ceux qui recherchent une autre VOIE, une autre VOIX ?

  2. Je vous conseille le livre de Daniel Tardy sur l’église de saint nectaire et vous comprendrez que ces jeux de lumière sont loin d’être fortuits!

    • Merci mon cher Chanard de votre conseil.
      En effet, « Toute la lumière de l’Église romane de Saint-Nectaire-Tome 1, Les Nouvelles Découvertes (2009-2012) » (au format relié et illustrée) de Daniel Tardy avec les préfaces d’Hippolyte Simon et Alphonse Bellonte est un ouvrage captivant.
      Il révèle l’église de Saint-Nectaire sous un jour inédit, offrant une compréhension renouvelée de l’art roman. Salué comme un hommage aux artisans de l’époque, le livre détaille avec précision l’agencement des fenêtres, piliers, voûtes, et chapiteaux, introduisant une réflexion sur la notion du temps comme une quatrième dimension. Sur une période de plus de 80 jours, 103 chapiteaux sont immortalisés dans la lumière naturelle du soleil, dévoilant un calendrier solaire complexe et jusqu’alors méconnu, où chaque chapiteau s’illumine selon la saint du jour.
      Il faut dire que Daniel Tardy, né en 1957, est un éminent diplômé de l’École Nationale Supérieure de Photo-Cinéma Louis Lumière à Paris. Il a conçu et réalisé divers projets de scénographies audiovisuelles pour des lieux tels que la Maison de Jour de Fête et le Musée du Parlement au Château de Versailles. Auteur de plus de 200 courts-métrages et de la pièce de théâtre inspirée du best-seller d’Allan et Barbara Pease, il a reçu le Grand Prix SCAM en 2011 pour son œuvre institutionnelle.
      Rappelons que l’ouvrage est édité chez Bzt et Cie (Lyon), qu’il comprend 462 pages et est vendu 70 €. Nous n’avons pas toruvé de tome 2.
      Côté prix, plus accessible, nos lecteurs pourront s’intéresser au livre de notre TCF Jean-François Blondel « Ces cathédrales aux mystérieux rayons de lumière » (Dervy, 2023). Rappelons que Jean-François donnera à Masonica Tours une conférence le 1er juin prochain sur « Les bâtisseurs des cathédrales ».
      https://450.fm/2024/04/09/masonica-tours-le-programme-du-salon-du-livre-maconnique/

  3. Permettez-moi de considérer que les phénomènes lumineux qui tracent les méridiennes n’ont rien de fortuit, au moins dans Saint Étienne de Bourges (amis-cathedrale-bourges.com/visite-de-la-cathédrale/curiosités/méridiennes/) et dans l’église Saint Sulpice de Paris (hal.sorbonne-universite.fr/hal-02048587/document).

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