« Un long cheminement », tel est le titre de la préface de l’ouvrage de Jean-Claude Sitbon*. Rien que cela caractérise une progression ou un développement qui se déroule sur une période étendue… en référence à un parcours personnel, professionnel, spirituel et intellectuel impliquant patience, persévérance et engagement continu.
De belles vertus maçonniques ! Nous la devons à la plume de Philippe Meiffren, Passé Grand Maître de la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra (GLTSO),une obédience fondée en 1958 et issue d’une dissidence de la Grande Loge Nationale Française (GLNF).
Lors de son mandat, il avait mis l’accent sur l’importance de la communication et de l’ouverture aux jeunes, pour préserver et enrichir l’avenir de l’obédience. Pour lui, l’engagement maçonnique est un chemin vers la réalisation de soi et la connaissance personnelle, un aspect fondamental de la pratique maçonnique. Sa préface donne un aperçu du contenu de l’ouvrage de Jean-Claude Sitbon et explique ses intentions.
Jean-Claude Sitbon invite le lecteur à embarquer pour, non pas un voyage, mais des voyages, symboliques qui plus est. Quatorze au total ! Et en loges bleue, rien que cela.
Mais qu’est-ce qu’un voyage maçonnique et symbolique ?
C’est justement l’objet du premier chapitre « Symbolisme et franc-maçonnerie » où l’auteur nous donne une interprétation plurielle du symbole maçonnique qui, il est vrai, offre du sens mais illustre aussi la dualité de la nature.
Après tout, le voyage maçonnique n’est-il pas comme d’un parcours initiatique, où chaque étape représente un degré de compréhension ou de connaissance ? C’est bien un cheminement personnel et spirituel qui reflète le travail sur soi-même et l’aspiration à la sagesse. Cheminement jalonné de différentes cérémonies et rituels, soulignant la richesse symbolique de l’apprentissage.
Et le symbolisme en franc maçonnerie est un élément fondamental de cette tradition initiatique. Chaque symbole utilisé en maçonnerie est chargé de significations multiples, souvent superposées et entrelacées, qui véhiculent des enseignements moraux et philosophiques. Ces symboles peuvent inclure des outils de maçons opératifs (comme l’équerre, le compas, le niveau, ou le maillet dont l’auteur, fort à propos, consacre un chapitre entier au « Symbolisme du maillet en loge d’Apprenti ».
Jean-Claude Sitbon nous propose un recueil des textes d’une partie des nombreuses conférences maçonniques qu’il a données par l’auteur. Quatorze sujets sont donc traités.
Dont celui, thème de son deuxième chapitre des « Heures symboliques de midi et de minuit ». Et de son interprétation plurielle. Des heures symboliques de midi et de minuit ont une signification particulière. Midi est l’heure où le soleil est à son zénith, symbolisant la lumière, la connaissance et l’illumination. C’est une heure de plein travail maçonnique, où les francs-maçons sont censés être actifs dans leur recherche de la vérité et dans leur travail personnel d’amélioration. Minuit est, quant à elle, l’heure de l’obscurité, représentant l’ignorance, l’inconscience et tout ce qui est encore caché ou inconnu. C’est un moment pour réfléchir sur soi-même et sur les mystères non résolus de la vie et de l’univers. Ces deux heures symbolisant le cycle constant de la vie, la dualité entre lumière et obscurité, et le chemin continu de l’homme vers la sagesse.
L’auteur donne son approche de « L’idée plurielle de Grand Architecte de l’Univers dans la franc-maçonnerie d’aujourd’hui ». cette idée du Grand Architecte de l’Univers (GADLU) représente une conception plurielle de la divinité. Cette expression est utilisée pour permettre aux membres de différentes croyances de se réunir sous une appellation commune de la puissance créatrice suprême. Au Rite Écossais Rectifié , où l’on prête serment à la sainte religion chrétienne, le GADLU, qui est Dieu, est aussi associé à la quête de la vérité et de la sagesse. Les maçons sont encouragés à chercher à comprendre les lois de la nature et l’ordre de l’univers comme un chemin vers la connaissance de la divinité. L’auteur nous explique les deux grands courants : déiste, position philosophique et théologique qui soutient la croyance en l’existence d’un être suprême, d’un créateur de l’univers, sur la base de la raison et de l’observation du monde naturel, sans référence à des révélations religieuses spécifiques ou à des textes sacrés, et théiste où Dieu est un être personnel vu comme aimant, attentif et impliqué dans la vie quotidienne des fidèles. Ce Dieu des francs-maçons chrétiens est perçu comme étant trinitaire, c’est-à-dire un seul Dieu en trois personnes : le Père, le Fils (Jésus-Christ), et le Saint-Esprit.
De la mort initiatique nous retenons qu’elle représente la fin d’une ancienne manière de vivre et la naissance d’une nouvelle. C’est une métaphore de la transformation personnelle, où l’initié meurt en tant que profane — quelqu’un qui n’est pas initié aux mystères maçonniques — et renaît en tant que franc-maçon, avec une nouvelle compréhension et perspective sur la vie. Ce qu’explique Jean-Claude Sitbon à travers « La peur de la mort » et « La philosophie maçonnique de la mort ».
