Tout d’abord, il faut noter l’originalité de la première de couverture. Illustrée par Le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus (1913-1960), lauréat du prix Nobel de littérature en 1957.
Dans cet essai, Camus introduit sa philosophie de l’absurde : la recherche en vain de sens de l’homme, d’unité et de clarté, dans un monde inintelligible, dépourvu selon lui de Dieu et par conséquent de vérités et valeurs éternelles. Cela ne dit long, déjà, sur le contenu du dernier opus de notre regretté frère Jean-Bernard Lévy*.
Ensuite, les rabats de la couverture ajoutent une très belle touche à cet ouvrage, lui donnant un aspect plus luxueux. Attrayants et utiles, ils offrent un arbre généalogique des divinités grecques mentionnées et la biographie de l’auteur. Avec une belle surprise, celle de retrouver une photo de Jean-Bernard. Un Jean-Bernard tel que nous l’avons connu : souriant, presque jovial et lumineux.
Deux frères bien connus ont apporté leurs concours. Olivier Balaine, directeur de la rédaction de Points de Vue Initiatiques (PVI), la revue trimestrielle de la Grande Loge de France, qui signe la préface, et Philippe Langlet, spécialiste reconnu de la maçonnerie, ayant travaillé, pour l’essentiel, sur les textes fondateurs, les premiers rituels et les aspects anthropologiques de l’art royal.
Mais que sont exactement les mythes et concepts ? Deux éléments fondamentaux de la compréhension humaine, chacun jouant un rôle distinct dans la façon dont les gens interprètent le monde autour d’eux. Retenons que les mythes sont des récits traditionnels qui sont généralement considérés comme sacrés ou significatifs au sein d’une culture et qu’ils servent plusieurs fonctions – explicative, éducative, identitaire, psychologique, rituelle.
Les mythes sont dynamiques et peuvent évoluer avec le temps, se réinterpréter en fonction des besoins et des circonstances d’une culture, ici maçonnique. Et dans la fraternité, dieu sait qu’ils sont nombreux. Jean-Bernard Lévy analyse les principaux, depuis ceux de la construction et d’Hiram, notamment.
Quant aux concepts, d’autre part, qui sont des idées générales ou des catégories mentales qui nous aident à comprendre et à classer notre expérience de notre pratique maçonnique, ils jouent des rôles multiples : cognition, catégorisation. Ils se différencient des mythes sont narratifs alors que les concepts sont généralement universels et servent de base à la connaissance et à la communication.
Il fait écho à l’initiation qui aborde plusieurs thématiques dont celle de la sacralisation, de la magie, du but et des finalités des rites d’initiation et de leurs cérémonies.
Jean-Bernard Lévy accorde aussi au héros mythique, personnage qui occupe une place centrale dans les histoires et les légendes, une place de choix. Il analyse les vertus et la vie d’un tel héros, souvent dotées d’une origine divine ou noble et réalisant des actes extraordinaires qui dépassent les capacités des personnes ordinaires, mais aussi impliqués dans des aventures qui comportent des épreuves, des quêtes et des combats contre des monstres ou des ennemis formidables. Jusqu’à leur mort…
La question posée de l’utilité d’un tel ouvrage destiné à l’initié-initiant nous fait penser à une relation dynamique et au processus, à la cérémonie, qui se déroule entre celui qui est initié (l’initié) et celui qui conduit l’initiation (l’initiant). Depuis des temps immémoriaux, déjà dans les cultes à mystères antiques ou dans diverses traditions ésotériques ou initiatiques, dont celle de la franc-maçonnerie telle que pratiquée dans le monde occidental, l’initiation est un rituel ou une série de rituels marquant l’admission d’un nouveau membre (l’initié) dans un ordre, une société discrète.
L’initié étant la personne qui est introduite à dans un groupe donnant accès à une connaissance secrète. L’initiant étant, lui, le guide qui dirige l’initié à travers le processus d’initiation. À lui de s’assurer que l’initié est prêt à recevoir les connaissances ou à endurer les épreuves nécessaires.
