L’Ordre de la Mouche à Miel fut institué dans le château de Sceaux, le 11 juin 1703, par la duchesse du Maine.
Née Anne Louise Bénédicte de Bourbon-Condé, Mademoiselle d’Enghien, puis Mademoiselle de Charolais, petite-fille du Grand Condé, cette noble de haut rang était devenue duchesse du Maine en épousant à Versailles, le 19 mars 1692, le fils de Louis XIV et de Madame de Montespan, Louis Auguste de Bourbon, duc du Maine, duc d’Aumale, prince souverain des Dombes, comte d’Eu. Elle avait 24 ans en 1700 lorsque son riche mari avait racheté le château de Sceaux aux héritiers du marquis de Seignelay.
La duchesse était donc fort riche, pleine d’esprit et, ma foi, encore jeune et plutôt jolie. Son duc de mari, colonel général des Suisses et des Grisons, chevalier du Saint Esprit et grand maître de l’artillerie, avait fort à faire pour s’imposer face aux ambitions du duc d’Orléans au trône de France. Aussi laissait-il à sa femme le soin d’animer le château et d’assembler auprès d’elle une véritable cour. Ce n’étaient que festins, bals et soirées sous les prétextes les plus variés.
Pour resserrer son cercle, elle avait eu l’idée de créer l’ « Ordre de la Mouche à miel » quelque trois ans après l’acquisition de Sceaux. De petite taille, semble-t-il, elle avait choisi pour devise, le jour de son mariage, une formule empruntée à l’Aminta du Tasse, pièce de théâtre de 1573 : « Piccola si ma fa più gravi le ferite » c’est-à-dire : petites, oui, mais les blessures en sont plus graves, ce qu’un poète de cour, Malézieux, avait traduit immédiatement en vers :
L’abeille, petit animal,
Fait de grandes blessures,
Craignez son aiguillon fatal,
Évitez ses piqûres,
Fuyez, si vous pouvez, les traits
Qui partent de sa bouche ;
Elle pique et s’envole après,
C’est une fine mouche. »
Se traitant elle-même de « fine mouche », la duchesse avait choisi ce nom pour son « ordre » de fantaisie et l’avait lié au miel, car elle se savait attirante… L’Ordre figurait au nombre des amusements de la petite cour formée à Sceaux.
Cette « société » avait clairement pour vocation de parodier les grands Ordres de Chevalerie. Elle ne pouvait avoir que trente-neuf membres, essentiellement des gens de lettres et des savants comme Madame de Staël, Voltaire ou Fontenelle, qui se livraient aux caprices de la duchesse et aux jeux d’esprit imposés.
Le signe d’appartenance à l’ordre était une médaille qui devait être portée sur l’habit. Elle est très recherchée aujourd’hui par les collectionneurs. Côté face était gravée le profil de la duchesse, et au revers, une abeille se dirigeant vers une ruche avec la fameuse devise Piccolti ma fa pur gravi le ferite.
Ordre de la Mouche à Miel, médaille en argent par Henri Roussel, au profil droit de la duchesse du Maine, ceint d’une légende composée des lettres initiales signifiant “Louise BARonne de SCeaux Dictatrice Perpétuelle De L’Ordre De La Mouche A Miel”, sur le revers une abeille volant vers une ruche entourée de la légende “Piccola si. ma fa pur gravi le ferite – 1703”, poinçon de la Monnaie de Paris, diamètre: 29,5 mm.
L’aspirant chevalier à cet ordre prononçait un serment constitué de 7 vœux, tous plus incongrus les uns que les autres, mais non sans y sous-entendre à chaque fois une soumission toujours plus forte à la Dictatrice. « Il n’y a ici ni madame du Maine ni Altesse, il y a la belle fée Ludovise, la reine des Abeilles, à laquelle chacun doit obéir aveuglément. » – écrit Alexandre Dumas dans Le Chevalier d’Harmental.
Voici quelques extraits du serment :
Art 2. : Vous jurez de vous trouver dans le palais enchanté de Sceaux […] sans même que vous puissiez vous excuser sous prétexte de quelque incommodité légère comme goutte, excès de pituite ou gale de Bourgogne.
Art. 3. : Vous jurez […] de ne point quitter la danse si cela vous est ainsi ordonné que vos habits ne soient percés de sueur et que l’écume ne vous en vienne à la bouche.
La tyrannique duchesse imposait à ses courtisans une loi sévère, celle de ne pouvoir la quitter sans sa permission, ce qu’elle n’accordait pas toujours d’ailleurs. Parfois, elle distribuait des punitions.
Ainsi Voltaire fut-il condamné à composer une énigme pour racheter un gage. Il improvisa aussitôt celle-ci, preuve de son exceptionnel talent :
« Cinq voyelles une consonne
En français composent mon nom
Et je porte sur ma personne
De quoi l’écrire sans crayon. »
Vous avez trouvé ? Eh bien il s’agit tout simplement d’ « oiseau » dont la plume servait à écrire, une fois taillée.
Nous sommes là bien avant la naissance de la Franc-maçonnerie en tant que structure obédientielle. Or le terme d’Ordre apparaît déjà, associé à la chevalerie tout en la parodiant. Ce n’était pas neuf. Cervantes l’avait fait un siècle avant avec son Quichotte publié en 1605. Ici, la notion monastique d’ordre, unie à la Chevalerie, est indéniablement liée à l’environnement social d’une époque. Il s’agissait, en fait, d’un jeu de société qui s’appuie sur la chevalerie devenue légendaire pour meubler l’oisiveté. L’imagination combattait la rareté des loisirs et l’Ordre n’était rien d’autre qu’un prétexte à agapes et à émulation intellectuelle.
Tout rapprochement avec nos structures ne saurait être que le fait du lecteur…