mar 03 décembre 2024 - 08:12

Deux ans avec Jacques Lacan

Je me souviens de mon approche de Jacques Lacan : au séminaire qu’il donnait chaque mois, à 11 heures, à la faculté de Droit, place du Panthéon, dans les années 70. Je travaillais en face, aux laboratoires Clin-Midy, et il m’était facile de m’y rendre, dans le cadre de la formation analytique que je préparais…

Je me souviens du grand amphi, qui se transformait en église. Il s’y pressait quelque 300 personnes en quête de chaises (jeunes et “vieux” étudiants, médecins généralistes et psychiatres, philosophes, journalistes). Dans le silence précisément religieux, on entendait en guise d’harmonium, le bourdonnement des magnétophones telles des abeilles mécaniques suspendus aux patères avec les manteaux, tout autour de la salle…

 Je me souviens que le “Maître”, toujours arrivé une demi-heure avant, blanchissait les tableaux noirs coulissants de ses formules, avec une haute écriture, qu’on pouvait lire du fond de l’amphi. En avance aussi, je m’asseyais au premier rang et tentait, avide, de comprendre ses notes…

 Je me souviens de l’éclair de son oeil et de sa main nerveuse qui a écrasé la mienne un jour où au premier rang, nous nous disputions la chaise qu’il voulait emporter sur l’estrade…J’ai réussi à garder ma chaise !

 Je me souviens de ses costumes de tweed gansés et de ses cols mao sur une chemise rayée, arrondie par une confortable bedaine. Je lui trouvais l’air d’un prédicateur de mauvaises nouvelles…

 Je me souviens de sa tête casquée d’une chevelure blanche parfaitement lissée, de ses grands yeux derrière ses lunettes sans monture, et de son regard perçant, culpabilisant, qui semblait dévisager chacun d’entre nous…

 Je me souviens d’un homme paraissant toujours en colère, mais trahi par des sourires en coin qui semblaient dire “je m’amuse bien et je suis en train de vous posséder”…

 Je me souviens de sa voix qui s’élevait, soudain forte, et nos cous se rentraient, soudain faible, et nous cous se tendaient…

 Je me souviens que, comme moi, tout le monde était fasciné par ce psychanalyste se réclamant sans cesse de Freud, mais que, comme moi, personne ne comprenait visiblement rien. Et ça me rassurait…

 Je me souviens des “aaaaaaaaaah”, et “ohhhhhhh”…. sorte d’orgasmes vocaux, soudain émis par certains semblant alors touchés par la grâce lacanienne… et qui déclenchaient bien sûr notre jalousie…

 Je me souviens de l’une de ses phrases fétiches, qui nous tombait régulièrement dessus, comme venant du ciel : “Dieu est inconscient”...

 Je me souviens de son discours sans ponctuation, devenant vite une sorte de mélopée lancinante, ondulante, tel un inconscient qui se vide…

 Je me souviens des jeux de mots chuchotés qui circulaient, en réponse aux siens : “Charlacan”, “Lacanaille”, “Lacan dira-ton”, “Les écrits de Lacan et les écrans de l’acquis”…

 Je me souviens que j’écrivais certaines phrases comprises, sur mon cahier posé sur mes genoux, et retrouvé aujourd’hui :

 ” Le moi ne s’adapte pas à la réalité, il l’adapte à lui. Le moi crée la nouvelle adaptation à la réalité et nous cherchons sans cesse à maintenir la cohésion avec ce double”…

 “Moi, la vérité, je parle”…

-“La psychanalyse est un remède contre l’ignorance. Elle est sans effet pour la connerie…”

 Je me souviens du grand moment des questions de l’auditoire, qui a donné plusieurs fois ce type de dialogue :

 Monsieur le Professeur, que peut apporter aux analysants, en termes de thérapie, votre conception de la psychanalyse ?

 Qui parle de guérir !

 Moi ! (ose l’intervenant)

 C’est bien ce que je disais… (rires de la salle)

 Je me souviens que je revenais confiant, à chaque séance, espérant une transformation de mon être, à l’écoute de ses phrases torturées, de ses silences gênants et interminables parfois, quand il semblait faire la gueule…

 Je me souviens que j’attendais de ce personnage, qui me paraissait jouisseur, cynique, arrogant, qu’il devienne un jour humain, chaleureux, ordinaire. Mais qu’il ait prononcé un jour les mots “maladie”, “malade”, “souffrance”, “soin”, “bonheur”, “amour”,

je ne me souviens pas !

A chacun son « point de vue ». A chacun son mystère. A chacun ses étonnements. L’attente fait le charme du désir !

4 Commentaires

  1. Marre de ces surnoms derrière lesquels se planquent maintenant trop de maçons, comme si l’être était une maladie honteuse! L’Art Royal perd toute sa noblesse, quand ses membres perdent la leur en niant leur âme!
    La moindre des choses, pour ne pas dire politesse, quand on s’exprime, à plus forte raison quand on affirme quelque chose ici d’ordre technique, c’est de s’identifier distinctement !
    Quant à lire Lacan, celà revient simplement à acquérir la transcription de ses séminaires par un tiers, donc aller à la pêche, pour tenter de comprendre sa pensée, au fil de phrases, non ponctués. Lacan n’est pas un écrivain mais un “parlêtre” selon l’un de ses jeux de mots, dont je reconnais l’excellence. Là est surtout son talent verbal, puisque, selon lui, l’inconscient est “structuré comme un langage”. Et la parole est d’argent, ce qu’il savait très bien!
    Ecouter Lacan, c’est simplement entendre ses paroles – alors que l’on voudrait l’écouter – en raison de son espiègle langage hermétique. Ce fut mon cas et c’est ce que je rapporte! J’avoue volontiers mon ignorance persistante malgré deux années d’obstination!
    Je ne parle donc pas le “Lacan ” couramment et je lirai volontiers un livre de ta part, écrit dans la belle langue de Molière et décodant clairement le Maître. Et signé de ton nom. Accepte ce qui n’est ici qui ne veut être ici qu’un accès d’humour avec mes fraternelles amitiés. Rire est salutaire et gratuit ! Merci à 450 fm! Gilbert Garibal

  2. Jacques Van Rillaer n’a jamais fait que mimer un psychanalyste ; seulement un haineux de l’humanité, cette humanité que Lacan cherche à préserver. Pour Rillaer l’homme est une machine qu’il s’agit de dresser.
    On trouve sans difficulté les termes ““maladie”, “malade”, “souffrance”, “soin”, “bonheur”, “amour”,” pour peu qu’on lise Lacan. D’où provient cette ignorance qui devient un savoir chez ses adversaires chaque fois que l’on évoque Lacan ?

  3. On peut lire :”Freud, Lacan, des charlatans ?” de Jacques Van Rillaer (professeur de psychologie à Louvain, psychanalyste pendant 10 ans…).
    Ex. page 224 :”Lacan a usé d’une logomachie ésotérique, incompréhensible même pour les initiés. Il disait cyniquemnt “mes écrits, je ne les ai pas écrit pour qu’on les comprenne”… Il cite aussi un prof de psycho de Harward, venu à Paris écouter Lacan :”je crois qu’il s’amuse en fait à voir jusqu’à quel niveau de sottise qu’il va faire pouvoir avaler à ses auditeurs”.
    L’ennui est que chez Lacan, tout n’est pas à jeter.

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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