Y aura-t-il transfert de connaissances ésotériques et une transformation du novice en un membre à part entière de la fraternité. Là réside en vérité le mystère.
L’auteur, en matière d’initié n’hésite pas à traiter de L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, publié en deux parties (1605 et 1615), de son auteur Miguel de Cervantes (1547-1616), du contexte historique, du genre de l’ouvrage – roman ou mythe – puis du personnage.
Nous y retrouvons tous les ingrédients chers aux maçons. Le voyage de Don Quichotte peut être interprété comme une forme d’initiation personnelle, quoique tragique et comique, dans laquelle il se transforme lui-même, par sa propre volonté, en quelque chose qu’il estime noble et héroïque. C’est une quête d’idéalisme, un combat contre les illusions et parfois contre la réalité elle-même. Son “initiation” est auto-imposée et autodidacte, guidée non par un initié supérieur, mais par sa propre lecture des romans de chevalerie.
Jean-Bernard Lévy couvre tous les aspects des mythes et des figures emblématiques. De Lilith où, dans la mythologie mésopotamienne, et plus tard dans certaines traditions juives, cette dernière est souvent décrite comme une figure démoniaque. Selon certaines légendes juives, elle était la première femme d’Adam avant Ève. Lilith est associée à la nuit et est souvent représentée comme une figure rebelle ou indépendante qui refuse de se soumettre à Adam, choisissant plutôt de quitter l’Éden et devenir un esprit libre.
Du héros de la mythologie grecque, Œdipe est surtout connu à travers la pièce de Sophocle Œdipe Roi. La prophétie dit qu’il tuerait son père et épouserait sa mère, ce qui s’accomplit malgré tous les efforts pour l’éviter. L’histoire d’Œdipe est tragique car elle illustre l’inéluctabilité du destin et la quête désespérée de vérité qui mène à la catastrophe.
Dans la mythologie grecque, Prométhée est un Titan qui dérobe le feu aux dieux pour le donner aux humains. Cet acte de bienveillance lui vaut d’être puni par Zeus, qui le fait enchaîner à un rocher où un aigle vient lui dévorer le foie tous les jours, le foie se régénérant toutes les nuits. Prométhée est souvent vu comme le symbole de la quête humaine pour la connaissance et le progrès, au prix de grands sacrifices.
Figure biblique de l’Ancien Testament, Samson est connu pour sa force surhumaine qui lui vient de son vœu de Nazir et de ses cheveux jamais coupés. Il est trahi par sa maîtresse Dalila, qui coupe ses cheveux, source de sa force, permettant ainsi aux Philistins de le capturer. Finalement, Samson retrouve sa force et se venge en détruisant le temple des Philistins, se tuant ainsi que ses ennemis.
Un autre personnage de la mythologie grecque, Sisyphe est le roi astucieux de Corinthe. Pour ses tromperies et son hubris envers les dieux, il est condamné dans l’Hadès à pousser éternellement un rocher en haut d’une colline, le rocher retombant chaque fois avant de parvenir au sommet. Son châtiment est devenu un symbole de l’effort inutile et de la futilité de la vie humaine.
Nous le savons, les mythes jouent un rôle central dans la franc-maçonnerie. Ils sont chargés de symbolisme et permettent de transmettre des enseignements et des valeurs de manière non littérale. Le mythe d’Hiram, architecte légendaire du Temple de Salomon, notamment, communique des leçons sur la loyauté, l’intégrité et le sacrifice. Les mythes servent aussi à relier les francs-maçons d’aujourd’hui à un passé légendaire, créant un sentiment d’appartenance à une ancienne et noble tradition. Ils restent un moyen efficace de transmettre des connaissances et des traditions d’une génération à l’autre au sein de l’ordre et facilitent l’éveil et la croissance spirituels des membres en proposant des archétypes et des parcours symboliques à emprunter.