Jean-Claude Sitbon décrit la symbolique maçonnique en loge bleue, qui correspond aux trois premiers degrés de la franc-maçonnerie. Il ne traite pas du 4e grade de Maître Écossais de Saint André (MESA) mais nous parle des lumières, du vrai Désir ou du désir du Vrai, du signe d’ordre, de l’Hiram biblique, de Phaleg.
Que dire de l’énigmatique Phaleg ? Un nom faisant référence à une figure biblique mentionnée dans la Genèse, et son utilisation dans le rite peut être vue comme une allusion à des thèmes de division et de transition, conformément à son histoire biblique où Phaleg est associé à l’époque de la dispersion des peuples et des langues. Au RER, Phaleg est à la fois le nom et le mot de reconnaissance de l’ apprenti. L’auteur l’étudie sous l’angle de la lignée séthienne, de la descendance de Sem, signifiant « nom, renommée, prospérité », personnage de la Genèse, et un des trois fils de Noé, de celle du fils d’Héber et en tant qu’élu.
Il nous éclaire aussi sur la colonne brisée au RER, emblème de l’homme dégradé. Un symbolisme qui invite à la réflexion sur la fragilité humaine et à la grande importance de la reconstruction intérieure.
Le livre offre un regard sur le Rite Écossais Rectifié (RER), un rite peu ou mal connu, car nombreux parmi les frères le décrivent comme christique, un terme dérivé de Christ, qui lui-même vient du grec ancien Christós, signifiant l’oint. L’adjectif “christique” se rapporte donc à ce qui est relatif au Christ, ou qui évoque l’image, les enseignements, ou la qualité de Jésus-Christ tel que reconnu dans la tradition chrétienne. Christique appartient plutôt au vocabulaire développé dans les cercles théologiques, mystiques et ésotériques, probablement à partir du XIXe siècle. Rien de tel dans le rituel d’apprenti où, toutefois, le mot religion apparaît avec 25 occurrences.
Le RER, le premier rite écrit par des français au XVIIIe siècle, a été développé et formalisé lors du Convent de Gaules, qui s’est tenu à Lyon en 1778, et fut ensuite consolidé au Convent de Wilhelmsbad en 1782. Le terme rectifié indiquant une réforme ou une rectification de pratiques maçonniques antérieures… Un très beau rite !
*Jean-Claude Sitbon est auteur et conférencier, spécialiste de l’étude de la symbolique des textes des rituels des rites maçonniques, et plus spécialement ceux du Rite Écossais Rectifié, rite qu’il pratique dans une Loge à Marseille de la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra (GLTSO), et ce, depuis plus de trente années.
Il dispose d’un site web contenant aujourd’hui près de 150 articles à caractère maçonnique dont il est l’auteur. Depuis 2015, Jean-Claude Sitbon a donné plus d’une centaine de conférences maçonniques partout en France, en Europe (Belgique, Suisse) et plus récemment en Afrique (Côte d’Ivoire).
Il a écrit plusieurs articles pour des revues consacrées à la franc-maçonnerie et il fait partie des membres fondateurs de la Loge de Recherches de la GLTSO « Héritage » n° 2 créée à Paris en 2019. Il réalise ses travaux en faisant souvent appel à l’exégèse biblique et à la « science des symboles ».
Sa bibliographie
Hiram – Exégèses bibliques et maçonniques du mythe fondateur de la Franc-Maçonnerie, Éd. de la Tarente, 2014, rééd. 2018.
L’ouvrage fait largement appel à l’exégèse des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, distinguant l’Hiram biblique et l’Hiram maçonnique Tout ceci rappelle, si besoin était, la profonde parenté qui unit les rites maçonniques et leurs légendes aux écrits bibliques.
L’aventure du Rite Ecossais Rectifiée – Tome I – Approche historique, Éd. de la Tarente, 2013, rééd. 2015, éd. corrigée en 2017.
Le Tome I, intitulé Approche historique suivie de l’étude de deux correspondances et d’un discours de Jean-Baptiste Willermoz, présente un panorama complet de l’histoire de ce rite et commente plusieurs manuscrits significatifs de la pensée et de la doctrine de Jean-Baptiste Willermoz, principal
L’aventure du Rite Ecossais Rectifiée – Tome II – De Tubalcaïn à Phaleg, Éd. de la Tarente, 2013, rééd. 2015.
Le Tome II, De Tubalcaïn à Phaleg, se focalise sur un évènement qui fit grand bruit au sein de la Maçonnerie de l’époque : la substitution emblématique, en 1785, de Tubalcaïn par Phaleg en tant que patron du grade d’Apprenti du Rite Écossais Rectifié. Cette spécificité importante de ce rite donne l’occasion à l’auteur de percer le mystère de ces deux personnages bibliques au travers des textes traditionnels.
Voyages dans la symbolique maçonnique en loge bleue
Jean-Claude Sitbon – Les Éditions de La Tarente, Coll. fragments maçonniques, 2023, 240 pages, 25 €/Disponible chez l’éditeur ou au Troubadour du Livre.