David Taillades, franc-maçon lyonnais initié dans une loge pratiquant le Rite Anglais de Style Émulation de la GLNF depuis bientôt 23 ans, est un auteur qui s’est spécialisé dans l’étude de la franc-maçonnerie, en particulier en réexaminant les origines et l’histoire de cette sociabilité à travers une perspective traditionnelle et historique.
Parmi ses principales publications figurent Franc-maçonnerie, l’histoire retrouvée (Dervy, Coll. Bibliothèque de la Franc-Maçonnerie, 2019), préfacé par Louis Trébuchet et postfacé par John Belton, où il propose un réexamen des sources maçonniques et, dans Hiram, Le Mystère de la Maîtrise et les origines de la franc-maçonnerie (Dervy, Coll. Bibliothèque de la Franc-Maçonnerie, 2017), il explore les origines et le mystère entourant la maîtrise dans la franc-maçonnerie. Il a également contribué à des articles pour l’Ars Quatuor Coronatorum, une publication consacrée à la recherche maçonnique.
L’ouvrage débute avec trois épigraphes qui introduisent le thème, l’ambiance ou la tonalité de l’ouvrage : celles de Frances A. Yates (1899–1981), une éminente historienne britannique reconnue pour ses travaux sur la Renaissance et sur l’histoire des idées, d’Andrew Prescott, Professeur en humanités numériques à l’Université de Glasgow et directeur du Centre de recherche sur la Franc-Maçonnerie à l’Université de Sheffield (Yorkshire du Sud, Angleterre) de 2000 à 2007 et de Patrick Boucheron, historien spécialiste du Moyen Âge et de la Renaissance, dont le parcours académique et ses publications font de lui une figure centrale dans le champ des études historiques en France et à l’international.
Pour cet ouvrage conséquent de 672 pages, nous n’emploierons pas, à dessein, l’expression fort volume qui souligne simplement sa taille physique importante mais plutôt celle de somme qui désigne, compte tenu du sujet, une œuvre exhaustive et fondamentale dans ce domaine très spécifique.
Dès son introduction, David Taillades nous explique pourquoi le sujet de l’origine de la franc-maçonnerie est toujours très controversée. Personnellement, nous relevons que les premières loges maçonniques n’ont pas laissé beaucoup de documents écrits. Ceux qui existent sont parfois cryptiques et ouverts à interprétation, laissant ainsi place à différentes théories sur les origines exactes de la franc-maçonnerie.
Manque de documents historiques donc. Par ailleurs, les influences de l’art royal sont variées et incluent des éléments de l’histoire médiévale des guildes de maçons, des traditions ésotériques, du christianisme, du judaïsme, de l’humanisme de la Renaissance et d’autres courants de pensée, ce qui rend difficile la traçabilité d’une origine unique. D’autre part, la franc-maçonnerie elle-même a évolué au fil du temps, avec différentes branches et interprétations de ses enseignements, ce qui rend difficile de pointer vers une origine unique et incontestable.
Ces éléments contribuent notamment à un débat continu et parfois passionné sur l’histoire et les racines de la franc-maçonnerie, qui est souvent entourée de mystère et de fascination. L’auteur, fort justement, met un peu d’ordre dans le chaos de tout cela. En rappelant tous les chercheurs qui ont travaillé sur ce sujet des origines. Travaux antérieurs qui, comme une pierre angulaire de la recherche scientifique, ont contribué au développement d’une compréhension riche et nuancée. Cela donne ainsi du crédit à son étude (intégrité académique, diversité des interprétations, évolution de la recherche, approche interdisciplinaire de la franc-maçonnerie, etc.).
Définissons ce que sont les Old Charges (les Anciens Devoirs). C’est un ensemble de manuscrits et de documents qui constituent les textes fondateurs de la franc-maçonnerie. Ces documents, cent trente environ, datant du XIVe au XVIIIe siècle, décrivent les devoirs, les responsabilités et les comportements attendus des corporations de maçons et de bâtisseurs, mais également l’historique mythique de la création du métier. Histoire et règlements de ces organisations souvent considérés comme des sources essentielles pour comprendre les principes et les pratiques historiques de la franc-maçonnerie, bien avant la formalisation des premières grandes loges au début du XVIIIe siècle.
Old Charges comprenant plusieurs textes célèbres : le Manuscrit Regius, poème écrit vers 1390 en 794 vers de 8 pieds chacun dont nous devons la traduction à Halliwel qui le publie en 1840 ; le Manuscrit Cooke (environ 1410), un texte plus détaillé qui fournit une histoire mythique de l’art de la maçonnerie et des devoirs d’un maçon, le Manuscrit Dumfries No. 4, datant probablement du XVIIe siècle, et fournissant des détails sur les rituels et les traditions de la franc-maçonnerie de l’époque dont le contenu inclue des éléments de nature ésotérique et des références à des pratiques occultes, les Statuts de Schaw – du nom du Maître des Travaux du Roi Jacques VI d’Écosse, responsable de la surveillance des maçons et des tailleurs de pierre –, rédigés en 1598 et 1599 établissant les règles concernant l’organisation des loges, l’admission des apprentis, et les qualifications des maçons.