Ce fort volume permet aux maçons d’aller plus loin en termes de compréhension rituélique mais aussi de compléter tant une culture générale que maçonnique de mieux comprendre certains rites et plus particulièrement le Rite Écossais Ancien et Accepté, celui pratiqué par Jean-Bernard Lévy. Finalement, ce dernier analyse les invariants de l’être humain.
Cette lecture bénéfique doit, à partir de notre nature, condition et expérience d’Homme de maçon, poser question. Encore et toujours. Ce livre a le grand mérite de faire le point. Complet ! Mais aussi de nous pousser à réfléchir. Sur l’essence même de notre existence, sur la conscience, la raison, la liberté, la mort et l’immortalité, l’éthique et la morale… Du travail pour la vie !
*Jean-Bernard Lévy était chirurgien, spécialisé en chirurgie vasculaire et digestive. Ancien Chef de clinique à la Faculté, il y avait enseigné l’anatomie. L’humanité dont il faisait preuve dans sa pratique professionnelle lui a valu une réputation méritée.
Outre son doctorat en médecine et une maîtrise en biologie humaine, Jean-Bernard Lévy avait fait de brillantes études de philosophie, obtenant notamment un DEA à la Sorbonne, ainsi qu’en théologie à la faculté de théologie protestante de Paris.
Accompagné de Michaël Segall, Jean-Bernard Lévy, vice-président en son temps de l’Institut Maçonnique de France (IMF), a été le fondateur de l’Académie Maçonnique puis de l’Université Maçonnique, dont il a été, pour ces deux associations, président délégué. Il en a été un élément moteur respecté et influent, en même temps qu’un contributeur remarqué.
L’humanité dont il faisait preuve dans sa pratique professionnelle lui a valu une réputation méritée. Il est passé à l’orient éternel en août 2019. Outre son doctorat en médecine et une maîtrise en biologie humaine, Jean-Bernard LEVY avait fait de brillantes études de philosophie, obtenant notamment un DEA à la Sorbonne, ainsi qu’en théologie à la faculté de théologie protestante de Paris.
Accompagné de Michaël Segall, Jean-Bernard LEVY a été le fondateur de l’Académie Maçonnique, il y a 10 ans, puis de l’Université Maçonnique. Il en a été un élément moteur respecté et influent, en même temps qu’un contributeur remarqué.
Il était aussi un chasseur et collectionneur de documents précieux connu dans le milieu maçonnique. Initié à la Grande Loge Nationale Française, notre Frère Jean-Bernard Lévy a choisi de rejoindre, avec tous les Frères de sa Loge, « La République 111 » N° 1309 de la Grande Loge de France.
Détenteur du 33e et dernier degré du Rite Écossais Ancien et Accepté, dont il était un remarquable connaisseur, tant du point de vue historique que philosophique et initiatique, notre très illustre frère Jean-Bernard appartenait à la juridiction du Suprême Conseil de France. Je me souviens de longues conversation avec notre regretté très illustre frère Michel Piquet, sur l’histoire du REAA.
On lui doit un nombre considérable d’articles et d’ouvrages, dont un passionnant Abrégé d’Histoire du REAA et le best-seller qu’est Mythes et Rites: à quoi ça sert ? dans la collection « Les outils maçonniques du XXIe siècle » des Éditions Dervy.
Jean-Bernard Lévy avait aussi rédigé la préface historique de Le Rite en 33 degrés du comte de “Clairmont” grand maître de toutes les loges-Fac-similé des carnets du comte de Clermont (1768) publié, dans la collection Franc-maçonnerie, aux Éditions de La Hutte et chez Selena, en 2107, analysé, présenté et commenté Les Francs-Maçons écrasés de l’abbé Larudan-Facsimilé de l’édition de 1778, un ouvrage préfacé par Philippe Langlet.
Mythes et concepts utiles aux initiés – initiants
Jean-Bernard Lévy – Selena éditions, 2023, 356 pages, 28 €
Mon Cher Yonnel
Comme tu as pu le remarquer la couverture de ce livre comporte deux énormes fautes que je me suis permis de signaler à l’éditeur (trice).
Un nouveau tirage devrait être réalisé, sans fautes.
Amitiés frat.