Il visait à standardiser les pratiques à travers les loges et à s’assurer de la qualité du travail et de la formation et les deuxième Statut de Schaw (1599) se concentrant davantage sur les aspects opérationnels des loges, y compris la conduite des maçons et l’importance de la loge de Kilwinning, qui était désignée comme le chef de file des loges en Écosse, ou encore les registres de Mary’s Chapel à Édimbourg, également connus sous le nom de Lodge of Edinburgh (Mary’s Chapel) No. 1, sont parmi les plus anciens documents d’archives relatifs à la franc-maçonnerie. La loge de Mary’s Chapel, qui existe encore aujourd’hui sous le numéro de loge 1 sur le rôle de la Grande Loge d’Écosse, a des enregistrements remontant au XVIe siècle car contenant des détails sur les membres de la loge, les procédures d’initiation, les activités de la loge, ainsi que les interactions entre les maçons de cette époque, etc.
Quelques exemples donc, ne pouvant analyser tous les Old Charges. David Taillades, et c’est d’ailleurs son sous-titre « à la lumière des sources documentaires », emploie cette métaphore « à la lumière de … » signifiant « en prenant en considération », introduisant en cela des faits, des informations ou des éléments de contexte, des études qui éclairent, clarifient cette source abondante des origines. C’est donc bien une manière de dire que l’on a pris en compte les dernières données disponibles pour former un jugement ou prendre une décision.
Et de nous présenter une analyse critique de ladite origine, en suivant une démarche structurée qui permet de questionner les sources, les interprétations et les théories existantes.
Étudiant plus de vingt Old Charges, David Taillades suit quasiment toujours le même schéma explicatif très structurant, tel que l’analyse du contenu, la datation et l’utilisation de tableaux chronologiques. Une méthode éprouvée dans la recherche historique et critique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle apporte clarté et cohérence, facilitant la compréhension pour le lecteur.
Puis cette analyse du contenu permet une exploration détaillée du manuscrit, assurant que tous les aspects importants sont couverts et évalués de manière systématique. D’autre part, sa proposition de datation est essentielle pour placer les événements ou les documents dans leur contexte historique, ce qui est crucial pour comprendre leur signification et leur impact sur leur temps.
Les tableaux chronologiques usités permettent de visualiser les événements dans le temps, facilitant la comparaison et la mise en relation des faits historiques, ce qui peut révéler des tendances, des motifs et des causalités. Cette méthodologie de recherche que nous pourrions qualifier de standardisée est rigoureuse. Ces écrits pourront toujours, de toute façon, rendre plus facile pour d’autres chercheurs de suivre, vérifier et critiquer les conclusions d’une étude
Le grand intérêt d’un tel ouvrage est aussi de nous faire découvrir l’ensemble des principaux Old Charges et toute leurs richesses. Particulièrement pour ceux qui étudient l’histoire de la franc-maçonnerie, mais aussi pour comprendre plus largement l’évolution de notre fraternité, ainsi que leur impact sur la culture et l’histoire occidentale. Ou encore à ceux qui croient encore que Regius est juste l’Intranet d’une structure administrative maçonnique…
Compréhension historique, perspective sur les traditions maçonniques, étude du symbolisme, contexte social et culturel, droit et gouvernance, interdisciplinarité – ces documents intéressant diverses disciplines académiques : histoire, sociologie, anthropologie, études culturelles et même la théologie – développement des idées, patrimoine culture, éducation maçonnique, etc.
C’est dire l’importance du dernier opus de David Taillades. L’étude des Old Charges enrichissant non seulement la connaissance de l’histoire maçonnique mais contribuant aussi à une meilleure compréhension des courants de pensée et des pratiques maçonniques.
Notons aussi que le livre qui comprend des annexes détaillées, des tableaux, des schémas et des illustrations en couleur. Utiles et riches, elles permettent un approfondissement, témoignant ainsi d’une exploration en profondeur du sujet par son auteur.
David Taillades souligne que l’histoire est un domaine constamment revu et réanalysé à la lumière de nouvelles découvertes et connaissances. Cela reflète une approche dynamique et évolutionnaire de l’historiographie maçonnique, indiquant que ses travaux s’inscrivent dans une tradition académique de longue date qui cherche à éclairer les origines de la franc-maçonnerie à partir de diverses perspectives et thèses.Un monument diront certains, mettant en exergue l’importance de l’œuvre.
Les origines de la Franc-maçonnerie à la lumière des sources documentaires
Old Charges, ordonnances, comptes-rendus de registres, catéchismes, divulgations
David Taillades – Éditions Ubik, Coll. Fondations-Sources et recherches, 2023, 672 pages, 42 €. À commander chez Ubik
Illustrations Wikimedia Commons ; Notre-Dame-de-l’Assomption de Bagnères-de-Luchon, chapelle Saint-Bertrand de Comminges, détail – Photo © yonnel ghernaouti, YG